Un entretien avec Olivier Ezratty

Dans cette vidéo de 2h17, Olivier Ezratty raconte son riche parcours de vie : l’enfance et les origines familiales, études d’ingénieur à Centrale Paris, développeur puis responsable des études chez Sogitec, directeur marketing et communication chez Microsoft, puis conférencier et auteur indépendant de très nombreux rapports sur des sujets aussi variés que les technologies quantiques, l’Intelligence Artificielle, le CES de Las Vegas, l’astronomie et l’entrepreneuriat, mais aussi du Podcast DecodeQuantum, la FrenchTech, le site « Quelques femmes du numérique »…

 

La vidéo de l’entretien est accessible sur YouTube. Ci-dessous, retranscription écrite de l’entretien.

Dans cet article :
– Origines
– Études
– Stage
– Sogitec
– Microsoft
– Le guide des startups
– Les rapports du CES
– De l’Astronomie à l’Entrepreneuriat
– Quelques femmes du numérique !
– La télévision numérique
– L’État
– Le quantique
– Le leadership c’est l’art de poser les bonnes questions
– Transmettre

Origines

Godefroy Troude : « Olivier Ezratty, merci de nous recevoir pour un entretien autour d’un riche parcours de vie : l’enfance, les origines familiales, les études d’ingénieur à Central Paris, développeur, directeur marketing chez Microsoft, puis conférencier, auteur indépendant de très nombreux rapports sur des sujets aussi variés que les technologies quantiques, l’IA, le CES, l’astronomie et l’entrepreneuriat… On se connaît, on va se tutoyer… »

Olivier Ezratty : « Bien sûr ! »

Godefroy Troude : « Olivier, peux-tu commencer par le début ? Que faisaient tes parents ? »

Olivier Ezratty : « Mes parents n’étaient pas du tout dans le domaine technologique, où je suis depuis près de 40 ans.

Ma mère était éditeur de gravure. Un métier assez particulier : elle était éditeur d’artistes qui réalisaient des œuvres d’art qu’on appelle les gravures sur eau-forte (des œuvres gravées sur cuivre), qui était la technique qu’utilisaient les artistes qu’elle éditait. Elle a édité des dizaines d’artistes sur une trentaine d’années entre des années 1960 et la fin des années 1990. Elle avait même une galerie à Paris. Tout cela a joué un rôle assez influent sur moi car même si aujourd’hui je ne suis pas du tout dans le milieu artistique mais plutôt dans la technologie, quand j’étais jeune – c’est-à-dire vers l’âge de 10 ans – elle me faisait visiter des imprimeries… et dans l’imprimerie il y a de la technologie, avec de grosses machines dont surtout une – c’est anecdotique – de très grande taille qui était les massicots, qui permettent de couper des grosses ramettes de papier. J’ai aussi vu des imprimantes offset, des imprimantes en sérigraphie… J’ai donc découvert ce monde de l’imprimerie et de fil en aiguille ça a joué un rôle important pour moi parce que finalement le début de ma vie professionnelle, après l’école Centrale, a été de travailler dans l’édition électronique, qui était un peu la version numérique de ce que j’avais vu en en analogique traditionnel avec ma mère. Par ailleurs, ma mère étant éditeur, était également entrepreneuse : elle avait créé une entreprise vers 1964 avec une autre personne (dont d’ailleurs elle a dû se séparer au bout de 20 ans d’activité) qui a duré une trentaine d’années. Donc tu retrouves un pattern sur le Guide des Start-ups, bien plus tard, puisque je me suis intéressé à l’entrepreneuriat.

Les parents de ma grand-mère maternelle venaient l’un de l’Aisne, l’autre de l’Ain, donc ça fait deux « A », le premier au nord et le second au sud, et ils se sont rejoints pour habiter à Paris. Donc ma grand-mère fut parisienne. Elle s’appelait Cordier, un nom très commun en France. Les parents de ma mère étaient encadreurs boulevard Malesherbes à Paris et étaient amenés à côtoyer un grand nombre d’artistes et clients fortunés. Durant son enfance, ma mère a rencontré énormément d’artistes : elle connaissait Jacques Prévert, elle a rencontré Picasso. C’est l’équivalent de ce que je fais aujourd’hui dans la ‘Tech finalement. Un passé qui est resté dans l’histoire de la famille, mais eux-mêmes n’étaient pas connus. Ils côtoyaient des gens très connus en étant les petites mains qui faisaient l’encadrement des œuvres de ces artistes ou des clients de ces artistes.

Mon père, lui, a eu une vie très compliquée. Il était né en Grèce et a vécu dans différents pays. Il a quitté la Grèce en 1945, après la Seconde Guerre mondiale, pour venir en France où il a intégré la première promotion de l’IDHEC, école de cinéma (qui s’appelle aujourd’hui la FEMIS). Une promo dans laquelle il y avait Robert Enrico (que les cinéphiles de l’époque connaissent bien, de la même génération que Henri Verneuil) et aussi Pierre Tchernia qu’on connait mieux car c’était un personnage de la télévision, décédé en 2016. Il a essayé de faire toute sa vie professionnelle dans le monde du cinéma mais ça ne lui a pas tant réussi que ça. Mon père c’est un peu une vocation inachevée : il a essayé de faire du cinéma, de réaliser des films, il a écrit une biographie d’Akira Kurosawa en 1964 par exemple, mais il n’a pas percé. Le monde artistique est difficile. Dans le monde du cinéma, pour quelques réalisateurs connus ou quelques directeurs de la photo connus, il y a plein de gens qui sont ce qu’on appelle aujourd’hui des intermittents du spectacle. Donc il était un peu dans ce cas-là. Aussi dans les années 1950, il a développé une activité qui n’était pas très rémunératrice mais qui était très intéressante d’un point de vue intellectuel : il enseignait la créativité par le cinéma à des enfants dans des écoles Montessori, comme l’École Alsacienne. Je crois qu’il s’agissait d’enfants du primaire ou du collège. On parle ici évidemment de cinéma argentique : du 8 mm ou du 16 mm argentique ! J’ai conservé des films qui retracent cette partie de sa vie. Il utilisait le cinéma un peu comme aujourd’hui on irait à l’École 42 pour apprendre à coder et se mettre au goût du jour de la technologie. Lorsque j’étais adolescent, j’avais à la maison des outils pour monter des films argentiques. J’ai appris à utiliser la monteuse, monter les films avec de la colle, etc. J’ai des films de moi et de ma sœur, enfants, que mon père a tourné à cette époque-là. Donc là, tu retrouves le monde des médias qui m’a inspiré personnellement. D’ailleurs, toujours entre les âges de 8 et 12 ans, mon père m’emmenait visiter la Maison de la radio, aussi bien pour les studios de radio que les studios de télévision. J’étais finalement plus fasciné par ce monde technologique que par le contenu qui était filmé. Ce qui a influencé une partie de ma vie puisque longtemps après, dans les années 2007 à 2010, je suis devenu consultant spécialisé dans le domaine de la télévision numérique.

Mon père avait une particularité. C’était dans le jargon actuel un « lettré ». Il parlait 10 langues et était passionné par un grand nombre de sujets. Il avait beau être plutôt du côté des humanités (philosophie ou lettres), il s’intéressait également aux sciences. Il rapportait à la maison des journaux d’horizons divers et variés. Il a été pour moi, en complément de ce que faisait ma mère dans son métier, une source d’inspiration importante en terme de curiosité. Et la curiosité qu’il m’a aidé à développer – y compris dans le domaine scientifique – vient d’un accident de parcours : n’arrivant ni à vivre du cinéma ni de professeur à l’école Alsacienne, c’est ma mère qui apportait une grosse partie du revenu du foyer. Et vers la fin de sa vie professionnelle, il a été agent de publicité. Sauf que tu peux être agent de publicité pour plein de médias différents, mais lui il l’était pour une revue très particulière qui était la revue des anciens élèves de l’École de physique-chimie de Paris, ce qui le faisait côtoyer des scientifiques, il ramenait à la maison des revues scientifiques qu’il collectait dans son activité, et il m’emmenait quand j’étais gamin visiter des salons professionnels : j’ai été au CNIT où se déroulaient des salons comme le SICOB (jusqu’à la fin des années 1980 où il a été restructuré) et à la Porte de Versailles au Salon de la chimie de l’ingénieur où je voyais des éprouvettes, des machines de toutes sortes, ce qui m’a donné goût à la technologie.

Donc on a rien sans rien : il n’y a pas de hasard, j’ai été influencé par ces choses-là mais qui relèvent surtout d’un accident de parcours de mon père. »

Ezratty

Godefroy Troude : « Et n’y aurait-il pas également un lien entre la machine à écrire et ton patronyme ? »

Olivier Ezratty : « Alors il y en a un, mais ça c’est accidentel ! (sourire). Ezratty est une anagramme d’Azerty : c’est vraiment une anagramme, à part qu’il y a deux T. Je crois qu’à centrale certains me surnommaient Azertyuiop, la suite des touches du clavier Azerty. Bon, ça ne marche pas avec les claviers US Qwerty 🙂 Donc c’est un pur hasard.

Ezratty est un nom d’origine hébraïque, qui veut dire « mon aide » en hébreu. « Ezra » est le nom d’un des prophètes de la Bible. Je l’ai appris récemment, parce que je n’ai jamais été religieux, je n’ai aucune religion. Je me suis intéressé à la Bible très tardivement pour comprendre un peu l’histoire de l’humanité, et je me suis intéressé à l’origine de ce nom qui est celui d’un prophète israélite qui avait sauvé les Juifs de Babylone, probablement au VIIᵉ ou VIᵉ siècle avant Jésus-Christ. Et le « ty » est un diminutif qui veut dire le mien. Donc Ezratty en hébreu veut dire « mon aide ». Ezra c’est l’aide, mais dans la Bible en français Ezra c’est Esdras (une francisation qui a dû être faite au Moyen Âge). Donc Ezratty, ça veut dire « mon aide ». Et c’est un peu ce que je fais en fait en pratique. J’aide les gens par certains côtés à transmettre à partager le savoir. Donc il y a un lien du côté de mon père. »

 

Godefroy Troude : « Je crois que tu as conservé de ton père une habitude dans ta façon de documenter les choses… »

Olivier Ezratty : « Oui, côté documentation, j’ai été influencé par mon père là encore. Il gardait tout et comme il lisait les journaux comme Le Monde ou des revues scientifiques qu’il récupérait dans son travail, il avait pris l’habitude de conserver les articles intéressants en les classant par sujet. Il faisait son propre Wikipédia à une époque où il n’y avait pas encore Internet. Il ne faut pas oublier qu’on est dans les années 1960-1970 ! Et donc dans la bibliothèque de notre appartement, il y avait des dossiers bien rangés par sujet et moi-même vers l’âge de 18 ans j’ai pris le relais. J’ai repris tous ces dossiers. Il était encore vivant. Il est décédé plus tard quand j’avais 29 ans. Je les ai complétés avec des archives plutôt de nature scientifique. Je les ai enrichis jusqu’au début des années 1990 où il y a un truc qui est arrivé qui s’appelle internet qui fait que j’ai plus ou moins arrêté de faire ça (photo d’une partie des archives ci-contre). Dans mes archives personnelles que j’ai encore chez moi, j’ai ainsi plusieurs décennies de coupures de journaux, d’articles scientifiques, qui sont étalés depuis la mort de Staline en 1953 jusqu’aux découvertes au début de la micro-informatique dans les années 1980-1990. J’ai gardé ça. Et finalement cette envie de thésauriser l’information, de savoir la retrouver, d’être assez polyglotte d’un point de vue scientifique, je l’ai conservée aujourd’hui sauf que, désormais, c’est avec des outils quasiment exclusivement numériques. J’ai finalement très peu de papier aujourd’hui. J’ai même dû attendre des années avant d’obtenir une version papier de certains livres que j’ai publiés. Donc je suis passé complètement du tout papier en volume à relativement peu de papier, mais avec des dossiers bien rangés dans mon ordinateur avec des sauvegardes.

J’ai connu les deux périodes. J’ai commencé à travailler avant Internet, Monsieur ! (sourire) Ce qui permet d’apprécier encore mieux les outils dont on dispose aujourd’hui ! Parce qu’évidemment – et je ne parle même pas de ChatGPT qui est encore extraordinaire – mais la capacité d’accéder à l’information facilement aujourd’hui est incroyable ! Même lorsque j’étais jeune ingénieur, je devais aller à la bibliothèque pour me documenter ! J’allais même à la bibliothèque du CNET de France Télécom comme jeune ingénieur pour trouver la littérature scientifique liée à mon travail de R&D ! Aujourd’hui, avec Internet, tu fais une recherche sur arXiv et tu tombes dessus en deux minutes ! Les choses ont bien changé !

Godefroy Troude : « Et avant Internet, il y a eu une période intermédiaire qui était l’époque du Minitel, où il y avait quand même des bases de données… »

1989. Un Minitel 2 et les sites SNCF, La Redoute, Le Monde (montage GTR).

Olivier Ezratty : « Oui, mais je n’ai pas trop utilisé le Minitel d’un point vue professionnel. Je l’ai plutôt utilisé à partir de 1985 après ma vie d’étudiant lorsque ça a été déployé, plutôt pour des services de base comme réserver un billet de train, commander des produits en ligne, consulter l’annuaire électronique avec les « Pages Blanches » et les « Pages Jaunes » qui remplaçaient l’annuaire papier. C’était un usage assez limité, même s’il y avait beaucoup de choses qui se faisaient y compris dans ce que tu développais toi à cette époque-là (ton micro-serveur Pinky). Et pourtant ça correspond à mon début de vie professionnelle, mais quand j’étais jeune ingénieur je faisais du développement logiciel en mode non connecté. Il n’y avait pas ChatGPT pour faire du code automatiquement. C’était du développement à la main avec des documentations papier, des revues papier et des livres papier. Je ne me rappelle même pas avoir été un grand utilisateur d’outils comme CompuServe qui était très populaire à l’époque. J’ai vraiment adopté le « online » avec Internet : d’abord par le mail en arrivant chez Microsoft en 1990 puis avec l’arrivée des navigateurs et du HTML en 1994-1995. Là évidemment je suis rentré dans le rang naturellement.

Compuserve, message email, 1994 navigateur Mosaic (montage GTR).

Études

Godefroy Troude : « On va revenir un petit peu en arrière car on a sauté toute l’étape des études… »

Olivier Ezratty : « Oui, ça joue un rôle important ! On va parler du secondaire : j’ai fait des études presque « bobo » par certains côtés puisque de ma naissance jusqu’à l’âge de 13 ans j’ai habité dans le XVIe arrondissement de Paris. On habitait au rez-de-chaussée, rue Marbeau, à côté de l’avenue de l’amiral Bruix, près de la Porte Maillot. J’ai connu la construction du périphérique, la construction du Palais des Congrès de la Porte Maillot… Tout ça, je l’ai vu quand j’étais gamin. J’étais en 6ᵉ puis en 5ᵉ au lycée Janson de Sailly. Je garde un mauvais souvenir de ces deux années à la suite desquelles mes parents ont déménagé à Neuilly-sur-Seine (c’est pas les petits quartiers, pas le 93…) car ils voulaient se rapprocher de ma grand-mère qui était seule dans un appartement offert par une de ses cousines (une histoire compliquée de famille). Ma grand-mère a joué un rôle important dans ma vie, parce que c’est le seul grand-parent que j’ai eu. Du côté de mon père, ils sont morts en 1943 dans un endroit qui s’appelle Auschwitz, et du côté de ma mère je n’ai jamais connu mon grand-père car ma grand-mère était divorcée. C’était donc une grand-mère importante pour nous (avec ma sœur). Et donc de la 4ᵉ jusqu’aux classes préparatoires, j’étais au lycée Pasteur, qui est un des lycées connus de la région parisienne. Ce n’est pas Henri IV ni Louis-le-Grand mais je crois qu’à l’époque c’était le 6ᵉ ou 7ᵉ lycée dans les classements. Et donc, j’y ai fait tout le secondaire. J’étais un élève moyen, pas extraordinaire, plutôt meilleur dans ce qui est technique et moins bon dans tout ce qui est littérature, enfin ce qu’on appelle le français. Quand j’ai passé mon Bac, j’ai eu de très bonnes notes dans les matières scientifiques et de très mauvaises dans les matières non scientifiques notamment le français et la philo.
À ce sujet, j’ai une anecdote sur ce qui m’est arrivée en mars 2019. J’étais à Station F, peu après son ouverture en 2017, invité par TF1 à faire une présentation sur les usages de l’IA (Intelligence Artificielle) dans les médias. J’avais environ 45 minutes pour faire un pitch sur l’IA, étant le second intervenant après un certain Raphaël Enthoven, le philosophe. Moi, le petit Olivier Ezratty je me retrouvais juste derrière Raphaël Enthoven à la verve bien connue, qui arrivait à broder avec brio autour de l’IA. Ce n’était pas évident pour moi. Mon introduction a été : vous savez, pour moi, le lien entre la philosophie et le numérique c’est que ma note de philo au Bac tient sur un seul bit ! C’est ça mon lien avec Raphaël Enthoven ! Ça a bien dégelé l’atmosphère et après j’ai fait mon discours sur l’IA qui est bien passé. Oui, j’ai eu 1/20 au bac de Philo ! Je me suis rattrapé un peu après, mais à l’époque je n’étais pas bon.
Et puis j’ai été influencé et là aussi les parcours de vie sont toujours liés à des influences. Tu ne décides pas forcément de toi-même ce que tu vas faire.

