Entretien avec Nicolas : Le Jacky Tour

Dans cette vidéo de 20 minutes, Nicolas « JackyTech » nous présente le Jacky Tour, une randonnée cycliste annuelle dans une ambiance potache mais néanmoins sportive et à la recherche de fort dénivelés en montagne.

La vidéo de l’entretien est accessible sur YouTube. Ci-dessous, index pour accès rapide à un moment de la vidéo :

00:00 Le Jacky Tour, une dizaine de copains, depuis 20 ans.
02:37 Le Jackysme et notre dieu ToutanKaway.
03:58 L’équipement de nos vélos.
06:43 Le voyage en train.
08:55 Anecdotes en Corse.
10:07 On aime les dénivelés, donc la montagne !
12:25 Des avaries mais de la solidarité et jamais d’abandon.
14:00 Un exemple d’étape difficile.
16:35 Avoir la montagne pour nous.
17:25 Le Jacky Tour, une coupure dans le quotidien.
18:30 On adore se prendre en photo !
19:00 S’échapper, retrouver un esprit de liberté.

Ci-dessous, retranscription écrite de l’entretien.

Entretien avec Nicolas « JackyTech »

Godefroy : « Nicolas, peux-tu te présenter ? »

Nicolas : « Je vis à Paris et je fais du vélo au quotidien. Pour moi, il n’y a pas plus rapide et efficace que le vélo pour se déplacer dans Paris, et ça évite de rouler avec un gros diesel. Quand avec mes enfants on a besoin de rouler plus vite, je les mets sur un Vélib électrique. »

Le Jacky Tour, une dizaine de copains, depuis 20 ans

Godefroy : « Le Jacky Tour, c’est quoi ? »

Nicolas : « Le Jacky Tour est un voyage organisé à vélo tous les ans par une bande d’amis. Ça a commencé à 5 personnes, et aujourd’hui on est 15 et on organise le 20ème Jacky Tour (je ne fais pas partie des fondateurs, je n’ai pas fait les 4 premiers). L’idée, c’est de voyager à vélo à travers la France ou des pays limitrophes : Corse, Allemagne, Italie, Irlande… Cette année pour le 20ème Jacky Tour, on va retourner en Irlande. »

Godefroy : « Cela dure combien de temps ? »

Nicolas : « Ça dure entre une semaine et 10 jours en fonction de la destination. Quand on fait les Pyrénées, on est plutôt sur 5 à 6 jours. On y va en train et on revient en train. Quand on va plus loin, comme l’Irlande cette année, on part plutôt 11 jours, dont 3 jours de voyage en train puis ferry, à l’aller comme au retour. »

Le Jackysme et notre dieu ToutanKaway

Godefroy : « Quelle est l’ambiance pendant le Jacky Tour ? »

Nicolas : « L’ambiance du Jacky Tour est assez potache. On est une quinzaine d’horizons variés : je travaille dans l’informatique, j’ai 44 ans. On a un ergothérapeute qui a 50 ans, un kiné, un prof d’éducation physique… On est de niveau sportif très disparate : certains font du vélo une fois par an, d’autres comme moi courent un peu et font du vélo tous les jours. On arrive tous ensemble à aller à notre allure, tout en se retrouvant régulièrement pendant les étapes, voire même en roulant ensemble pendant une grosse partie de l’étape. Entre nous, on s’appelle tous « Jacky ».
On se retrouve tous autour de cette passion du vélo et surtout la passion du Jackysme… On n’est plus très loin de la religion 🙂 On a un régime alimentaire, évidemment. On a aussi un Dieu qui s’appelle ToutanKaway, dont on parlera tout à l’heure. Le Jackysme, c’est presque un mode de vie, qui permet aux 15 Jacky lorsqu’ils se retrouvent de passer de très bons moments. ToutanKaway, c’est notre Dieu à nous, les Jacky. Il nous suit. On peut être certain qu’à chaque Jacky Tour, on va se prendre une énorme intempérie : ça va être une coulée de boue, une tempête de neige, un col fermé parce qu’il y a un mètre de neige qui est tombé. On est certain que ToutanKaway veille sur nous et s’assure que le périple soit compliqué.
On tente le pique-nique si ToutanKaway n’est pas trop méchant avec nous. Mais le soir on mange et on dort en dur : on se retrouve toujours dans un restaurant pour le dîner, puis dans des chambres plus ou moins spartiates (il nous est arrivé de dormir dans des refuses non surveillés). De manière générale, on essaye de ne pas transporter de lit, de duvet et de tente et de dormir confortablement en vue de l’étape suivante (ou l’épreuve suivante en fonction de l’humeur !). »

L’équipement de nos vélos

Godefroy : « Et justement, quel est l’équipement pour le Jacky Tour ? »