Au moment de passer le Bac, mes parents n’avaient pas des revenus réguliers bien qu’habitant à Neuilly. Ma mère était entrepreneuse et ça ne marchait pas très bien, et mon père était handicapé à l’époque et n’avait plus de travail. C’était compliqué. Donc, ils m’avaient destiné à faire des études courtes et avaient planifié que j’aille dans un IUT, je crois que c’était celui de Sceaux. Il se trouve qu’un cousin de mon père, qui était ingénieur de l’École Sudria (qui est une école ingénieur privée qui maintenant appartient au Groupe Ionis, où il y a l’Épita, où j’enseigne d’ailleurs) et qui à l’époque était directeur scientifique du Cnes. Il était lié au programme Ariane ! Et son fils qui s’apprêtait à aller à Louis-le-grand pour faire ses prépas, s’apprêtait à devenir un ingénieur. Ce cousin de mon père a engueulé mes parents en disant que c’était un scandale de m’envoyer faire un IUT, et qu’il fallait absolument que je fasse des classes prépas ! Mes parents se demandaient s’ils allaient pouvoir subvenir à mes besoins et au leurs… Il s’avère qu’en fait j’ai pu devenir boursier, grâce aux faibles revenus de mes parents !Logo École Centrale Paris (ancien) J’ai fait prépa, j’ai donné des cours de math pour payer un petit peu de tout ça, et après Math Sup, Math Spé et ce qu’on appelle une 5/2 (donc j’ai redoublé la Math Spé) je suis rentré à Centrale Paris (logo de l’époque ci-contre). Ce qui était pas mal par rapport au point de départ qui était imaginé par mes parents ! Je ne suis pas trop attaché aux étiquettes, mais il est clair qu’en France quand tu as fait une bonne école, ça t’ouvre des porte, ça te facilite ta vie, donc c’est quand même bien de faire ça. Mais je n’ai pas présenté l’école Polytechnique : dans ma classe j’étais 6ᵉ en prépa, et jusqu’au 10ᵉ ils ont tous fait l’X, mais moi je n’ai pas présenté le concours car je ne voulais pas aller à l’X. Ça ne me disait rien d’être militaire, je ne voulais pas être sous-officier. Comme on fait la première année de Polytechnique comme militaire, ça ne me disait rien. Donc je n’ai pas essayé. Peut-être que je l’aurais eu si j’avais essayé. Je n’en sais rien.

Centrale a été une période importante de ma vie, sur le campus de Châtenay-Malabry. D’abord car j’ai rencontré ma femme Véronique, qui est toujours ma femme aujourd’hui. Et surtout, c’est un endroit où j’ai découvert la vraie vie sociale : parce que quand tu es dans un campus comme celui de Centrale (à Châtenay-Malabry à l’époque, car maintenant, c’est à Villebon, Gif-sur-Yvette, Saclay) tu rentres dans une communauté. Tu es dans une promo de 350 à 400 élèves qui viennent de la France entière, de milieux assez variés et tu vis un peu en vase clos par certains côtés, parce que tu as ta cantine, tu habites sur place, tu as toutes les activités extrascolaires dans l’école, et comme beaucoup d’élèves de ces écoles, je me suis très vite engagé dans les activités extrascolaires, et notamment une qui ne va pas te surprendre, c’est que j’étais en charge des revues des élèves !

J’étais à la fois sur l’éditorial (faire les éditos et rassembler les articles) et je m’occupais également de la technique. Je faisais les deux. Et ça c’est un pattern chez moi : faire le contenu et le contenant ! Par exemple dans mon blog aujourd’hui, je réalise des podcasts et écris des articles mais je développe aussi en PHP une partie du code qui est derrière. Donc j’ai gardé ça depuis très longtemps, comme l’histoire du cinéma avec mon père : toujours s’intéresser à la technique d’un sujet mais aussi au contenu véhiculé par la technique. Toujours être biface.

1983. Publications pour l’École Centrale

Donc à l’école, quand quand je faisais l’hebdomadaire des élèves, qui s’appelait « Le Piston Information » (piston, c’est le surnom des Centraliens) ou encore le « PI », toutes les semaines on sortait un journal de l’ordre de 50 à 80 pages. Sauf qu’il n’y avait pas traitement de texte : on écrivait les articles sur des machines à écrire qui faisaient des trous dans des stencils, et en cas d’erreur on corrigeait avec un du blanc qui bouchait les trous. Donc, il fallait écrire une page entière de 3 000 signes sans trop se planter ! Après on imprimait avec une ronéo, une machine rotative avec une manivelle ou avec un moteur, j’ai oublié, dans laquelle on mettait de l’encre et qui nous sortait les pages avec de l’encre baveuse, qu’on agrafait pour faire 600 à 700 exemplaires chaque semaine. Au même moment je m’intéressais à une autre technologie qui était l’impression offset, pour faire un journal thématique à peu près tous les trimestres. On récupérait des articles écrits par des élèves, éventuellement par des gens de l’extérieur comme des scientifiques ou des ingénieurs en entreprises, et on assemblait une sorte de magazine qui s’appelait « Le bourdon » (en référence au symbole des Centraliens). J’ai travaillé là-dedans pendant à peu près deux ans. Je les ai gardés dans mes archives (voir ci-dessus).

Et donc tu retrouves un pattern, un fil conducteur avec ce que je fais aujourd’hui, qui mélange le contenu et le contenant, que j’ai fait dans la photo, dans la vidéo, dans les bouquins, dans l’écrit, dans les podcast : à chaque fois il y a d’un côté de la techno, et de l’autre du contenu. »

Stage

Godefroy Troude : « Et après Centrale ? »

Olivier Ezratty : « Alors, après Centrale… Il faut préciser d’abord que durant Centrale je ne savais trop quoi choisir comme option. À l’époque tu avais 15 ou 20 options : faire des avions, Math financières… Et j’ai choisi Informatique. Pas très original… C’était presque l’option par défaut, un moyen de choisir un sujet qui était relativement transversal et qui me permettait d’aller un peu n’importe où parce que tu peux faire de l’informatique dans la santé, dans l’aviation, dans différents domaines…
Et à la fin de cette option, j’ai fait un projet d’étude et un stage d’ingénieur de trois mois chez IBM, dans un centre scientifique qui était avenue Raymond Poincaré à Paris. Il n’existe d’ailleurs plus aujourd’hui. C’était lié au fait que mon responsable d’option à Centrale, Jean-Luc Stehlé travaillait dans ce laboratoire. J’ai conservé un très bon souvenir de cet enseignant. Il m’avait encouragé à creuser un sujet qui m’intéressait à l’époque qui était de créer une sorte de surcouche à un logiciel d’édition de texte ou de photocomposition qui s’appelait « DCF« , qui venait d’IBM et qui était installé sur l’ordinateur central (mainframe) qu’IBM avait installé vers 1982-1983 à l’École Centrale. DCF était un logiciel très mal foutu en terme d’interface utilisateur et j’ai développé une sorte de cadre, au-dessus du logiciel, pour faciliter le travail des gens. Cet outil est resté en production à l’école je crois 7 à 8 ans après mon départ. Juste à l’école, car ce n’était pas commercialisé. J’ai donc fait mon stage de fin d’études chez IBM pour développer ce truc-là. J’ai encore les bandes magnétiques dans mes archives contenant cette couche logicielle que j’avais développé à l’époque sur l’IBM 4341. Et toute la documentation associée qui tient dans un gros classeur.

Tu retrouves ici le pattern : traitement de texte, mise en page, développement logiciel… »

Sogitec

Olivier Ezratty : « Et quand j’ai terminé ce stage, je m’étais dit deux choses en terme de choix professionnel. C’était un peu par le vide, ou plutôt par la négation.
– D’abord, je m’étais dit, notamment après avoir fait quelques entretiens de recrutement, que je n’irais probablement jamais dans ma vie faire d’informatique de gestion. Parce qu’en gros ça m’ennuyait. Je ne voulais pas faire de la gestion d’entreprise, ni de la comptabilité (aujourd’hui ce serait faire du déploiement SAP par exemple) et je m’étais dit que je préférais faire de l’informatique scientifique ou technologique, mais pas dans un domaine lié à la gestion. Manque de bol, la gestion c’est les deux tiers du marché…
– Ensuite, le deuxième pari que je m’étais fait, c’était que je n’irai jamais dans une SSII (ce qu’on appelle aujourd’hui une ESN) parce que j’avais l’impression que je m’y ennuierais. Ce n’était pas assez techno pour moi.

Et comme en même temps j’étais intéressé par le monde de l’édition au sens large puisque c’est ce que j’avais fait avec les revues des élèves à Centrale et dans mon stage chez IBM, j’ai eu l’idée d’aller chercher s’il y avait pas des entreprises en France qui s’intéressaient à l’informatique appliquée à la publication informatique, ce qu’on appelle l’electronic publishing. Et j’ai trouvé ! »

Godefroy Troude : « On était en quelle année ? »

Olivier Ezratty : « On est en septembre 1985 et je recherche, je me documente comme je peux… Car Internet n’existait pas ! Je n’ai pas été sur le Minitel, je ne sais plus comment j’ai trouvé mais je suis tombé sur Sogitec, qui était en fait une boîte indépendante mais qui avait été juste avant rachetée par le Groupe Dassault. J’ai appris d’ailleurs 25 ans après que c’était la présidence de la République sous François Mitterrand qui avait demandé à Dassault de racheter cette boîte qui n’allait pas bien pour la garder dans le giron français.

Sogitec avait deux activités : une où je n’ai jamais travaillé mais qui aurait pu m’intéresser qui était l’image de synthèse : ils faisaient des pubs en image de synthèse bien avant tout ce qu’on fait aujourd’hui, et une activité de simulateur de vol (exemple à gauche). L’autre activité, qui occupait moins d’une centaine de personnes sur quatre-cent personnes en tout, qui était la publication électronique, notamment la documentation des avions Dassault (Rafale, Mirage 2000) et aussi la photocomposition et de la mise en page automatique pour des catalogues de vente par correspondance (VPC).

Donc je suis entré chez Sogitec, pour cette seconde activité de publication électronique. Mon premier travail chez a été un travail de développeur : récupérer la sortie d’un logiciel de photocomposition, développé en interne par Sogitec, tournant sur un mainframe IBM. Je réutilisais donc pour une part ce que j’avais appris à Centrale et chez IBM. Et je devais convertir cette sortie pour imprimer des épreuves sur des imprimantes lasers qui étaient apparues sur le marché il y a tout juste deux ans, et dont Canon et HP étaient leaders. C’était destiné à notre client La Redoute et à l’époque, quand on voulait faire un bon à tirer de leur catalogue de vente par correspondance, il fallait sortir ce qu’on appelle des « typons » (c’est comme une exposition photo) ce qui est très lourd, coûte cher et lent à produire pour vérifier une mise en page. Donc on voulait remplacer ça par de l’impression laser. mais le problème c’est qu’il fallait transcoder d’une part le contenu du document du langage du logiciel vers le langage de description de page de l’imprimante (aujourd’hui on ferait du PostScript) mais aussi convertir les polices de caractère. Ce qui fait que j’ai développé ce convertisseur en Langage C, en 7 à 8 mois. »

Godefroy Troude : « Peut-on préciser pour la jeune génération ce qu’était le catalogue de La Redoute ? C’était quand même environ 1000 pages et 8 millions d’exemplaires diffusés. »

Olivier Ezratty : « Effectivement. Ceux qui ont 20 ans aujourd’hui peuvent en voir chez leurs parents ou grand-parents, dans les archives de la maison. Cela existe toujours aujourd’hui, dans une moindre mesure, avec le catalogue qu’on récupère chez Ikea, même s’il contient moins de références.

Catalogues La Redoute, 3 Suisses, Manufrance (montage GTR)

Le catalogue de La Redoute était un gros catalogue de vente par correspondance, avant Internet, où l’on commandait les produits en envoyant un bon de commande par courrier ou en appelant par téléphone. On pouvait acheter tout et n’importe quoi : des meubles, des vêtements, de l’électronique, plutôt du bas de gamme (j’espère ne vexer personne). C’était l’équivalent d’Amazon aujourd’hui, mais avec moins de références car Amazon doit avoir 200 millions de références de produits, là où La Redoute devait avoir l’équivalent de ce qu’on a en grande distribution donc probablement 20 000 à 30 000 références. Ça fait aujourd’hui partie du Groupe Kering (anciennement Groupe Pinault-Printemps-La Redoute). Il y avait aussi les catalogues concurrents : Les 3 Suisses, Manufrance… et aussi la CAMIF mais qui de mémoire était plutôt dédié au fonctionnaires, une population un peu différente. Sogitec travaillait aussi pour la CAMIF. »

Godefroy Troude : « Merci pour cette précision. »

Olivier Ezratty : « Effectivement j’évoque plein de repères oubliés aujourd’hui comme les cartes perforées que j’ai utilisé en travaux pratiques à Centrale, mais aussi les bandes magnétiques avec les gros dérouleurs qu’on peut voir encore aujourd’hui dans les films de science-fiction des années 1960…

Je reviens à mon emploi chez Sogitec : après l’impression d’épreuve laser s’est posée la question d’automatiser et d’optimiser la production de tableaux pour les catalogues La Redoute. Dans ces catalogues, il y a des tableaux avec des prix, des références, des couleurs… Et donc à partir de 1987 environ, j’ai développé un logiciel d’édition de tableau sous une interface graphique.

1985. Interfaces GEM, Windows et Macintosh

Plusieurs options s’offraient à nous et j’avais fait une étude de marché des outils de développement d’interface graphique : il y avait une interface qui s’appelle GEM, qui venait de Digital Research. Il y avait aussi Windows de Microsoft, qui émergeait à peine (Windows 1 est arrivé dans sa première version en 1985 et Windows 2 vers 1987-1988). Et puis il y avait le Macintosh d’Apple, mais qui à l’époque était un système assez exotique très peu utilisé dans les entreprises. Il était plutôt utilisé par le monde de la créativité (publicité, arts graphiques) et de l’éducation. On n’en voyait pas beaucoup en entreprise. Enfin il y avait Unix avec les stations de travail, mais c’était très cher : une station unique coûtait 4 à 5 fois plus cher que les PC dont on était déjà équipés, avec 640 Ko de mémoire à l’époque, sous Windows 1. Aussi j’avais conclu que Windows n’était peut-être pas un mauvais pari. Et je ne me suis pas trop trompé vu le succès qu’a connu Windows par la suite…

J’ai donc développé un logiciel graphique, avec saisie avec la souris. Sauf qu’à l’époque il n’y avait rien : pas de kit de développement (SDK) de haut niveau, pas d’outil pour construire une interface graphique comme ce que propose aujourd’hui par exemple WordPress pour créer un blog. Il fallait tout créer. Ma seule documentation était un livre dont je me rappelle encore, écrit par un certain Charles Petsold, en 1986-1987, qui était un américain spécialisé dans l’édition de livres expliquant comment développer des applications graphiques sous Windows en faisant de la gestion d’événements, la gestion de machine à état. Parce que pour dessiner un rectangle tu fais un clic en haut d’un rectangle puis tu déplaces la souris et pour cela tu as besoin de gérer ce qu’on appelle un état grâce à un automate à plusieurs états possibles, qui te permet de savoir dans quel état tu es à partir de l’état de départ en gérant une sorte d’arbre de décision. J’ai aussi découvert par moi-même, avec les moyens du bord, la programmation événementielle. À l’époque il n’y avait pas de documentation, et je me suis retrouvé à réinventer des trucs qui existaient déjà.
Peu après, j’ai continué en faisant de la R&D (Recherche et développement) sur un langage de description de pages qui s’appelait SGML. C’était quasiment de la recherche…

Sogitec, en miroir de ce que je fais aujourd’hui dans le quantique, est la période la plus scientifique de mon parcours. Entre les deux, j’ai été moins scientifique puisque pendant 5 ans j’ai développé des logiciels, j’ai découvert de nouveaux champs technologiques du monde de l’informatique qui était complètement nouveau à l’époque, où il fallait tout apprendre par soi-même, où il y avait peu de documentation, au point que c’était quasiment une forme de R&D. Découvrir l’état de l’art m’obligeait parfois à me replonger dans des domaines scientifiques : n’ayant pas appris les « machines à états » durant mes études, j’ai dû apprendre sur le tas en lisant des revues scientifiques que je trouvais au CNET, chez France Télécom à Issy-les-Moulineaux. Et il y avait une mutation qui s’opérait à l’époque : toute la documentation technique des avions Dassault se dématérialisait et il fallait trouver le moyen de la stocker de manière structurée. Aussi on m’a demandé d’étudier un langage de description de documents structuré qui avait été créé par IBM – encore IBM – et qui était en cours de normalisation par l’ISO. Je me souviens d’un congrès sur ce sujet à Interlaken près d’Innsbruck dans les années 1980, où j’écoutais en tant que jeune ingénieur – je n’intervenais pas. Mon travail consistait à développer des logiciels expérimentaux ingérant un descriptif de la structure d’un document, puis de vérifier qu’un document donné utilisant ce descriptif était bien conforme au descriptif. En gros la vérification de la conformité à une structure d’un document. Ce qui m’a amené à faire du traitement du langage, avec des outils dont je me rappellerai car c’était très dur de les faire tourner correctement sur un PC avec juste 640 Ko de de RAM et les deux outils Unix très connus qui s’appellent Lex et Yacc qui servent à analyser des documents structurés.

Puis très tôt, vers l’âge de 26 ans, j’ai été amené à remplacer mon chef appelé à d’autres fonctions, et suis devenu manager d’une équipe de développeurs. J’en ai eu jusqu’à 8 pendant environ 3 ans. J’ai recruté une équipe, avec les trucs classiques du management (recruter, parfois remercier des gens… ça peut arriver). Mais je continuais à développer moi-même et faire à la R&D, tout en encadrant des gens qui développaient ces briques logicielles. J’ai passé en tout 4 ans et demi chez Sogitec.

Il faut que j’explique pourquoi je suis parti. Et où je suis arrivé.

Chez Sogitec j’étais très content de faire un vrai travail d’ingénieur. C’était presque celui d’un ingénieur en recherche appliquée puisque je découvrais des nouveaux sujets et je les expérimentais. Ce n’était pas de la production informatique où on exploite des technologies qui existent déjà, même si dans numérique, on est obligé d’apprendre tout le temps. Donc, je développais des logiciels qui étaient utilisés à la fois par Sogitec (pour le compte de La Redoute, de La Camif, etc.) mais aussi directement par les clients de Sogitec. Mais, en gros, je n’avais que cinq clients, et il n’y avait pas de marketing chez Sogitec. Donc je me suis dit : il y a un bug dans cette histoire ! Je développais un produit qui nécessitait un gros investissement de R&D, j’avais une équipe de 8 personnes et on n’avait que 4 clients ! Si on se met dans la peau d’un gars qui aujourd’hui chez Google apporte une modification au moteur de recherche : il a 4 milliards de personnes qui l’utilisent ! On voit le décalage !

Donc je me suis dit que ça serait plus sympa si j’allais dans une boîte où il y a un peu plus d’utilisateurs ! Une boîte qui fait des produits où il y a un marché, où il y a du volume, où il y a de l’international… Et en plus, j’avais beau avoir bénéficié d’une promotion comme manager, et être même au Comité d’entreprise (on me l’avait proposé et c’était une expérience intéressante de représenter les cadres et de discuter avec la direction), j’étais un peu déçu par la société. Je constatais que jusqu’au président, la société était dominée par des ingénieurs, des gens comme moi, et je m’étais dit qu’il manquait une dimension business, une dimension marketing, pour donner plus d’ampleur au produits que je développais, et qu’il fallait peut-être que j’apprenne ça si je voulais progresser dans la vie. Mais ce n’était pas naturel. Je n’avais pas forcément une appétence pour le faire. C’était à la fois par curiosité et par nécessité.

Donc j’ai appliqué un raisonnement personnel qui est assez rare d’ailleurs dans le monde de l’emploi aujourd’hui, même chez des ingénieurs qui sortent des belles écoles. Je me suis dit qu’il fallait que j’aille dans une boîte qui est internationale, qui fait du logiciel (parce que c’était mon domaine), qui fait des produits, qui est en forte croissance, et qui fait des logiciels pas trop éloignés de ce que je faisais (donc peut-être des outils de développement ou des choses techniques) ». Et j’ai appliqué une méthode qu’on pourrait appeler une triangulation, c’est-à-dire que j’ai regardé toutes les boîtes qui existaient à l’époque (françaises, étrangères) et j’ai procédé par élimination : j’ai enlevé Oracle parce que leur culture très commerciale ne me plaisait pas. J’ai enlevé IBM – où j’avais déjà fait mon stage – car pour des raisons diverses et variées, je me voyais pas aller dans une très grosse boîte. J’ai enlevé Borland qui était le fameux créateur du Turbo Pascal à l’époque, puis d’outils bureautique mais qui commençait déjà à décliner. J’ai enlevé Novell qui à l’époque était le leader des systèmes d’exploitation de réseaux locaux avec Netware, mais les réseaux ne me disaient rien.

Et il y avait Microsoft. Une société qui a commencé avec des outil de programmation : le langage Basic, puis des compilateurs Fortran, Cobol et C. Puis le système d’exploitation MS-DOS, puis Windows, la bureautique, et maintenant ils font le Cloud (avec Azure). J’étais tombé sur une annonce pour un chef de produit Windows et un chef de produit d’outils de développement. J’ai fait un CV et une lettre de motivation que je leur ai envoyée, et après six entretiens de recrutement, un classique pour rentrer dans une boîte de ce genre, je suis rentré chez Microsoft. On est en octobre 1989. C’est le dernier CV de ma vie. »

Microsoft

Olivier Ezratty : « Je suis resté 15 ans chez Microsoft alors que je pensais n’y rester que 3 ! Même si aujourd’hui nous sommes 19 ans après mon départ de Microsoft, ces 15 ans ont été très important. J’y ai occupé 8 à 9 fonctions différentes. Au départ, j’étais chef de produits outil développement, puis très rapidement, au bout d’un an, j’ai dû recruter mon premier « évangéliste développeur » (un terme technique qu’on utilise aujourd’hui dans le monde de la technologie, qui portait la bonne parole technique, mais qui n’avait pas un rôle de commercial) pour promouvoir la technologie des outils de développement Microsoft. Ce qui était marrant c’est qu’il venait de l’EDHEC, une école de commerce qui était à Lille (qui a dû changer nom depuis). Donc il avait une formation d’école de commerce mais il s’intéressait comme « geek » aux outils de développement. Il s’agit de François Liger.

Puis je suis devenu responsable d’une équipe qui assurait en plus le marketing des logiciels serveurs de Microsoft et qui a lancé Windows NT en France. Je me rappellerai toujours de ce lancement, au Palais des Congrès de la Porte Maillot, vers mai 1993, où j’étais pour la première fois devant 3 000 personnes. Et en plus, on a une panne de courant au milieu des présentation et les serveurs sont repartis sans broncher ce qui était finalement une bonne démonstration de fiabilité. C’était avec des partenaires : Gilles Granier qui à l’époque était patron d’Intel France, Bernard Vergnes qui était le patron de Microsoft Europe, et Marc Jalabert qui a été un de mes successeurs chez Microsoft (il est maintenant investisseur, ceux qui connaissent Microsoft le connaissent). Il travaillait avec moi, dans mon équipe, et on avait fait ce lancement avec d’autres personnes bien entendu car c’était un travail d’équipe. C’était un baptême du feu. C’était un des plus gros lancements de l’époque de Microsoft.

Juste avant, j’avais lancé Visual Basic en France, ce qui m’avait donné l’occasion de rencontrer Bill Gates une nouvelle fois. Je l’ai rencontré 24 fois en tout. Il avait 35 ans, moi 29. Je me rappelle être allé en 1992 aux États-Unis à Atlanta, au Comdex, un grand salon informatique au moment où Bill Gates lançait Visual Basic et j’étais au premier rang avec lui lors du lancement (à droite, une photo avec lui en 2001, au Palais des Congrès lors d’un DevDays). J’ai récupéré une boîte de Visual Basic que j’ai rapporté en France et en mai 1992 au Cnit, à La Défense, on avait lancé Visual Basic devant les développeurs en deux sessions totalisant 1 000 personnes. Donc c’était une période intéressante car tu manipules les outils du marketing dans un univers technologique.

On va retrouver un autre pattern chez moi qui est ce côté encyclopédique : quand je débutais chez Microsoft j’étais Chef de produits avec une gamme d’à peu près 40 produits à « marketer », certains produits phares représentaient les deux tiers du chiffre d’affaires, mais à côté, il y avait beaucoup de petits produits accessoires.
Aussi j’avais créé un Guide des outils développement Microsoft : le premier était en format papier, que l’on a imprimé et diffusé dans les séminaires et les conférences (voir ci-contre à gauche). La partie logistique était gérée par mon assistante de l’époque et qui l’est restée longtemps, Maggy Ghez.
Puis j’ai eu l’idée d’en faire une version numérique. Mais on est vers 1991-1992, donc avant le web qui n’apparaît que vers 1995 ! Comment faire un guide en numérique et le diffuser sans Internet ? J’ai eu l’idée de convertir le guide papier en version numérique en exploitant le format de l’Aide en ligne des logiciels Windows, qui utilisait des liens hypertexte. Avec Microsoft Word je créais un document texte que je convertissais automatiquement en fichier d’aide « .HLP » grâce à un outil que j’avais développé : j’obtenais alors mes fiches produits sous la forme d’une aide en ligne hypertexte avec moteur de recherche intégré, dans un « .HLP », et tout cela cela tenait sur une simple disquette de 3 pouces 1/4 ! Donc j’avais un outil numérique inventoriant la totalité de mes produits. Cela rendait jaloux les autres chefs de produits de la société qui vendaient Word, Excel, etc.

Je suis toujours resté geek/développeur dans la mesure où dès que je vois un problème avec un travail répétitif j’ai envie de l’automatiser parce que je n’aime pas faire des trucs manuels.

Par exemple, lorsque je suis arrivé chez Microsoft France, une des tâches du chef de produit consistait à faire du reporting. À partir d’un listing papier d’environ 2 cm d’épaisseur contenant toutes les ventes de produits de la filiale, avec les noms des acheteurs (les revendeurs), les références, les prix et le revenu, il fallait synthétiser le tout pour générer le reporting des ventes de tes produits. Quand j’ai vu ça, on avait beau être au début des années 1990, avant le web, je me suis dit que je n’allais pas faire ça à la main et qu’il fallait l’automatiser. Donc je suis allé voir les informaticiens qui géraient le mini-ordinateur Nixdorf qui servait à imprimer le listing et je me rappelle du gars, Gilles Leniau. Je lui ai dit : « Tu peux me sortir un fichier texte avec ce qu’il y a dedans ? ». Il me disait : « Ouais, c’est compliqué… » Je lui ai répondu en utilisant la méthode Jedi pour le convaincre : « Oui, mais tu vas me le faire ? » (rire). Et il m’a sorti un fichier texte en format « .csv » avec des point-virgule entre les champs. Et j’ai développé un logiciel en langage C qui compilait tout ça et me sortait un tableau tout beau tout propre, comme un tableau croisé dynamique sous Excel. Résultat, mon reporting sortait en 30 secondes au lieu de passer une journée entière à travailler sur ce listing. Voilà, j’aime bien faire ça ! Et rebelote j’ai rendu jaloux les autres chefs de produits, à qui j’ai filé mon outil je crois. Je suis d’ailleurs même pas sûr qu’ils l’aient utilisé. Puis après, ça s’est informatisé un peu mieux. Mais en attendant, pendant 3 ans j’ai gagné du temps en remplaçant un travail d’une journée en un travail de quelques secondes.

Mais j’avais quand même passé des heures à créer mon code ! C’est le détail important. Un développeur ne sait pas dire à l’avance si, en voulant automatiser un processus, le temps de développement va réellement être amorti par le gain de temps généré par l’outil. Il y a des cas où ça peut ne pas marcher. Il se trouve que ça a marché dans mon cas, mais ça aurait pu ne pas marcher. Il s’est passé plein de choses les années suivantes.

Entre 1994 et 1998, j’ai assuré plusieurs fonctions marketing, animant les séminaires techniques et business, gérant la certification des partenaires, la formation, puis reprenant à nouveau la responsabilité du marketing serveurs et outils de développement. C’était une époque maintenant révolue où les filiales avaient une grande liberté d’action dans la création de contenus et programmes marketing. À chaque étape, cette créativité a pu s’exercer dans mes équipes pour ces différents programmes. Je peux notamment citer (et saluer) parmi mes « report directs » de cette époque Laurent Termeau (programmes partenaires), Stéphane Kimmerlin (marketing serveurs), Emmanuel Peter puis Claudine Yuste (formation).

En 1998, je suis devenu Directeur marketing et communication de Microsoft France. Pascal Brier qui occupe un rôle important maintenant chez CapGemini après être longtemps passé chez Altran à partir de 2005, était directeur du marketing produit dans mon équipe.

Je suis rentré au Comex, avec deux rôles différents de 1998 à 2001 pour le marketing et la communications, puis de 2001 à 2005 où j’étais directeur de la division développeur, dont l’objectif était de promouvoir les technologies de Microsoft, dont « .net » auprès des développeurs du marché français. C’était quasiment une aventure de startup parce qu’au départ j’avais « hérité » d’une dizaine de personnes qui venaient d’entités existantes. Les boîtes américaines se réorganisent tout le temps, ils font du drag-and-drop de gens dans tous les sens, et là j’avais hérité une dizaine de personnes… sauf qu’à la fin, quatre ans après, on était quarante-cinq. J’avais obtenu des moyens supplémentaires pour assurer la mission qui m’était confiée, une mission mondiale, car tout le monde avait la même mission dans tous les pays.

Cette équipe comprenait une forte dose de personnes avec un profil très technique, et d’ailleurs masculine, alors que la division marketing et communication était dans la situation inverse avec 75% de femmes. C’était une division où sévissait ce que Pascal Belaud appelait « l’esprit Canal », à savoir une grande liberté d’expression. Parmi les managers de mon équipe se trouvaient Daniel Cohen-Zardi (qui est devenu entrepreneur et a fondé Softfluent en 2005), Marc Gardette (qui couvrait les « architectes systèmes »), Alain Le Hégarat (marketing) et Laurent Ellerbach (qui couvrait le secteur de l’éducation et de la recherche).

J’ai eu quelques heures de gloire il y a un peu plus de 20 ans, en allant défendre mon besoin en ressources auprès du CEO de l’époque qui s’appelait Steve Ballmer. Ça fait partie des choses marquantes que j’ai pu faire à l’époque : vendre à Steve Ballmer de lancer tel programme, avec telles ressources, et sachant qu’à l’époque ce n’était pas évident d’obtenir des ressources malgré la croissance de la société. C’est toujours une espèce de bataille pour obtenir des ressources dans une entreprise en croissance pour faire de nouvelles choses. Pas mal de collègues, notamment de Microsoft Europe, considéraient que j’allais au casse-pipe. Sauf que cela a très bien marché, au-delà de toutes les espérances. D’ailleurs, ce que nous avions proposé a ensuite été adopté à l’échelle mondiale. »

Godefroy Troude : « Steve Ballmer, il aime bien les développeurs 🙂 »

Olivier Ezratty : « Oui, il est connu pour ses fameuses vidéos où il clame haut et fort « Developers, developers, developers… » :-). Il aimait faire le pitre. Mais c’est un gars avec qui j’avais un bon contact. Je l’ai vu un très grand nombre de fois.

La première c’était une circonstance très particulière : on est au printemps 1992 et j’ai à peine deux ans d’ancienneté chez Microsoft. Steve Ballmer vient d’être nommé Executive Vice President Sales Marketing & Services pour le monde entier et il décide de passer trois mois à l’étranger pour visiter les filiales et les clients et voir les « vrais gens ». C’est rare pour les Américains ! Donc il passait une semaine en France pour découvrir tout le management de la filiale. Comme j’étais en gros au deuxième niveau de management, après les membres du Comité de direction, j’ai eu Steve Ballmer pendant deux heures dans mon bureau, qui était tout petit (aux Ulis, en banlieue sud de la région parisienne). J’avais dans mon bureau ce Ballmer qui était la 16ᵉ fortune du monde à l’époque (8ᵉ fortune en 2024), qui me posait plein de questions, et qui me testait en fait. C’était presque un entretien de recrutement, sans en avoir le nom. Je m’en rappelle encore ! 1992 ! Il y a 32 ans !

La dernière fois que je l’ai vu c’était en 2013, l’année où il a quitté Microsoft. J’avais moi-même quitté Microsoft depuis 8 ans. Je l’ai recroisé à Paris et il se rappelait de moi on a discuté pendant 5 minutes. J’étais content de le revoir. Et cela faisait chaud au cœur de voir qu’il se rappelait de moi.

Donc Microsoft, c’est une période où j’ai découvert le management à plus grande échelle, j’y ai appris sur le tas le marketing. Je me rappelle toujours – et ça s’applique aux jeunes d’aujourd’hui – le gars qui me recrute qui est Jean-Philippe Courtois. Il doit être maintenant le plus ancien employé chez Microsoft, plus ancien que l’actuel CEO de la boîte qui est arrivé 20 ans après lui. Il a été à patron du monde entier des ventes. À l’époque, il était directeur marketing de Microsoft France et quand je le vois en entretien de recrutement, je lui dis « Mais vous avez conscience que je n’y connais rien en marketing ? » Et il me dit « C’est pas un problème, tu apprendras ! » Je ne connaissais rien ! Mais c’était plus facile pour eux de recruter un ingénieur qui connaît le développement et qui apprendra le marketing que le contraire : quelqu’un du marketing qui apprendrait le développement. Par certains côtés, cela m’a encouragé plus tard à explorer d’autres sujets en mettant de côté le syndrome de l’imposture. Comme le quantique.

Et c’est une chose qui est restée valable dans ma vie : il est plus important de connaître la science et la technologie que les disciplines qui sont autour. Après, on s’adapte. Dans le quantique, j’ai dû faire le contraire. J’ai dû apprendre la physique quantique alors que je n’y connaissais rien. Je suis parti d’un point de départ et j’ai appliqué à cette époque-là un principe de vie qui est assez important quand on gère ses vies professionnelles, qui est le principe de pivot personnel : ce n’est pas inutile qu’il y ait un point commun entre l’avant et le après. On peut tout changer dans la vie, on peut passer de développeur à pâtissier, pourquoi pas, mais là je suis passé de développeur à marketeur, et le point commun c’était le produit. Parce que j’étais chef de produit sur les produits que j’utilisais déjà comme développeur. Donc je n’étais pas dans l’inconnu au niveau du sujet de mon marketing. C’est ça le pivot, au sens où il y a un point commun.

Cette méthode m’a réussi puisqu’il fut un temps où on disait que j’étais quelqu’un de bon en marketing. Maintenant, avec le recul, je ne me trouve pas un bon marqueteur, mais ça c’est le syndrome de l’imposture.

J’ai donc appris le marketing sur le tas, avec de très bons coachs à l’époque. Mon premier manager, qui était d’origine vietnamienne, était Eric Tran-Le. Il est ensuite parti aux États-Unis chez Oracle, puis est ensuite devenu investisseur. Ça fait 30 ans que je ne l’ai pas revu. Il m’a beaucoup aidé à découvrir le monde du marketing. Il venait de chez HP, une boîte qui avait une forte culture, la « méthode HP », et il fait partie des gens qui m’ont appris, et qui m’ont communiqué beaucoup de choses.

J’ai eu d’autres managers chez Microsoft, certains que j’ai moins aimé… Mais il y en a eu un qui a été un vrai professeur, Marc Chardon, qui est américain comme son nom ne l’indique pas, mais francophone, et qui avait fait Harvard dans la même promotion que Bill Gates. J’étais au Comex à l’époque et je me rappelais toujours des réunions avec ce gars-là : quand j’allais dans son bureau je suivais un cours de Harvard ! Il avait un côté un peu professoral, me disant de regarder tel truc, recommandant de lire des livres, sans rapport avec Microsoft ni le marketing, et qui m’ont marqué. C’est lui qui m’a encouragé à lire les livres de Jared Diamond, un ethnologue américain qui dans « De l’inégalité dans les sociétés » en 1997 (« Guns, Germs, and Steel ») raconte l’histoire de l’humanité (c’est un peu Yuval Noah Harari mais en mieux et avant). Il y a donc des managers qui m’ont inspiré – ce n’est pas le seul, il y en a eu d’autres – et c’est toujours important de remercier ceux qui ont joué un rôle dans ta vie. Il y a eu aussi notamment Pascal Martin et Christophe Aulnette.

Microsoft, c’est 15 ans. C’est beaucoup, 15 ans ! »

Gestion de crise

Olivier Ezratty : « Quand j’étais directeur marketing, j’ai eu à gérer ce qu’on appelle des crises médiatiques, où la société est accusée d’une vilénie, pour des raisons valables ou non. Il faut savoir que l’année où j’ai été nommé directeur marketing c’était le début du procès antitrust contre Microsoft par le gouvernement américain… Un peu déstabilisant ! Il y avait eu un jugement en première instance d’un Tribunal fédéral américain qui démantelait la société en deux parties. Quand tu es directeur marketing et communication d’une boîte dont un juge a dit qu’il faut la couper en deux, c’est un peu compliqué à gérer ! Finalement Microsoft ne sera pas démantelé en raison de l’alternance politique en 2001, George Bush Jr a remplacé Bill Clinton, ce permettra à Microsoft de s’en sortir avec un règlement à l’amiable avec le département de la justice US (DoJ).

J’ai eu à gérer d’autres crises comme ça. Par exemple, Microsoft a été accusé de travailler pour la NSA, donnant à la NSA tous les secrets de ses utilisateurs européens. Je me suis rendu compte qu’il était très difficile de répondre à des médias avec des éléments rationnels. Je me rappelle notamment avoir eu à gérer des journalistes de Libération assez coriaces. C’est impossible de prouver quelque chose n’existe pas ! Donc comme le rationnel ne marche pas, à un moment donné il faut savoir lâcher du lest de manière symbolique : dire « Oui, vous avez raison » ou bien « On va arrêter ça, on va faire autrement » plutôt que d’essayer de faire du rationnel. Je l’ai appris à mes dépens, car au début c’était très dur de se confronter à la difficulté d’utiliser des arguments rationnels.

C’est une forte leçon. Et une leçon qui s’applique aux politiques aujourd’hui d’ailleurs : il y en a qui ne savent pas reculer pour avancer, qui ne reculent jamais. Il y en a un qui est très connu : c’est Donald Trump ! Tu mens, tu restes dans tes certitudes, tu n’admets pas que tu peux te tromper… Admettre que tu peux te tromper c’est pourtant une force de caractère, mais peu de gens l’utilisent en politique.

Il faut de l’émotionnel et de l’empathie : comprendre pourquoi les gens ne te comprennent pas. Comprendre que parfois la meilleure méthode c’est de lâcher du lest pour qu’on te lâche les baskets puis après revenir en avant. Par exemple, je me rappelle d’une crise où un produit avait un défaut mais qui s’est avéré ne pas exister en réalité ! Plutôt que s’enfermer dans le déni sur l’inexistence du défaut, la solution qu’on a trouvé a été d’annoncer qu’on arrêtait de vendre le produit et on nous a lâché les baskets. C’est une décision qui n’a rien de rationnel mais on a dit « On arrête de le vendre ». En réalité on n’a pas arrêté de le vendre : on a arrêté de le vendre à la Fnac, les entreprises qui le souhaitaient pouvait toujours l’installer avec des contrats où ils font ce qu’ils veulent. Donc en gros en disant « On arrête de le vendre et on va le corriger » pour une correction d’un truc qui est purement symbolique, on a arrêté de nous embêter. Parfois il faut apprendre à lâcher du lest sur de l’irrationnel plutôt que s’enfermer dans le rationnel où tu ne peux pas être entendu et compris. C’est une grosse leçon !

Je n’ai pas eu à l’appliquer par la suite dans ma vie d’indépendant mais c’est une leçon importante pour les entreprises : GoogleFacebookGuerlain avec leur « Crème quantique », ils ont lâché du lest ! Tous les jours il y a des entreprises qui sont confrontées à ça. L’histoire se répète souvent avec des entreprises qui s’enferment dans leur réalité technique, sans comprendre l’émotion que ça génère auprès des médias, des influenceurs, des politiques, des utilisateurs, auprès des parents quand il s’agit des enfants. Donc il faut savoir lâcher du lest pour mieux avancer. »

Le Guide des Startups

Godefroy Troude : « Comment est-ce qu’on passe de Microsoft au Guide des Startups ? »

Olivier Ezratty : « Quand j’étais débutant, on parlait beaucoup des gens qui restaient toute leur vie dans une même boîte (comme les IBM-eurs, qui restent toute leur vie chez IBM) et  je m’étais dit que je ne passerais pas toute ma vie dans la même boîte et 15 ans de Microsoft, je trouvais que c’était déjà un « milestone ». J’avais alors envisagé plusieurs possibilités : soit je restais chez Microsoft mais en changeant radicalement de domaine d’activité. La télévision numérique m’intéressant beaucoup et Microsoft avait une activité dans ce domaine qui s’appelait MSTV, mais très peu présent en France, essentiellement sur le marché américain. Lors de mes entretiens de recrutement internes pour aller dans cette activité, j’avais beau être directeur des relations développeurs, en gros, les gens ne voulaient rien m’offrir car je n’avais pas d’expérience stricto sensus dans le domaine et notamment auprès des opérateurs télécoms qui étaient les clients de cette offre. Ils ne me donnaient pas ma chance, comme on me l’avait donnée quand j’étais rentré chez Microsoft. J’en ai discuté avec tous les pontes de la société à l’époque mais ce qu’ils me proposaient n’était vraiment pas intéressant.

Donc je suis parti. Je suis parti au petit bonheur la chance mais en me donnant quelques lignes de conduite, une espèce de velléité de faire des choses : j’étais frustré d’être dans une filiale d’une boîte où la R&D était faite essentiellement aux États-Unis et je m’étais demandé ce que je pourrais faire pour contribuer au développement d’innovations en France. Je me disais qu’il y avait deux ou trois choses que je pourrais faire pour l’écosystème français, pour que les innovations sortent de la France, et que la France ne soit pas juste une colonie numérique d’entreprises étrangères, notamment américaines. Faire quelque chose pour aider les entreprises françaises à se développer, notamment ce qu’on appelle les Startups, dont on commençait à parler beaucoup à l’époque.

Par concours de circonstances, lorsque j’ai démarré comme indépendant, il s’est passé plusieurs choses en même temps. J’ai démarré une activité d’enseignement sur l’innovation à l’École Centrale. Je faisais cela dans l’option informatique de troisième année d’où je venais ! C’était le responsable de l’option, Dimitri Dagot, qui me l’avait proposé. J’ai accepté et je faisais de l’enseignement, mais juste 3 ou 4 fois 3 heures, ce n’était pas un enseignement très lourd. Et je me suis confronté à la pédagogie de l’innovation : comment expliquer l’innovation dans le numérique ? Je me rappelle aussi avoir été impliqué pour la première fois comme conférencier pour expliquer l’innovation dans le numérique à une grande agence de communication américaine et à sa filiale en France qui s’appelait MRM (ça fait partie du groupe McCann & Erickson). Et puis j’ai été interviewé par quelqu’un, qui est devenu un ami et qui l’est encore aujourd’hui, qui s’appelle Rodrigo Sepulveda-Schulz : il a enregistré une petite vidéo de moi parlant de l’innovation dans numérique qui a été vue par des jeunes entrepreneurs qui m’ont contacté, notamment un certain Raphaël Labbé qui est resté un ami aussi et qui venait de créer une société qui s’appelait Ulike (prononcer You like) qui était un peu l’équivalent de Facebook aujourd’hui mais qui servait à noter les biens culturels pour ensuite trouver des affinités entre les gens, basées sur ces affinités culturelles.

Je trouvais ça intéressant et je suis devenu « Business Angel » : je les ai aidés à lever des fonds, je les ai accompagnés de la création de la boîte vers 2005 jusqu’à la revente en 2011 au groupe L’Express. Tout ça s’est fait de manière chaotique, ce n’était pas programmé à l’avance : des gens m’ont contacté, j’ai appris des choses, je les ai aidés à rencontrer des investisseurs (notamment un qui est resté un très bon ami, qui s’appelle Philippe Herbert qui était chez Banexi à l’époque) et puis aussi Jean-Louis Missika, et j’apprenais tout sur le tas. Je découvrais surtout un jargon de l’investissement dans les Startup où tu entends parler de « ratchet », de « term sheet », que des termes techniques anglo-saxons.

Comme je demandais à mon responsable d’option à Centrale, Dimitri Dagot, s’il n’y avait pas quelque part un document en ligne expliquant tout ça correctement, qui expliquerait le jargon de l’entrepreneuriat, il me répondait : « Non, ça n’existe pas, tu n’as qu’à le créer ! ». Et c’est comme ça que le Guide des startups est né ! Et j’en ai produit 23 éditions entre 2006 et 2019 ! C’était un bouquin qui expliquait l’entrepreneuriat « pour les nuls », y compris moi ! C’était toujours la même méthode avec un inventaire complet d’un sujet, que tu as aujourd’hui dans le quantique. J’ai créé ce guide version 1 : il devait faire 35 ou 65 pages et la dernière a dû faire 550 pages à peu près. Le guide a été téléchargé plus de 600 000 fois. Il y avait le petit logo « French tech » d’ailleurs parce que j’ai contribué à la création de la French tech en 2013-2014, en liaison avec Fleur Pellerin, à l’époque Ministre Déléguée du Numérique, et la CDC avec notamment Philippe Dewost.

Beaucoup de choses que j’ai faites ont démarré par hasard, en me lançant un défi : tiens, tu pourrais le faire ! Tu me dis ça, moi, je le fais ! Si ça m’intéresse évidemment. Et je trouvais ça utile parce que c’était utile pour moi et pour les autres. C’était utile pour moi, pour me créer une espèce de corpus de savoir dans un domaine donné qui était compliqué, qui est l’entrepreneuriat (c’est pas simple) et en le partageant avec mon blog que j’ai créé en 2006 et avec d’autres outils des réseaux sociaux qui apparaissaient à ce moment. C’est l’époque du début du web 2.0. Je me suis dit que j’allais peut-être pouvoir servir la communauté. J’étais donc devenu le loup blanc de l’entrepreneuriat grâce à ce bouquin, qui était gratuit, Open Source, avec jusqu’à 60 contributeurs dont les noms apparaissent en couverture. 60 personnes qui ont chacun écrit de une demi-page à deux pages en moyenne. Au départ je le rééditais trois fois par an, puis deux fois par an, puis les les 10 dernières années c’était une édition par an. La dernière c’est avril 2019. J’ai alors arrêté.

Tout ceci avait aussi un lien avec mon activité de membre et président (par rotation) du comité de sélection de Scientipole Initiative, qui faisait des prêts d’honneur aux startups. En 2015, c’est devenu un accélérateur sous le nom de Wilco. »

Les rapports du CES

Olivier Ezratty : « J’ai créé en 2006 mon premier rapport du CES (anciennement dénommé « Consumer Electronic Show », ayant lieu à Las Vegas) et le 15 et dernier en 2020. C’est le fruit de deux rencontres : la première rencontre avec un centralien, Pierre Chavy, 92 ans aujourd’hui, qui a été directeur informatique du CEA et qui m’a donné envie d’aller voir le CES. Et l’autre rencontre, c’est avec Pierre Bichelot qui en 2005 m’expliquait avoir quitté Microsoft et organisait en gros des voyages d’études dont certains au CES. Et c’est dans ce cadre que j’y ai fait mes deux premiers voyages.

En janvier 2006, revenant du CES, j’ai eu l’idée de faire un compte-rendu de ma visite de ce salon gigantesque couvrant beaucoup de domaines différents. Et comme je n’avais pas encore mon blog (je ne l’ai créé qu’en avril ou mai 2006), j’ai envoyé ce premier rapport, d’environ 60 pages, par email, à mes contacts business chez qui je faisais des conférences. À partir de la 3ᵉ ou 4ᵉ édition sur mon blog, ça a commencé à être connu et je suis devenu conférencier sur chaque premier semestre de l’année pour synthétiser ce qui se passait au CES. En fait plutôt synthétiser tout ce qui se passe dans numérique. Chaque année j’ai amélioré le rapport et les derniers ont dû faire entre 350 et 400 pages.

J’y couvrais beaucoup de choses : l’électronique grand public jusqu’aux semi-conducteurs, la géopolitique… Je m’intéressais beaucoup aux technologies sous-jacentes : quand je regardais ce qui se passait dans le domaine de la télévision, je voulais savoir comment l’écran était fait : c’est quoi les LED ? Les OLED ? Les semi-conducteurs qui sont derrière ? C’était aussi un lien avec le quantique avant l’heure.

Donc je me suis fait connaître comme ça, en creusant beaucoup de sujets en profondeur et ces rapports du CES ont beaucoup défini ma période après Microsoft. »

Godefroy Troude : « On ne se rend pas bien compte de ton travail sur le CES. Compte tenu du nombre de stands d’est un vrai marathon ! »

Olivier Ezratty : « Oui, un petit peu, mais d’année en année j’ai amélioré mes techniques de préparation. Mes deux ou trois premiers rapports étaient rédigés intégralement durant les deux semaines suivant le salon (et je faisais aussi les photos avec mon Reflex). Mais d’année en année j’ai de plus en plus travaillé en amont du salon, au point que sur le dernier rapport, en 2020, au moins 75 à 80 % du rapport était déjà rédigé avant le salon.

Je faisais de la veille technologique pendant toute l’année. Dès que j’avais terminé un rapport, je préparais le suivant en faisant de la pige avec mon lecteur RSS (un outil de travail important pour moi pour voir ce qui se passe dans tous les domaines) et des recherches par mots clefs. À partir d’octobre/novembre, il y avait le fameux « CES unveiled » de Paris (à partir de 2012, je crois, où des premiers exposants français montraient qu’ils allaient être au CES) et puis je recevais tous les communiqués de presse des exposants. Entre Noël et le jour de l’An, c’était un marathon dans les préparatifs avant le salon. Puis, la première semaine semaine de janvier, j’allais au CES où je retrouvais en réel tout ce qui avait été annoncé dans les communiqués de presse. Ça me permettait rencontrer des gens, de voir notamment les entreprises françaises de la French Tech qui exposaient, à partir de 2014 environ, et dont le nombre a augmenté régulièrement jusqu’à 2019 à peu près. Donc, en pratique, je préparais beaucoup de choses en avance.

Et lors de la visite du salon, je mettais un point d’honneur à aller dans toutes les allées, à essayer de voir le maximum de choses originales. Tu avances dans une allée, tu regardes à gauche, à droite, à gauche, à droite, tu as une demi-seconde pour repérer un truc intéressant (tu peux en louper évidemment) et donc j’avais préparé la visite avec ma pige je retrouvais de mémoire les choses intéressantes. Celui-là je vais le regarder de près parce que j’ai une question pour l’exposant et là il avait 30 secondes pour me répondre. Qu’est-ce qui, quoi, comment ? Comment ça marche, qu’est-ce qu’il y a dans le système, à qui c’est destiné… Parfois le communiqué de presse était un peu ambigu donc… c’était le sketch du « explique-moi le truc en vrai ». Je faisais ça avec tous les stands, du monde entier.

Plans du CES

Il y avait un petit côté systématique dans mon approche du CES. Certains, dont Fanny Bouton, m’ont d’ailleurs appelé le « Rain man du CES ». Mais ce n’est pas vraiment ce qui me caractérise car j’ai une espèce de côté bivalent : j’ai parfois un côté effectivement « Rain man » (très introverti, préparant les choses chez moi, à lire et écrire), mais d’un autre côté je suis un communiquant (j’écris, je parle en public, je fais des conférences, j’enseigne). J’assume ce côté bivalent introverti/extraverti. C’est ma personnalité de faire les deux à la fois.

L’optimisation du voyageur de commerce (source OE)

Donc quand je préparais le rapport du CES, je m’y prenais à l’avance pour essayer de le couvrir correctement, avec un côté un petit peu systématique. Donc effectivement j’essayais de visiter le salon dans son ensemble, avec en tête la résolution du fameux algorithme d’optimisation du voyageur de commerce : comment visiter un salon de 4 500 exposants, étalé sur un grand nombre de lieux, et tout ça en 4 jours ? Il y a un travail d’optimisation et de préparation ! Il y avait à la fois un travail en amont qui consistait à savoir ce qu’il fallait faire, mais avec quand même un petit côté empirique en laissant la place au hasard. Le hasard et le systématisme : je voulais visiter l’ensemble des allées de ce salon, y compris dans les étages des tours, pour ne pas louper quelque chose, pour être sûr de ne pas rater des pépites ! Donc il y avait un petit côté agriculteur laboureur : se dire qu’on ne sait jamais et qu’on va trouver quelque chose de marrant. Et dans le tas, effectivement, je trouvais toujours des trucs rigolos, des choses originales, aussi bien étrangères que françaises d’ailleurs : parfois je découvrais des français d’entreprises étrangères que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, je voyais un nom sur un badge, j’entendais un accent, et je demandais : vous êtes français ? Et je trouvais des français intéressants, originaux, mais dans des entreprises étrangères. Et ça aussi je le découvrais en visitant le salon. Donc, oui, il y avait une espèce de côté systématique chez moi. Ce côté systématique finalement qui me caractérise : vouloir, par la curiosité, voir les choses de manière assez extensive.

Godefroy Troude : « Parmi les exposants tu écrivais que certains n’avaient pas toujours le même niveau de professionnalisme… »

Olivier Ezratty : « Oui, parfois dans les stands chinois, il y avait un mec ou une nana qui semblait dormir parce qu’ils vendent des produits de commodité qui sont des copies de trucs occidentaux. Mais parfois aussi sur les stands français les gars n’étaient pas là… peut-être qu’ils avaient piscine (ou des rendez-vous avec des investisseurs, des journalistes ou des prospects)! Et puis il y a aussi des pros qui préparent bien leur salon, qui qui savent inviter les bonnes personnes, qui savent bien expliquer ce qu’ils font avec un écran, qui ont un produit intéressant à montrer. J’ai vu un écart-type très large de professionnalisme ! J’avais d’ailleurs un bêtisier dans le rapport du CES qui était décrivait cela avec recul. C’est ça aussi qui fait le sel d’un rapport, de dire que tout n’est pas linéaire.

Un point également sur ces rapports : je n’aime pas surfer sur une vague, être un mouton. Je me rappelle toujours de consultants qui labouraient le salon en disant : « C’est l’année des objets connectés » ou « C’est l’année de la santé » ou encore « C’est l’année de la voiture »… Moi je disais : on se calme, c’est pas plus cette année que la précédente ! Je prenais du recul par rapport à ces phénomènes là… Notamment, je n’allais pas tête baissée par exemple dans les objets connectés pour la maison « IoT » (internet of things). Je disais : attention il y a des barrières l’adoption, il y a des raisons qui font que ça ne sera pas adopté si vite que ça, où il a des raisons techniques, des raisons sociétales, des raisons économiques… Il faut prendre du recul par rapport à ces phénomènes là. Il en allait de même dès 2009 sur le buzz de l’impression 3D pour la maison. Ce que je fais d’ailleurs aujourd’hui dans le quantique avec plutôt un axe plus scientifique et technologique. »

Godefroy Troude : « Oui, tu avais un hit-parade des gadgets ! »

Olivier Ezratty (tournant les pages d’un de ses rapport) : « Oui, avec plein de photos ! C’était assez exhaustif ! Une des choses que quasiment personne ne faisait – hormis la presse spécialisée – c’était la Hi-fi haut de gamme : j’adorais aller sur des produits extrêmes, par exemple des platines vinyle qui devaient coûter des dizaines de milliers d’euros… pour écouter des disques microsillons ! On est en 2017 ! Des amplis, des appareils photos, il y a vraiment tout, un inventaire à la Prévert, comme on dit… »

Godefroy Troude : « Et un travail de photographe remarquable… »

Olivier Ezratty : « Oui, je faisais beaucoup de photos là-bas, et aussi dans d’autres contextes comme pour l’association Quelques femmes du numérique ! , et je les publiais sur mon blog. D’ailleurs à partir de 2014 j’ai publié mes photos sur mon Blog dans un plugin WordPress que j’ai développé entièrement moi-même ! Encore le côté biface consistant à « créer l’outil » et le « contenu » associé à l’outil. »

Les femmes du numérique

Godefroy Troude : « Justement, peux-tu nous parler des Femmes du numérique ? »

Olivier Ezratty : « Quelques femmes du Numérique est un autre projet que j’ai cofondé avec Marie-Anne Magnac qui à l’époque était agent de photographe. Je l’ai rencontrée en novembre 2011 et on a lancé tous les deux ce projet visant à utiliser l’outil de la photo pour valoriser par la lumière, par la photo, les femmes dans les métiers du numérique, en partant de l’observation qu’il n’y en a pas assez. La diversité de genre dans le numérique est faible, de l’ordre de 15 à 25% de femmes selon les métiers. Dans les métiers les plus techniques, il n’y en a même pas 5%. Je le vois à l’Épita où j’enseigne. Donc je me disais qu’en valorisant par la photo et des histoires de parcours de femmes, on pouvait inspirer les jeunes filles à s’intéresser à ces métiers-là. C’est la notion de rôle modèle. Et j’ai été impliqué là-dedans jusqu’à l’année dernière où j’ai arrêté après presque 12 années, où j’ai photographié plus de 800 femmes, et dont les photos ont été présentées dans un grand nombre d’expositions, parfois thématiques : les femmes de l’IA, les femmes du quantique, les femmes de la cybersécurité, les femmes de l’entrepreneuriat… Elles ont été valorisées par le Syntec, Numeum, le Cigref, il y a eu des expositions dans la région Rhône-Alpes, dans les Pays de la Loire, dans des lycées, dans des écoles d’ingénieur… Une belle opération.

Avec le recul, cependant, cela n’a pas suffi, comme de nombreux efforts associatifs du domaine, à changer la donne. Cela mériterait une bonne heure de discussion sur la construction des biais de genre ».

De l’astronomie à l’entrepreneuriat

Godefroy Troude : « J’avais beaucoup aimé également ton rapport De l’astronomie à l’entrepreneuriat… »

Olivier Ezratty : « Ce rapport est une sorte de feu follet dans ma vie professionnelle ! J’avais inauguré en 2014 une série de conférences au Web2day qui ont été un événement important pour moi. C’était surtout le plus gros événement numérique de Nantes et quasiment également en France, attirant jusqu’à 5 000 à 10 000 personnes. Il fut un temps où ce rôle était joué par les conférences LeWeb, organisées par Loïc Le Meur à Paris et Aubervilliers jusqu’en 2014. C’est l’année où j’ai démarré des conférences scientifiques dans le cadre du web. LeWeb était une source d’inspiration pour moi. J’ai assisté à toutes les éditions de 2006 à 2014. Il avait la caractéristique d’attirer de grands intervenants de la Silicon Valley. Mais Loïc Le Meur et sa femme Géraldine (à l’époque) attiraient aussi des scientifiques. J’y ai découvert Bertrand Piccard qui avait fait le tour du monde avec son avion solaire Solar Impulse. J’y ai découvert aussi un scientifique du JPL, le laboratoire de la NASA aux États-Unis, qui avait développé le logiciel qui servait à faire fonctionner le rover Curiosity arrivé sur Mars en 2012. Il présentait ça et expliquait comment il faisait marcher le logiciel qui fonctionnait tout seul puisque je crois qu’il faut 7 minutes pour que les ondes électromagnétiques aillent de la Terre à Mars. C’était extraordinaire ! Et je me suis rendu compte que dans toutes ces conférences où on parle de numérique, il n’y avait pas assez de science.

2014 est un peu l’année où je suis redevenu ingénieur en me disant qu’il y avait quelque chose à faire pour vulgariser la science et la technologie, sous un angle scientifique, pas sous l’angle de l’entrepreneuriat ou du business, ce qui m’a poussé à faire ma première conférence, consacrée aux semi-conducteurs et leur fabrication. J’avais eu la chance de rencontrer Jean-Luc Beylat qui fait partie des personnes en qui je suis très reconnaissant. Il était déjà directeur de la recherche fondamentale d’Alcatel, devenu Nokia, et en 2013 m’a fait visiter son laboratoire de Marcoussis où il y avait une salle blanche fabriquant des semi-conducteurs mais dans un domaine très particulier qu’on appelle des matériaux III-V, plutôt dans la photonique. On les utilise dans les fibres optiques, par exemple. Cette visite m’a fait briller les yeux !

Et j’en ai tiré une conférence d’une heure : L’incroyable monde des semi-conducteurs expliquant comment on fabrique un processeur. Je suis parti du sable de cristaux de quartz qu’on purifie pour faire du silicium, après on fait des grands lingots qu’on coupe en rondelle pour obtenir des « wafers« , puisqu’on grave avec un système de gravure chez TSMC, Samsung ou encore STMicroelectronics (que j’ai visité ensuite à côté de Grenoble, en 2015). C’est ainsi qu’est venue ma première conférence du genre. C’est une de celle qui a le plus de vues sur YouTube avec 100 000 vues.

Ma deuxième conférence était sur le séquençage de l’ADN : Les promesses du séquençage de l’ADN, qui permet notamment de décoder le génome humain, ses chromosomes et ses gènes.

Puis celle de 2017 portait sur l’astronomie : L’astronomie et l’entrepreneuriat. Une conférence d’une heure (déguisé en cosmonaute !) où j’abordais les télescopes dans tout le spectre électromagnétique (le visible, l’infrarouge, l’ultraviolet et aussi les radiotélescopes) et y compris les télescopes spatiaux : à l’époque, on préparait le lancement du télescope spatial James web (JWST) et je m’étais intéressé à tous ses instruments : MIRI, NIRCam, etc. que j’ai entièrement décortiqués dans le cadre de cette conférence, puis dans une série d’articles que j’ai ensuite écrits. Et au final, j’ai réitéré ce que j’ai fait dans beaucoup de cas de figure : j’ai compilé tous les articles écrits après cette conférence pour en faire un petit livre d’environ 250 pages.

Mais c’était un feu follet, un one shot, car je n’avais pas de business particulier. Ce n’est pas comme le quantique, où je suis depuis 6 ans ! D’ailleurs ça m’a servi pour le quantique parce qu’en m’intéressant tout d’abord au spectre électromagnétique depuis les rayons gamma jusqu’aux ondes radio, puis en m’intéressant ensuite aux capteurs de ces mêmes ondes électromagnétiques, j’ai commencé à faire du quantique avant d’en faire en tant que tel, ce qui m’a un peu aidé pour la suite, l’année suivante ! »

La télévision numérique

Olivier Ezratty : « La télévision numérique est un domaine qui m’a beaucoup occupé entre 2006 et 2013. Par mon atavisme paternel, dont je parlais tout à l’heure, où il me faisait visiter la maison de la radio et ses studios de télévision, je rêvais de ce milieu des médias, mais plutôt sous l’angle de la technologie. La télévision numérique était l’incarnation actuelle de tout ça et j’ai découvert ce milieu par le biais de mes rapport annuels du CES, qui m’ont permis d’y être connu et de faire du conseil auprès de sociétés technologiques : offreurs de box pour la télévision numérique, opérateurs télécom comme Bouygues Telecom (qui a été longtemps un de mes clients), Canal+, Technicolor (qui s’appelle désormais Vantiva après des haut et des bas), des acteurs américains, et aussi NDS (une société israélo-américaine qui avait acquis Canal+ technologies, la partie technologique de Canal+). Pour tous ces gens-là, j’ai fait pendant 7 à 8 ans des restitutions du CES, de la veille technologique sur différents sujets dont les semi-conducteurs.
Et grâce à ça j’ai rencontré plein de gens et de boites intéressantes …et j’ai visité des studios de télévision, mon rêve de gamin ! J’ai visité plusieurs fois les installations techniques de France Télévision de Roland Garros (photo dans le car régie 3D à gauche), invité par Bernard Fontaine notamment (il est aujourd’hui à la retraite) qui développait les nouvelles technologies chez France Télévision, qui y avait fait rentrer la 4K, le Streaming, le Web et tout un tas de technologies liées au numérique. »

L’État

Olivier Ezratty : « L’État, je l’ai découvert en deux phases.

D’abord durant mon époque Microsoft, où j’étais au Comex notamment comme directeur marketing puis directeur des relations développeurs et où j’ai été amené à rencontrer des députés et des ministres, parce que Microsoft comme toute société qui se respecte a besoin d’améliorer son image auprès des institutions. Aussi j’avais été formé à ce que c’est que l’État, notamment par des avocats du cabinet August Debouzy à Paris : comment fonctionne l’État ? Comment fonctionne un gouvernement ? Quel est le rôle d’un cabinet ministériel ? Comment sont faites les lois ? Comment sont-elles préparées par le gouvernement ? Modifiées par le Parlement ? Votées par le
Parlement ? Les navettes entre les deux chambres ? J’ai découvert tout ça, à cette époque, à partir de 2001.

Puis en mars 2008, dans une seconde phase, le premier membre du gouvernement dédié au numérique est nommé : il s’appelait Éric Besson. À cette époque, j’avais un blog, je faisais des conférences, publiais mes rapports du CES, j’étais connu dans ce petit monde de l’Internet et aussi de l’entrepreneuriat. Et j’ai été invité par les membres du cabinet d’Éric Besson à le rencontrer avec d’autres personnes qui n’étaient pas des journalistes et qu’on appelait à l’époque des influenceurs ou les blogueurs. Mais il y avait aussi des gens comme Jean-Michel Billaut par exemple, qu’on ne définirait pas comme un blogueur : il avait créé l’Atelier BNP Paribas et avait fait rentrer en gros le numérique et le web à BNP. Il faisait partie comme moi des gens qui s’intéressaient à l’impact des technologies sur la société, et qui donc était confronté aux politiques. Mais bien avant, à l’époque où j’étais chez Microsoft, j’avais déjà rencontré des politiques et notamment Valérie Pécresse en 2000 à l’époque où elle était conseillère de Jacques Chirac à l’Élysée. Je l’ai revue ensuite lorsqu’elle fut ministre dans le gouvernement Sarkozy. Puis elle est devenue présidente de la région Ile-de-France. Je l’ai ainsi croisée sur plus de 20 ans puisque je l’ai d’ailleurs revue récemment alors qu’elle visitait des startup du quantique pour une intervention lors de la conférence France quantum qui avait été cofondée par Fanny Bouton.

Donc en 2008, Éric Besson rencontre une quinzaine de personnes dans un dîner, et nous dit : « Je suis nouveau dans le domaine, je le découvre, et si vous avez des propositions à me faire, faites-les ! ». Moi, j’ai pris ça à la lettre, comme tous les défis qu’on m’a lancés ! Et j’ai rédigé des propositions qui relevaient de ce que l’État pourrait faire éventuellement pour améliorer la vie des entrepreneurs dans le numérique. Des propositions que j’avais structurées et même fait valider par un certain nombre de corps constitués comme la Chambre de Commerce de Paris et le réseau Échangeur qui y était lié avec notre ami Jean-Michel Billaut, et d’autres encore que j’oublie dont des associations de femmes dans le numérique (Cyberelles, avec Valérie Dagand), qui m’ont aidé à construire ces propositions que j’ai ensuite envoyées au cabinet d’Éric Besson vers l’été 2008. Et une certaine Anne-Sophie Bordry, qui était à l’époque dans le cabinet d’Éric Besson, m’avait gentiment répondu sur ces propositions mais en m’expliquant que beaucoup d’entre elles étaient difficiles à mettre en place, pour tout un tas de raisons administratives, financières ou politiques. Mais il s’avère qu’une grande partie des propositions ne sont pas réellement restées lettre morte et se sont concrétisées par différentes dispositions fiscales, qui ont émergé dans les années d’après – sous la présidence de François Hollande notamment – et qui ont pris la forme de la French Tech ! Mais bien évidemment quand je faisais ces propositions en 2008 je n’avais pas imaginé la French Tech ! C’est beaucoup plus tard que cela a pris la forme de la French tech à la création de laquelle j’ai ailleurs très modestement contribué en étant une sorte de moulin à idées, mais cette fois avec une autre ministre qui était Fleur Pellerin.

Donc en fait à partir de 2008 je vais rencontrer, pour diverses raisons, tous les membres du gouvernement en charge du numérique qui se sont suivis : après donc Éric Besson il y a eu Nathalie Kosciusko-Morizet, puis Fleur Pellerin, Axelle Lemaire, Mounir Mahjoubi, Cédric O, puis récemment Jean-Noël Barrot qui aura tenu moins de 2 ans et qui a été remplacé le 8 février par Marina Ferrari que je ne connais pas encore mais que j’aurai peut-être l’occasion de rencontrer. Je les ai tous rencontrés les uns après les autres, chacun avec leur durée d’exercice qui a été plus ou moins longue. Le record de durée est je crois Cédric O – qui a battu de très peu Axelle Lemaire – en étant Secrétaire d’État du numérique depuis mars 2019 jusqu’à la fin du premier mandat d’Emmanuel Macron donc mai 2022. Il a dépassé 3 ans alors qu’Axelle Lemaire était à juste un petit peu moins que 3 ans. Tous les autres n’ont tenu que 1 à 2 ans. Or la durabilité c’est important dans un gouvernement ! Les ministres changent trop souvent, ce qui est dommage car à chaque fois qu’un nouveau est nommé, même quand il a des qualités, il faut qu’il apprenne tout ! Donc ça veut dire que tous les acteurs de l’écosystème du numérique, et ça fait du monde (opérateur télécom, entrepreneuriat, les gens de l’IA, les gens de la cybersécurité, du quantique, …) doivent réexpliquer tout ce qu’ils font à un nouveau membre du gouvernement ! C’est une grosse perte d’énergie ! Mais c’est comme ça, c’est la vie ! Donc à chaque fois il faut reprendre tout à zéro avec un nouveau membre du gouvernement… Donc ça prend du temps…

Mais ce que j’ai découvert au fil de l’eau, à l’époque de Microsoft et ensuite à partir de 2008, c’est que l’État ce n’est pas que le gouvernement ! L’État c’est le Président, le premier ou la première ministre, c’est les membres du gouvernement, c’est leurs cabinets… Mais ce sont aussi les administrations qui sont derrière et qui, elles, ont une pérennité plus grande que celle des ministres qui traversent les ministères. Ces administrations, dans le cas du quantique pour ce qui me concerne aujourd’hui, sont la Direction générale des Entreprises à Bercy, c’est la Direction générale de l’Armement au Ministère des Armées, c’est la Direction de la recherche, au Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, c’est la Caisse des Dépôts (dont l’État est actionnaire), ce sont les organismes de recherche : le CNRS, le CEA, L’INRIA, l’ONERA, le CNES, le Laboratoire National d’Essais, l’AFNOR, l’INPI… C’est aussi les assemblées, les élus, le Parlement (Sénat et Assemblée nationale), les élus locaux, les régions, les départements, les mairies, etc. Et l’État c’est aussi l’interaction entre la France et le reste du monde donc le Ministère des Affaires étrangères et les ambassades (et durant mes pérégrinations j’ai rencontré les ambassades de France en Corée, au Japon et aux États-Unis et la mission diplomatique à Taïwan). Il y a aussi bien évidemment Bpifrance.

L’État, la puissance publique, c’est tout ça ! Donc quand on veut agir sur le bien public ou agir sur la puissance publique, il faut comprendre comment toutes ces parties prenantes interagissent entre elles.

Et je préfère dire l’État que le politique. Parce que le politique, c’est le gouvernement et les élus. Mais dans l’État il y a des gens qui ne sont pas des élus : il y a des fonctionnaires, des ingénieurs, les polytechniciens notamment (il y en a pas mal), il y a le Corps des Mines et Télécom qui jouent un rôle important dans l’état, il y a des corps techniques de l’État, il y a des organismes de recherche (ce n’est pas des politiques, c’est des chercheurs).

Donc l’État c’est tout ça en fait.

L’État c’est la puissance publique, qui représente 23 % je crois du salariat en France et un quart du pays en pratique. Donc c’est un univers très complexe : ce n’est pas juste les politiques. Et quand je dis l’État, je ne désigne pas les politiques. Les politiques sont dans l’État, mais l’État ce n’est pas que des politiques.

La connaissance du fonctionnement de l’État et du secteur public que j’ai accumulé depuis la période Microsoft m’a été très utile. Elle l’a été encore plus quand j’ai commencé à m’intéresser au quantique où j’ai pu mettre à profit tout ce que j’avais appris auparavant avec mes autres casquettes : que soit l’entrepreneuriat ou les rapports du CES qui m’ont permis de rencontrer par exemple Emmanuel Macron, en 2015 à Bercy, alors ministre de l’Économie, d’autres ministres et d’autres personnalités. Quand je me suis intéressé au sujet du quantique j’ai découvert rapidement que la France avait à la fois du potentiel mais qu’il n’avait pas été réellement mobilisé de manière structurée par l’État, et ça m’a donné envie de secouer le cocotier ! Aussi, avec d’autres personnes – parce que je n’étais pas seul, je suis allé rencontrer des conseillers dans les ministères, rencontrer des ministres comme Mounir Mahjoubi à l’époque puis ensuite Cédric O, pour leur dire « Bougez-vous ! Il y a des choses à faire ! ».

Donc j’ai écrit un mémo et je suis allé les voir en parallèle à d’autres acteurs de l’écosystème qui ont joué un rôle important comme Christophe Jurczak (un polytechnicien qui a été le créateur avec le financier Charles Beigbeder du fonds d’investissement Quantonation, et qui lui aussi a pris son bâton de pèlerin), Maud Vinet (qui était au CEA et est maintenant cofondatrice et CEO de Quobly), Jean-Christophe Goujon (un très bon ami, chargé de mission et d’affaires des start-ups du quantique chez BPI France) avec son management jusqu’à Nicolas Dufourcq (qui a joué un rôle important), Neil Abroug (qui, lorsque je l’ai rencontré en octobre 2018, était chargé une mission à la DGE et qui, en 2021, est devenu le coordinateur national de la stratégie quantique)… Tous ces gens-là ont chacun joué un rôle à leur façon, et moi y compris. Et l’Histoire ajoutera probablement un grand nombre d’acteurs et de serviteurs de l’État.

Donc on a secoué le cocotier et ça a mené à l’annonce d’une Stratégie nationale quantique par le Président de la République le 21 janvier 2021, avec la mobilisation d’un de financement de l’État (de l’ordre d’un milliard d’euros tout compris, même si tout n’a pas encore été dépensé). Il y a eu une mobilisation globale du monde de la recherche, des entreprises, des start-ups et de l’État autour de cette opportunité pour la France de jouer un rôle dans le concert international du quantique. Il y a encore du boulot mais on a quand même 60 entreprises dans le domaine en France, on a six startups dans le calcul quantique, on est je crois le 5ᵉ pays en levée de fond dans le domaine (ce qui quand même pas ridicule par rapport à d’autres domaines où comme l’IA où on n’est pas au même rang), on a quelques scientifiques français qui jouent un rôle important à l’échelle internationale… Je peux en citer quelques-uns que je connais bien : évidemment notre prix Nobel 2022 Alain Aspect, des chercheuses comme Pascale Senellart qui a cofondé Quandela, Maud Vinet que j’ai déjà citée qui a créé Quobly, Eleni Diamanti qui est très connue dans le domaine des communications quantiques, Elham Kashefi que je connais bien qui est une Iranienne basée à Paris et qui travaille aussi au Royaume-Uni et joue un rôle important dans les communications et l’information quantique, Alexia Auffèves avec qui j’ai co-lancé la Quantum energy initiative en 2022, qui est maintenant basée à Singapour, des chercheuses, des chercheurs, des enseignants dans d’autres domaines, des gens comme Antoine Browaeys qui a cofondé Pasqal, Valérian Giesz qui a cofondé Quandela, les équipes d’Alice&Bob, etc. Tous ces gens-là, je les ai côtoyés. C’est un nouveau monde que j’ai découvert et qui est très intéressant. »

Godefroy Troude : « On parle souvent des Français comme du peuple le plus déprimé des pays occidentaux… »

Olivier Ezratty : « Oui, ce n’est pas entièrement faux quand on s’en réfère aux sondages et enquêtes d’opinion. »

Godefroy Troude : « …et les médias qui ne font rien pour aller en sens inverse. Mais là-dedans il y a des gens comme toi, comme Xavier Niel aussi, qui ont un discours positif : on a plein de compétences, il faut arrêter de voir tout le temps le verre à moitié vide. »

Olivier Ezratty : « Je ne me définis pas comme un optimiste béat mais plutôt comme un réaliste. Être réaliste sur certains sujets aussi bien sociétaux, technologiques que scientifiques, en disant si ça marche ou si ça ne marche pas.

Par exemple sur l’ordinateur quantique, au départ j’étais un petit peu optimiste, mais maintenant je suis réaliste car je sais que c’est plus compliqué qu’il n’y paraît, et j’essaie de l’expliquer sans pour autant être optimiste béat sur la possibilité pour les scientifiques français et les entreprises françaises de jouer un rôle important dans ce domaine incertain. Le domaine a beau être difficile, complexe et incertain, les Français doivent y jouer un rôle.

Donc oui, on peut avoir une sorte d’optimiste raisonné et dire que malgré la complexité du sujet et l’incertitude il y a des choses à faire pour les Français. Et je dirai même que c’est justement parce que c’est compliqué et incertain que nous avons notre rôle à jouer en tant qu’Européens et en tant que Français. Car dans le cas de figure où il n’y aurait pas d’incertitude scientifique, où en gros la technologie suivrait son cours (selon la loi de Moore ou d’autres lois plus ou moins empiriques), finalement c’est en fait dans ce cas que nous aurions le moins de chance parce que c’est là où les Américains avec leur force économique, leur force marketing et la force de leur empreinte mondiale dans la technologie, nous dépassent nous les Européens et nous les français. Alors que quand c’est compliqué, quand il faut avoir une sorte de génie scientifique ou de génie technologique et un génie créatif, c’est là finalement où on peut en tirer le meilleur même si on n’est pas un grand pays. Car même si on est un grand pays par notre influence, on reste un 1/8ᵉ des États-Unis… On ne peut pas y couper. On est plus petit que les Allemands d’un point de vue macro-économique, on est 60 à 70% des Allemands en terme de taille de pays selon les méthodes. Donc partant de cette réalité économique et démographique il faut faire avec ce qu’on a, faire avec le génie français comme on dit. Et le quantique c’est un des domaines où on a un rôle à jouer. Mais ce n’est pas le seul, il y en a d’autres comme l’IA.

Donc il faut savoir gérer des alliances, savoir travailler à l’échelle européenne, savoir travailler sur le continent américain car il faut y être présent si on veut devenir un leader mondial. Et le quantique, comme l’IA, comme d’autres domaines scientifiques ou technologiques, ce sont des domaines où il faut savoir extraire ce qu’on a de bon, extraire de notre créativité ou de nos qualités scientifiques ou technologiques ce qu’on peut en faire pour créer des acteurs régionaux, mondiaux, comme on a su le faire par le passé :
Dassault Systèmes, une société que j’ai bien connue à l’époque où j’étais chez Sogitec (qui était une filiale de Dassault comme Dassault Systèmes), qui est devenue une société à part entière et qui est le leader mondial dans son domaine de la conception assistée par ordinateurs et tout ce qui va autour.
Business Objects dont j’ai bien connu la création parce qu’elle a été créée par un centralien de la promotion juste avant moi, Bernard Liautaud.

J’ai vu comment on pouvait créer des leaders mondiaux en France. On sait le faire, on peut le faire. Ça n’arrive pas tous les jours, ce n’est pas facile, mais c’est possible ! Et à chaque fois les sociétés que j’ai connues par le passé (que j’ai cité) ont réussi dans leur domaine à la fois parce qu’il y avait une excellence technologique et scientifique et aussi parce que il y avait une capacité à s’exporter rapidement, à être présent rapidement sur le marché américain. Tout ça c’est possible potentiellement de le reproduire dans les domaines nouveaux comme la Biotech, la Medtech, L’IA et le quantique.

Donc le quantique, comme c’est un domaine compliqué, incertain et où il y a beaucoup de science, c’est un domaine où on peut potentiellement reproduire certains des facteurs de succès qui ont fait que certaines entreprises françaises ont réussi à l’échelle mondiale à devenir des leaders.

Je ne dis pas que c’est gagné d’avance. Je n’ai aucune prétention à raconter des salades sur le fait que telle société ou telle startup va devenir un leader mondial face à IBM ou face à Google. Non, je n’en sais rien à l’avance. Mais au moins on peut essayer. Voilà c’est ça l’idée. Mais évidemment, c’est difficile, c’est compliqué, il y a de la science dont on ne sait rien, on ne sait pas si l’ordinateur quantique va un jour réellement livrer ses promesses. Mais au moins, des scientifiques français et des entrepreneurs français vont jouer un rôle dans ce cadre mondial, comme Quandela, comme la société Pasqal, comme Quobly, comme Alice & Bob… Tous ces gens-là et les chercheurs et entrepreneurs qui sont derrière joueront un rôle pour influencer le cours des événements. »

Le Quantique

Olivier Ezratty : « En 2017 j’avais décidé de faire une conférence sur le quantique avec Fanny Bouton, quelqu’un également de très important dans ma vie professionnelle puisque c’est avec elle qu’on a lancé l’année suivante notre aventure tous les deux dans le quantique. »

Godefroy Troude : « Le quantique c’est l’essentiel de ton travail depuis plusieurs années… »

Olivier Ezratty : « Oui, je fais plus que ça maintenant ! Je suis à 100 % dans le quantique ! Mais finalement c’est tardif dans ma vie professionnelle… C’est ma dernière aventure.

Une aventure qui a démarré en fait en 2015 où je faisais mon rapport annuel du CES. À l’époque j’entendais beaucoup parler de ce que faisait Google avec D-Wave, qui était une des premières startups du quantique si ce n’est pas la première d’ailleurs puisqu’elle a été créée en 1999. Et cette startup qui avait fourni un ordinateur quantique à la NASA et à Google faisait parler d’elle via la communication de Google, qui d’ailleurs était extrêmement exagérée à l’époque : ils disaient qu’ils étaient capables de faire des calculs sur cette machine qui représentait l’équivalent de 100 millions d’ordinateurs portables… Ça s’est avéré faux en grande partie, mais ça m’a donné envie de m’intéresser au sujet.

Donc en 2016 je décide qu’en 2018 je ferai une conférence à Nantes dans la lignée des conférences que j’évoquais avant : Le quantique c’est fantastique. En juin 2017, je propose à Fanny Bouton de le faire avec moi, notamment, parce que parler de la parité de genre et faire des photos c’est bien, mais c’est mieux de réellement la mettre en musique.

D’ailleurs ce n’était pas la première personne avec qui j’avais fait une conférence : en 2016, j’avais déjà fait une conférence avec Annabelle Roberts, qui est une grande spécialiste de la prise de parole en public. J’avais écrit peu avant, en 2015, une série de quatre posts sur la biologie de la prise de parole en public, où je m’étais intéressé au fonctionnement du cerveau sur un plan biologique, au niveau hormonal (pourquoi on a le trac, pourquoi on parle bien – ou pas bien – en public…). Et Annabelle, qui formait des intervenants de grandes entreprises à parler en public, avait lu ce papier et m’avait contacté : c’est vachement intéressant ton truc ! Je lui ai répondu : ça tombe bien, j’ai prévu de faire une conférence là-dessus. Et on l’a fait ensemble : Réussir ses présentations, de la science à la pratique.

Donc pour ma conférence sur le quantique, j’ai appliqué la même règle : je connaissais Fanny Bouton depuis une quinzaine d’année, on se croisait chaque année sur les CES, et on a décidé tous les deux de faire cette conférence ensemble. Et elle m’a enrichi avec sa méthode de travail, car elle a été très longtemps journaliste… Moi je ne suis pas journaliste, hein ! D’ailleurs je n’aime pas qu’on me définisse comme un journaliste, je suis plutôt consultant, ingénieur et auteur. Néanmoins Fanny m’a forcé à appliquer des méthodes issues du monde du journalisme : aller voir des gens, les interviewer, les rencontrer.
Et la première personne qu’on est allé voir est Alain Aspect ! C’était en mai 2018. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui dans différents contextes et qu’en octobre 2022, il a obtenu le prix Nobel de physique ! Ça fait partie de la merveilleuse aventure du Quantique où tu rencontres des gens qui deviennent des prix Nobel ! Voilà ! (sourire) »

Godefroy Troude : « Que peut-on dire aux jeunes générations sur les technologies quantiques ? Pour leur donner envie d’y aller ? »

Olivier Ezratty : « Les technologies quantiques, c’est un univers à part entière, dans lequel on baigne sans le savoir ! Nos téléphones, nos ordinateurs, les fibres optiques, tout cela ne fonctionnerait pas sans la physique quantique. D’ailleurs le corps humain lui-même ne fonctionnerait pas sans la physique quantique, car le vivant, la chimie… s’expliquent par la physique quantique à bas niveau, au niveau des atomes, des électrons, du fonctionnement des molécules.

Les technologies quantiques, que j’ai découvertes il y a 6 ans, sont amenées à apporter une valeur ajoutée principalement dans trois domaines :
– un premier qui est celui des capteurs quantiques : les capteurs de grandeurs physiques (gravité, l’accélération, la température, la pression, le magnétisme…) peuvent s’améliorer grâce à des dispositifs quantiques.
– le deuxième c’est les communications et la cryptographie, qui peuvent aussi s’appuyer sur des principes quantiques pour améliorer la protection de la communication, ou peut-être même à terme de permettre à des ordinateurs quantiques de dialoguer entre eux.
– et puis le troisième est l’ordinateur quantique, un gros morceau qui m’occupe beaucoup. C’est un ensemble de technologies qui est sensé (parce que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui) rendre possible des calculs impossibles actuellement : simuler et développer de nouveaux procédés chimiques (dans l’énergie, dans la santé, etc.), optimiser des processus complexes dans les entreprises, dans le domaine de l’IA pour améliorer le machine learning…

En découvrant ça au fil de l’eau, pendant ces six années, je me suis rendu compte que mettre au point ces machines était plus compliqué qu’il n’y paraissait, ce qui m’a amené à écrire beaucoup, à faire deux séries de podcasts avec Fanny Bouton, et enseigner sur le sujet, notamment à l’Épita, à intervenir dans des écoles d’ingénieur comme CentraleSupelec ou l’Ensta. J’interviens aussi à l’IHEDN, l’Institut des hautes études de défense nationale, pour expliquer les enjeux géopolitiques du sujet…

Le quantique, c’est devenu une aventure qui m’a dévoré, au propre comme au figuré d’ailleurs. Je fais plus que ça maintenant !

La dernière édition de mon livre sur le quantique publiée en septembre 2023 fait 1366 pages, en anglais. Ce n’est pas une thèse de doctorat. Certain(e)s physicien(ne)s m’ont fait remarquer de manière désobligeante que je n’avais pas de thèse de doctorat. J’ai tout de même écrit ce nombre impressionnant de pages pour vulgariser le sujet sous toutes les coutures. Et dedans, il y a même des matrices densité, des mathématiques, et des choses assez techniques sur le domaine. De nombreux physiciens apprécient la largeur de couverture du sujet, notamment autour de l’écosystème et des technologies habilitantes. Les ingénieurs qui découvrent le sujet ont parfois du mal à rentrer dedans. Il faut être patient et le consommer morceau par morceau.

J’ai d’ailleurs une méthodologie pour le mettre à jour qui se peaufine progressivement. J’examine tous les matins les nouveaux articles publiés sur arXiv. Je fais un tri sur leur titre puis les mets de côté. J’ai développé un petit script qui génère une bibliographie de la journée en quelques secondes. Puis j’arrive à identifier les éléments essentiels de ces articles scientifiques dans leur introduction et leur conclusion, avant d’aller éventuellement plus loin. Le gros du boulot consiste à les classifier au bon endroit dans la structure de mon livre. J’ai une méthode de veille très simple pour y parvenir. Dans certains sujets, il y a quelques mots clés à chercher comme « post-selection », « qubits », « fidelities », « error rates », « herald », etc. Puis, pour les papiers les plus intéressants ou les plus visibles, notamment ceux qui sont issus d’acteurs du secteur privé, il reste à voir ce qu’en disent les spécialistes sur X ou LinkedIn. On peut de la sorte se faire rapidement une bonne idée. Et notamment trouver des « lézards » dans les papiers scientifiques ». 


Les publications d’Olivier Ezratty, plus de 7500 pages début 2024 (montage GTR)

Godefroy Troude : « Je sais que cela va te gêner, mais il faut souligner qu’il n’y a personne au monde qui fait des trucs comme tes rapports du CES, ou tes rapports sur le quantique par exemple, et de surcroît diffusés gratuitement. C’est quand même remarquable ! »

Olivier Ezratty : « Comme disent les américains « It’s in the eye of beholder ! ». C’est les autres qui le disent ! Moi je fais à ma façon, avec la passion qui m’anime, avec la volonté de découvrir. Je me dis toujours que je suis intellectuellement un insatisfait permanent. Le bouquin fait presque 1 400 pages mais je sais qu’il manque plein de trucs dedans ! Donc je me dis que je vais les rajouter ! Ça va faire 1 500 ou 1 600 pages. Et je ne serai toujours pas content, au sens je suis un insatisfait permanent car je suis curieux, car je sais qu’il y a des domaines qui me manquent, car j’ai cette espèce de syndrome de l’imposteur permanent qui est de dire que Oui, il y a des trucs que je n’ai pas compris. Et le Quantique c’est un défi permanent ! On ne peut jamais prétendre d’avoir compris. En ce moment, par exemple, je planche sur une taxonomie compréhensible des algorithmes quantiques. Cela me prend des heures, parfois, pour juste créer un tableau de synthèse.

D’ailleurs même le prix Nobel Alain Aspect a parfois des trucs qu’il n’a pas compris. Quand je l’ai vu la première fois avec Fanny Bouton en mai 2018, c’était énorme : on a passé trois heures avec lui et on a discuté évidemment du sujet de son Nobel qui est l’intrication quantique, un truc qui avait généré un débat sur la complétude de la physique quantique entre Albert Einstein et Niels Bohr. Alain Aspect a départagé leurs positions respectives en prouvant en 1982 que l’intrication n’était pas explicable par ce qu’on appelle des variables cachées, compatibles avec le modèle de la physique quantique ! Et après trois heures de discussion, il nous demande si on a compris comment fonctionne l’intrication… Avec Fanny on est tous les deux un peu interloqués, car c’est quand même le gars qui a fait l’expérience fondamentale, et on avoue que non, on n’a rien compris (rire). Et il nous répond « Bien moi non plus ! » (rire) C’est énorme ! C’est le gars qui a eu le prix Nobel pour cette expérience ! Parce qu’en fait, on ne sait pas l’expliquer. Ce qui est fondamental dans la physique quantique c’est que :
– on sait décrire avec des mathématiques ce qui se passe à l’échelle des électrons, des atomes et des photons,
– on sait le prouver expérimentalement,
– mais on ne sait pas l’expliquer complètement, on ne sait pas dire ce qui se passe réellement. On ne sait pas dire pourquoi deux objets (électrons, photons, atomes) qui ont un passé commun, interagissent entre eux et se coordonnent mais sans se parler. On sait prouver qu’ils ne se parlent pas, mais pourtant ils se coordonnent d’une certaine manière et on ne sait pas l’expliquer ! ».

Godefroy Troude : « Einstein à l’époque, donc il y a un siècle, n’avait-il pas poussé le bouchon de cette intrication quantique pour montrer que ce n’était pas possible ? »

Olivier Ezratty : « Non, ce n’est pas tout à fait ça. On pourrait parler longtemps d’Einstein, d’ailleurs Alain Aspect a d’ailleurs écrit un livre là-dessus. En fait, Einstein émettait des réserves sur le fait que la mécanique quantique se suffisait à elle-même pour décrire le monde et la réalité physique sous-jacente. Il considérait que c’était une science incomplète, qu’il manquait quelque chose, qu’elle ne pouvait expliquer tout de manière rationnelle et prédictible. Il ne disait pas que les expériences réalisées et la théorie sous-jacente n’étaient pas valables.

Et elle était valable puisque toutes les expériences jusqu’à encore aujourd’hui valident cette théorie et son formalisme mathématique, qui vient en gros du formalisme de Heisenberg et des équations de la fonction d’onde de Schrödinger, puis après le travail de Niels Bohr et de Paul Dirac, et tout un formalisme physique et mathématique qui vient tout ça. Ça n’a jamais été mis en défaut par les expériences. D’ailleurs, très souvent le formalisme quantique a permis d’expliquer des expériences antérieures : par exemple quand on expose certains gaz ou certains métaux à des rayonnements électromagnétiques, on observe des raies qui apparaissent dans leur spectre lumineux. On ne sait pas les expliquer sans la physique quantique !
Et ces raies avaient été découvertes à la fin du XIXᵉ siècle, avec les raies de l’hydrogène découvertes par Balmer ou Paschen. Puis l’effet Zeeman, normal et anormal, et l’explication de cet effet n’est venue qu’autour de 1926 avec la découverte du spin de l’électron, qui a été le résultat d’un travail mathématique, d’un travail d’expérimentateur, et on a prouvé ensuite que l’effet était explicable par une nouvelle propriété physique dénommée le spin de l’électron.

Mais le spin de l’électron c’est quoi ? Au début les gens se sont dit que cela correspondait à une rotation de l’électron sur lui-même, soit dans le sens des aiguilles d’une montre, soit en sens contraire. Mais après il y a des chercheurs qui ont dit que ce n’était pas possible, qu’un électron ne peut pas tourner sur lui-même car le bord de l’électron qui était une petite boule irait plus vite que la lumière, ce qui violerait la théorie de la relativité. Donc les gens ont dit que c’est un Schmilblick qui va vers le haut ou vers le bas selon l’axe dans lequel on le mesure mais ça ne correspond pas à une rotation. C’est une propriété physique mais qui n’a pas d’incarnation dans la physique classique euclidienne des objets qui sont autour de nous. On ne peut pas dire que c’est un truc qui tourne. Le spin électron c’est un exemple des mystères de la physique quantique.

L’intrication quantique est aussi un mystère : on ne sait pas vraiment dire ce qui se passe. Mathématiquement on peut l’expliquer avec des maths mais on ne sait pas dire ce qui se passe physiquement.

D’autres phénomènes sont tout aussi mystérieux :
la superposition des états, même si l’aspect ondulatoire des objets quantique sert de base de départ,
la dualité onde-particule (le fait qu’une particule puisse être à la fois un objet ou une onde selon la manière dont on la manipule),
la mesure quantique elle-même (quand on mesure un objet superposé, il s’écrase sur un des états possibles),
et je ne te parle pas de la matière noire et tout ça… C’est encore pire…

Tout ça on ne sait pas l’expliquer en détail. Il y a encore plein de mystères ! »

Godefroy Troude : « Ce qui est déroutant avec la physique quantique c’est qu’au-delà des bases apprises au lycée avec par exemple les couches d’électrons, on n’a plus la possibilité de trouver des analogies mécaniques pour se représenter les choses mentalement. »

Olivier Ezratty : « On arrive quand même à en trouver mais ces analogies sont plus ou moins valables. Par exemple, il y a un physicien avec qui je travaille beaucoup en ce moment qui s’appelle Philippe Grangier, le premier thésard d’Alain Aspect, et on travaille sur justement ce qu’on appelle les fondations quantiques (les « Quantum foundations »). C’est une discipline qui est à la frontière entre la philosophie (dans sa manière de décrire le monde et la réalité du monde), et la physique quantique et les mathématiques. C’est une discipline qui relie tout ça. Et la grande question qui est posée c’est : comment peut-on créer un cadre pour la physique quantique qui est proche du cadre de la physique classique, et qui est si possible déterministe ? C’est difficile ! C’est un travail en cours qui donne lieu à beaucoup de réflexions, beaucoup de discussions, avec une dizaine de chapelles qui discutent et s’affrontent. Et Philippe Grangier incarne l’une de ces chapelles, qui s’appelle l’ontologie CSM (Contexte Système et Modalité) qui est une manière de voir les choses sur la réalité de la physique quantique et c’est passionnant de travailler avec ces gens-là. On découvre les limites du savoir et les limites des interprétations et en même temps, ça oblige à se poser des questions fondamentales notamment en liaison avec les technologies elles-mêmes. Par exemple, le calcul quantique est un domaine où je me pose beaucoup de questions, notamment en liaison avec le travail de Philippe sur par exemple : qu’est-ce qui est déterministe ou pas dans un calcul ? Et se poser des questions sur le déterminisme de ce qui se passe dans la physique peut avoir un lien sur le déterminisme dans le calcul lui-même, et même sur les classes d’algorithmes, sur ce qu’on peut résoudre ou pas, comment on résout, le temps le temps que ça va prendre pour résoudre un problème, tout ça c’est lié ! Et j’adore me plonger dans ce questionnement.

Ma position d’aujourd’hui dans ce petit milieu n’est pas évidente. C’est un milieu difficile. Quand tu arrives dans la physique quantique et que tu es juste ingénieur, tu es pris pour un amateur. Sans thèse de doctorat, on te prend pour un amateur quand ce n’est pas …un journaliste, ce qui a le don de m’agacer ! Mais petit à petit, maintenant j’arrive à discuter avec ces spécialistes et à mettre sur la table des questionnements qu’eux-mêmes n’ont pas forcément déjà eu. Et c’est très marrant d’être en position, notamment par le caractère très généraliste des sujets que je peux couvrir, d’arriver avec des questionnements pertinents ! C’est assez grisant de se poser des questions avec les plus grands scientifiques que je connais en France ! Est-ce qu’il y aurait une conjecture qui dirait que ça, ça et ça… Et les physiciens disent : « Oui c’est une bonne question » (rires). La science a quand même commencé par des questions. Si tu arrives à démarrer une relation avec des scientifiques en posant des questions fondamentales qui n’ont pas été traitées jusqu’à présent, tu peux apporter une certaine contribution. Ensuite c’est encore mieux de trouver les réponses, et c’est moins évident ! »

Le leadership c’est l’art de poser les bonnes questions

Olivier Ezratty : « Je me rappelle toujours d’une phrase que j’ai entendue dans un séminaire de management chez Microsoft en 1998 (comme quoi il y a des trucs qui marquent dans la vie), c’est : Le leadership c’est l’art de poser les bonnes questions. Et j’aime bien cette expression parce qu’on ne l’applique jamais assez soi-même (moi-même je sais que je n’applique pas assez la méthode) mais c’est fondamental d’être toujours en en mode questionnement, plutôt que d’avoir une réponse toute faite. Donc à la limite quand on te pose une question il faudrait répondre comme un Jésuite : reformuler la question plutôt que d’avoir la réponse tout de suite.

Évidemment, il y a des cas de figure où on pose une question et on n’a pas la réponse. Ça m’arrive tout le temps ! Sur le quantique : est-ce que tu penses que l’ordinateur quantique va arriver dans cinq ans ou est-ce que ce ou est-ce que cela ? Et ma méthode actuellement c’est toujours de répondre : je ne sais pas mais je vais élaborer. Tu ne sais pas dire à quelle année ça va arriver, par contre tu peux élaborer des éléments de réponse, voilà les questions qu’il faut se poser par rapport à la question initiale. C’est une démarche intellectuelle : comment tu aboutis à une réponse construite alors que tu n’as pas la réponse au départ. Ça, je l’ai appris chez Microsoft. Les grands chefs comme Steve Ballmer avaient l’habitude de nous poser des questions et il n’y a jamais de réponse toute faite. Genre, quel est le chiffre d’affaires du concurrent en France ? Tu ne sais pas ! Des questions purement économiques… Donc tu essaies de trouver la réponse par des voies détournées : tu crées des ratios, tu regardes la taille comparée des boîtes à l’échelle mondiale, après tu fais le ratio par rapport à la France, tu regardes le ratio entre la France et les États-Unis ou la France par rapport à l’Angleterre et l’Allemagne. Et à partir d’une question qui n’a pas de réponse immédiate, quand tu prends les éléments d’information dont tu disposes déjà, tu peux trouver la bonne réponse à la question, de manière approximative mais le bon ordre de grandeur. Mais de manière complètement indirecte. L’autre manière c’est d’aller demander à la boîte s’ils peuvent te le dire mais souvent ils ne le disent pas. Alors tu peux essayer de voir combien il y a de personnes dans la boîte, par extrapolation… Donc j’ai appris ce truc-là il y a 25 à 30 ans : comment obtenir une information de manière détournée et c’est important dans plein de domaines (en sciences, en économie, en ressources humaines…), comment tu fais pour obtenir une information quand il n’y a pas d’information ? »

Transmettre

Godefroy Troude : « il a une caractéristique chez toi que je trouve très importante, c’est la transmission. Transmettre aux autres »

Olivier Ezratty : « En effet on n’a pas parlé de l’enseignement… C’est clair que ce qui définit une grosse partie de ce que j’ai pu faire depuis l’école Centrale jusqu’à aujourd’hui c’est la transmission. C’est-à-dire le partage. C’est d’abord la curiosité, puis l’émerveillement, puis la consolidation du savoir, puis le partage. Mais en mode itératif : le fait que tu partages fait que tu rencontres des gens, fait que tu es de plus en plus curieux, fait que tu apprends de plus en plus de choses, fait que tu as plus en plus envie de partager et c’est ça qui fait que mes livres augmentent en taille à chaque fois : c’est la loi de Moore du savoir, le savoir croit tout le temps…

D’ailleurs la plus grosse question que je me pose aujourd’hui sur le savoir, c’est au sujet de ChatGPT ! Quand tu es ingénieur, chercheur, entrepreneur, etc. Que va-t-on faire si ton smartphone répond à toutes tes questions ? Qu’est-ce que tu fais une fois que tu as la réponse à toutes les questions ? Où est la créativité ? D’ailleurs d’où viennent les réponses, parce que les réponses viennent d’un savoir-faire humain à l’origine. Donc qu’est-ce que tu fais une fois que tu as toutes les réponses à toutes les questions ?

Je ne suis pas sûr que tout le monde soit capable de répondre à la question au sens où : comment ça va changer ton travail ? Comment ça te remet en question toi-même ? Quelle question tu as envie de poser pour avancer dans ton boulot ou dans ta vie ?

Ce qu’a fait ChatGPT 4 est assez incroyable. Il a consolidé une bonne partie du savoir humain ! Donc une fois que tu as toutes les réponses à toutes les questions, je me suis rendu compte que, par exemple, ces parties de mon livre sur le quantique qui m’ont pris des dizaines d’heures à consolider de l’information dans tous les sens, lorsque je demandais à ChatGPT : « fais-moi la liste des dispositifs de tel type » il me les sortait directement ! ». Enfoiré ! Je ne dis pas que j’étais jaloux, mais j’ai fait Whaaaahh !! (rire ébahi). Autre exemple : il y a un mois, je lui ai demandé la liste de ce qu’on appelle les « figures de mérite », c’est-à-dire les caractéristiques techniques d’un élément super technique dans le quantique. Dans Google tu n’en trouves pas beaucoup. Et là ChatGPT, d’un coup, me sort les neuf critères ! Pffff. Alors je pousse le bouchon et je lui demande : oui mais le 8ᵉ, comment on l’améliore ? Et là il te donne la réponse !

Alors l’explication serait que j’ai sû poser les bonnes questions ! On retombe sur la métaphore du leadership : c’est l’art de poser les bonnes questions !

Dans un monde où tu as tes réponses à toutes tes questions, ton savoir-faire va consister à savoir poser des questions, et presque plus que d’avoir la réponse. Et c’est un savoir-faire en tant que tel ! Ça s’apprend, c’est la curiosité, c’est savoir prendre un problème sous des angles différents et c’est le questionnement ! D’ailleurs tous mes bouquins sont liés à des questionnements : L’entrepreneuriat, c’est quoi ? Qu’est-ce qu’un produit ? Comment tu crées ta boîte ? Dans quel ordre ? Est-ce que tu mets les gens avant la techno, le produit, le marketing ? Dans quelle ordre tu mets tout ça ? Ce sont des questions que je me pose systématiquement en fait.

Exemple : une des grandes questions que je me pose sur l’informatique quantique est : quelles sont les meilleures pédagogies pour expliquer comment on programme un ordinateur quantique ? Et bien j’ai la question mais je n’ai pas la réponse. Et personne ne l’a, parce que si tu regardes deux profs, il n’y en a pas deux qui enseignent cela de la même façon, sauf quand ils utilisent le même bouquin en référence. Il y a quasiment autant de méthodes que de profs. Et je n’ai pas encore trouvé la méthode idéale, facile d’accès, compréhensible par un développeur, comme toi, lambda, au sens qui fait la programmation procédurale classique.

Expliquer comment tu construis un algorithme quantique dans le détail, avec les portes et tout et tout… c’est un enfer ! Tout est différent ! Il faut tout reprendre à zéro ! Et la logique n’est même pas expliquée de la même manière selon les angles d’attaque possibles : il y a des angles mathématiques, des angles électroniques, des angles plutôt orientés réseaux de neurone… Et un truc absolument extraordinaire : je me suis rendu compte que le fameux algorithme super connu dans le quantique, censé casser les clés RSA de la cybersécurité, qui s’appelle l’algorithme de factorisation de Shor, et bien tous ceux qui connaissent le quantique en ont entendu parler mais personne ne peut t’expliquer en entier comment il marche ! À chaque fois, je tombe sur quelqu’un qui m’explique un bout mais pas le truc en entier !

Et c’est le plus connu ! Je suis rendu compte que lorsque j’en parlais dans mon livre c’était partiel : il manquait des éléments. Et donc, une de mes ambitions parmi plein d’autres côté transmission c’est, est-ce que je pourrais un jour moi-même expliquer Shor complètement, avec des jolis schémas de bout en bout, et que ce soit compréhensible par un développeur lambda. Je n’y suis pas encore ! D’abord, je n’ai pas tout compris. J’ai compris vaguement mais il faut faire de l’algèbre des nombres entiers, il faut connaître le calcul quantique en détail, il faut comprendre la notation mathématique qui est un peu tordue, il faut se poser des questions sur la manière dont c’est séquencé. L’algorithme contient plein de parties différentes et souvent les gens expliquent celle du milieu mais jamais celle du début ni de la fin.
La curiosité c’est cette espèce de volonté insatiable de se poser des questions et de chercher la question suivante… La question suivante est plus importante que la réponse de la question. Une fois que tu as répondu à la question, c’est quoi la question d’après ?

Autre exemple, une question que j’ai posée aux startups : une fois que l’ordinateur quantique marche, vous faites quoi avec ? Tout le monde cherche à faire truc qui est très difficile à réaliser et il faudra peut-être plus de 10 ans pour y arriver, mais une fois que tu l’as tu fais quoi avec ? Ils ne savent pas forcément ! Parfois, il s’agit de questions d’enfant avec un état d’esprit d’enfant, qui ont presque plus de valeur que les questions d’adultes. Car très souvent les questions les plus simples n’ont pas été posées. Les questions compliquées ont été posées mais pas les questions simples.
Je sais à quoi sert un ordinateur quantique, mais je demande à quoi ça sert une fois qu’on atteint une étape clé comme les 100 qubits logiques ? Les gens disent « Bonne question » mais n’ont pas de réponse bien documentée. »

Godefroy Troude : « Est-ce que tu peux nous parler des Padawans ? »

Olivier Ezratty : « Du fait de mes gamins, qui sont maintenant tout ce qu’il y a de plus adultes, je suis très influencé par la science-fiction et notamment par Star Wars. D’ailleurs je suis en train de les revoir tous avec mon ami Vincent. Et ça m’inspire beaucoup : le bien, le mal, c’est très basique mais tout ça c’est de la philosophie, de la philosophie politique avec notamment, comment une République devient une Dictature. La question se pose en ce moment aux États-Unis. Des films très grand public comme la série des Star Wars tout comme des séries TV comme Game of Thrones ou House of Cards peuvent faire écho à notre monde contemporain.

Les Padawans, c’est la métaphore du maître et de l’élève, et de l’élève qui dépasse le maître, voire qui tue le maître (je n’en suis pas encore là, dans un sens ou dans l’autre, quoique…). Lorsque tu aimes transmettre, il est intéressant de rencontrer dans la vie des personnes dont tu sens qu’ils vont gérer à leur tour un peu le rôle du relais. Pas forcément en faisant la même chose que toi. J’ai la chance, comme plein de personnes notamment quand tu as été manager, d’avoir croisé dans ma vie des gens qui incarnaient ça. Il y en a quelques-uns que j’aimerais citer (que j’avais cité il y a quatre ans lors de la remise de mon ONM).

Le premier est Jean-Baptiste Kempf, qui est centralien comme moi. Il se trouve que je l’ai eu comme élève en 2005, c’était la première année où je faisais des cours à l’École Centrale et c’est lui qui est derrière VLC et Videolan. Il n’est pas seul, il y a eu d’autres contributeurs. C’est un projet qui avait démarré à l’école Centrale en 1996 et c’est devenu le VLC que tout le monde utilise pour regarder des vidéos. Il a créé une boîte. Il a été extrêmement prolixe dans son activité. C’est un apôtre de l’Open Source, il est très actif dans son domaine et c’est une fierté d’avoir eu comme élève un gars comme ça. Il avait d’ailleurs exploré l’ordinateur quantique lorsqu’il était à l’ambassade de France aux USA en 2007-2008.

Plus récemment, il y a Tara Mestman, une jeune fille que j’ai rencontrée avec Marie-Anne Magnac vers 2019 dans un événement qui s’appelait La journée de la femme digitale, organisé par Delphine Remy-Boutang. Elle était avec Claude Terosier qui avait créé Magic Makers, une sorte d’école pour apprendre aux jeunes filles à coder, et elle était montée sur scène pour montrer un développement en TensorFlow, avec un petit robot avec de l’IA. Elle était en seconde à l’époque ! Je l’ai rencontrée en coulisses et je lui ai parlé de ce que je faisais et à l’époque dans le quantique. Elle a regardé mon livre sur le quantique, que j’écrivais encore en français à l’époque, elle a trouvé ça intéressant, et avec Fanny on l’a fait intervenir avec nous pour expliquer le quantique à des jeunes. Avec l’idée qu’il vaut mieux que ça sorte d’un jeune pour parler à d’autres jeunes, en plus des adultes. Depuis je suis resté en relation avec elle. Elle est devenue élève-ingénieure à l’ESILV, l’École supérieure d’ingénieurs Léonard-de-Vinci, à La Défense. Elle est en 2ᵉ ou 3ᵉ année, elle s’intéresse à tout ça et bientôt elle sera sur le marché de l’emploi. J’aime bien la durabilité d’une relation avec les gens. Padawan ou pas. Comment tu gères une relation dans dans la durée. Je pense que je resterai en contact avec elle quand elle sera ingénieur dans la vie professionnelle, alors que je la connais depuis qu’elle était lycéenne.

Il y en a plein comme ça que j’ai croisé dans différents domaines. Un autre exemple c’est dans les entrepreneurs du quantique. Il y en a plein que je connais depuis bien avant qu’ils créent leur boites. Ils étaient chercheurs, ils sont venu me voir, on a discuté, je les ai encouragés (ou pas d’ailleurs, ça dépend des cas…), ils ont créé leur boîte et il lèvent des fonds 10, 20 ou 100 millions, et je les regarde évoluer dans le temps et peut les aider occasionnellement si la possibilité m’en est donnée.

Ce qui est bien, c’est lorsqu’il y a une forme de gratitude. Après, des fois, certains oublient que tu les as aidés. Ce sont les déceptions de la vie. Ça arrive mais, heureusement, c’est rare. C’est bien de pouvoir gérer la relation dans la durée, avec des gens que tu as pu accompagner.

L’autre phénomène dans les Padawan, c’est ceux que tu ne connais pas. Dans mon cas, ça arrive très souvent : ce sont des personnes dont tu as influencé le cours de la vie par tes écrits, conférences ou interventions orales, et qui te le disent 5 ans après ! Un cas de figure qui m’a beaucoup marqué vers 2018 ou 2019, c’est un jeune entrepreneur qui m’a dit s’être intéressé à l’entrepreneuriat après avoir lu mon guide des startups, puis est allé au CES après avoir lu mon rapport du CES et m’a remercié pou ces deux livres. Ça fait ta journée ! Et dans le quantique, ça m’arrive régulièrement : je rencontre des étudiants qui ont découvert le quantique par les podcasts que j’anime avec Fanny Bouton depuis maintenant 2019 (on a plus de quatre ans de podcasts) et par mon bouquin, et parfois par des cours ou d’autres interventions.

Les gens ne le disent pas tous les jours. Des fois tu as des invitations LinkedIn de gens qui te le disent. Mais souvent il y a un effet retard. Ça te montre que ce que tu fais est utile. Humainement, c’est mieux que travailler dans une tour d’ivoire. Tu as un retour de gens qui disent : ça m’a aidé ! Et le retour encore meilleur provient des personnes qui t’aident à améliorer ce que tu fais toi-même. Mais le simple fait d’avoir des gens qui te disent : merci, ça m’a aidé, continuez est une forte gratification !

C’est ça qui fait que tu continues. Parce que le jour où plus personne le fait, tu arrêtes. À moins que tu aies envie de vivre dans un univers fermé.

Donc, la transmission c’est un peu ça : c’est la curiosité, l’envie de transmettre, mais quand même un phénomène humain. Tu attends une espèce de retour car la communication, c’est dans les deux sens. Donc, tu attends un retour et s’il dit que c’est bien, tu continues. Il y a un renforcement positif. La transmission marche quand même quand il y a un retour quelque part.

Alain Aspect est un bon exemple : il parle de toutes ses générations de thésards qui ont été les thésards de ses thésard de ses thésards de ses thésard : il y a cinq générations je crois au tout minimum. Il parle de ceux qu’il a eus comme thésard qui ont créé des startups, il montre comment il a transmis cette passion pour la physique quantique et comment ça a débouché sur des boîtes, sur des bons chercheurs, parfois des brevets, de la richesse économique, etc. et il est bien content de le voir de son vivant et d’être remercié pour la flamme qu’il a communiquée à d’autres chercheurs, des ingénieurs et des entrepreneurs.

Voilà la transmission, c’est un peu tout ça. C’est ce qui fait ta vie. »

Godefroy Troude : « Merci beaucoup Olivier d’avoir transmis le relais à nous tous, d’avoir transmis ton énergie et ton enthousiasme. »

Pour aller plus loin

Publications d’Olivier Ezratty (31 totalisant plus de 7500 pages*)

Articles blog Olivier Ezratty (plus de 1000*)

Interviews d’Olivier Ezratty (plus de 350*)

Bio d’Olivier Ezratty

Conférences d’Olivier Ezratty :

La valeur émotionnelle des objets (2014, Web2Day, 0h35)
L’incroyable monde des semi-conducteurs (2014, Web2Day, 0h51)
Les promesses du séquençage de l’ADN (2015, Web2Day, 0h47)
Où nous mène la convergence technologique ? (2015, Web2Day, 0h27)
Réussir ses présentations, de la science à la pratique (2016, Web2Day, 1h01)
L’astronomie et l’entrepreneuriat (2017, Web2Day, 1h03)

* en avril 2024

Notes

Entretien réalisé le 14 février 2024 à Fontenay-aux-roses. Entretien, image, son, montage : Godefroy Troude

Le montage vidéo et sa retranscription écrite ont été relus, édités et approuvés par Olivier Ezratty. Certains sujets, abordés à plusieurs moments de l’interview, ont été regroupés dans la retranscription écrite. D’autres points communiqués par Olivier Ezratty ont été ajoutés dans la retranscription et sont absents de l’enregistrement brut initial de l’interview. L’entretien a duré 2h30 minutes et son montage vidéo est quasiment intégral (2h17 minutes).

Crédit photo : Collection personnelle Olivier Ezratty : journaux et classeurs d’archives, livre Akira Kurosawa, document du BDE Piston information, articles sur l’imprimerie dans le magazine Bourdonnement, article Piston information, guide du première année Ecole Centrale, bande de Stage IBM 4341, photo Olivier Ezratty en 1992 et en 1996, Bill Gates et Olivier Ezratty, Steve Ballmer, Le guide des Startups, Les rapports du CES, De l’Astronomie à l’entrepreuneuriat, Comprendre l’informatique Quantique, Les usages de l’IA, Avec Alain Aspect, Plans du CES, Podcast Decode Quantum Olivier Ezratty et qfdn.net : Les femmes du numérique Web2day : Conférence De l’Astronomie à l’entrepreuneuriat, Conférence L’incroyable monde des semi-conducteurs, Conférence Réussir ses présentations de la science à la pratique, Conférence le quantique Fanny Bouton et Olivier Ezratty Wikipedia : Minitel 2, Navigateur Mosaic NCSA, logos divers, Valérie Pécresse, Fleur Pellerin, Nathalie Kosciusko Morizet, Axelle Lemaire, Mounir Mahjoubi, Cédric O, Jean-Noël Barrot • Musée du Minitel et archives Godefroy Troude : Minitel, Copies d’écran SNCF, La Redoute, Annuaire électronique France Telecom, Le Monde. Microsoft : Windows 1.0 1985, Visual Basic 1991, Guide de référence du développeur Microsoft 1991 elysee.fr : Emmanuel Macron présentation Plan Quantique 2021 gouvernement.fr : Stratégie nationale sur les technologies quantiques 2021 strategie.gouv.fr : Eric Besson assemblee-nationale.fr : Marina Ferrari Github, Anixx : WinHelp windows 8.1 winworldpc.com : GEM 1.0 1985 Apple : Finder Macintosh Système 2.0 1985 La Redoute, 3 Suisses, Manufrance : Catalogues d’achat par correspondance IBM : IBM 4341 redhat.com : Mailer Pine BPI : Bibiliothèque DR : Tara Mestman, Jean-Baptiste Kempf Sportstrategies, Les numériques, 01.net : Roland Garros TV fxbodin : LeWeb Loïc et Géraldine Le Meur 2011 • Charles Petzold : Programming Windows 1987.

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