Nicolas : « L’équipement c’est évidemment avant tout le vélo. En 20 ans, les vélos ont sacrément évolué. Il y a 20 ans, on était plutôt sur des Randonneuses*, voire même des VTT. Aujourd’hui, on est beaucoup plus sur des vélos de route, on pourrait les appeler des Gravels, mais globalement des vélos avec beaucoup de vitesses et surtout les plus légers possibles.
Les sacoches ont pas mal changé aussi : historiquement, on avait plutôt des sacoches latérales qui prennent beaucoup le vent et ralentissent énormément même si on ne cherche pas forcément la performance. Aujourd’hui, on tend à mettre toutes nos affaires dans des sacoches centrales, qui viennent se retrouver à l’intérieur du cadre, derrière la selle (donc derrière le cycliste) et éventuellement de toutes petites poches latérales à l’avant. Tout cela minimise la prise au vent, et je pense que pour JackIrlande, ça va être utile !
Dans ces sacoches, pour 10 jours on va trouver entre deux et trois caleçons, pas plus, un ou deux T-shirts pour le soir, et surtout une tenue de pluie, une tenue chaude, des gants et des chaussettes waterproof… Bref, tout ce qu’il faut pour survivre à des conditions climatiques assez difficiles car le Jacky Tour a lieu souvent entre avril et mai, donc il peut faire très froid, on peut avoir des tempêtes de neige (marcher dans la neige évidemment), et se prendre énormément de pluie. Donc c’est très important de pouvoir se protéger du froid, de l’eau et de la neige.
Pour la nourriture : tout au long de la journée on va manger des graines et des barres. On se bourre de sucre et de gras pour pouvoir tenir les kilomètres. Mais comme on dîne au restaurant on transporte assez peu de nourriture à part notre pique-nique. On boit aussi énormément mais ce n’est pas un problème car on peut se ravitailler au fil du voyage. Il nous arrive très régulièrement d’avoir un ou deux « cubis » sur les porte-bagages pour étancher la soif de certains Jackys, en haut d’un col ou après avoir roulé pendant trois heures sous la neige. »

Godefroy : « Mais à force de zigzaguer ça va rallonger les distances, non ? 😎 »

Nicolas : « Alors… Il faut préciser que le Jacky boit de manière générale (on est assez peu de non-alcooliques dans la bande), et après avoir bu le midi souvent le Jacky est persuadé de rouler beaucoup plus vite. Mais je peux vous assurer qu’en fait on roule moins vite l’après-midi après un litre de bière ou 50 cl de vin 🙂 »

Le voyage en train

Nicolas : « Hormis un Jacky bordelais, qui nous rejoint soit au point de départ du Jacky Tour soit à Paris, on habite tous sur Paris. Pour atteindre notre point de départ, on prend souvent des trains de nuit. Par exemple on part de la Gare de Paris-Austerlitz à 21h00 pour arriver à Briançon vers 6 ou 7h00 du matin. Mais mettre nos vélos dans le train c’est assez épique : imaginez 15 vélos qu’il faut démonter et accrocher dans le train. Ça nous pose souvent des problèmes avec la SNCF et le contrôleur, même si on les met dans des sacs à vélos bien empaquetés dans le compartiment vélos à côté de nos couchettes. Une nuit le contrôleur n’appréciait pas du tout d’avoir tant de vélos, et est venu très énervé nous chercher dans notre wagon couchette au point qu’on était à deux doigts de se faire virer du train. Finalement un de ses collègues l’a raisonné. Monter dans le train avec nos vélos est toujours un sujet mais jusqu’ici on a toujours réussi à faire le voyage.
Dans le train on réserve deux ou trois compartiments couchettes pour nous, en fonction du nombre de Jackys. On se retrouve souvent à 12 ou 13 dans le même compartiment couchette pendant la première partie de la nuit durant laquelle on commence la fête, c’est les vacances : on commence notre break avec le SaucisSound system (un mot inventé par le Jackysme décrivant un montage pour tenir un iPhone au-dessus d’une gamelle avec un saucisson pour que ça résonne mieux) et puis du Ricard et boissons pour alcooliques 🙂  »

Anecdotes en Corse

Nicolas : « La Corse, on l’a traversée du sud au nord. Ça a été probablement mon Jacky Tour le plus difficile, et aussi pour pas mal de Jackys : beaucoup de dénivelés (environ 11 000 ou 12 000 mètres de dénivelé positif en 6 jours) et énormément de pluie qui entre autres nous a empêché de monter aux aiguilles de Bavella. Il y avait un énorme orage, on montait malgré l’eau qui ruisselait sur la route et toutes les voitures qu’on croisait qui nous faisaient des appels de phare en disant « N’y allez pas ! ». On a quand même continué à monter, mais finalement après deux crevaisons on a dû de faire demi-tour, ce qui a été une grosse frustration pour nous. La Corse c’est aussi de très grosses chaleurs : on s’est retrouvés à monter des cols avec plus de 35°C, sans ombre. Dans ces conditions on boit des litres et des litres sur de telles journées. »

On aime les dénivelés et la montagne !

Nicolas : « Pendant le Jacky Tour on cherche à éviter les voitures de touristes donc on part en dehors des vacances scolaires. Et sans rechercher l’exploit sportif on aime bien les dénivelés, ce qui fait qu’on se retrouve souvent dans des paysages magnifiques en montagne. Une anecdote sur le col du Tourmalet, 2.116 mètres, un des fameux cols du Tour de France. Arrivés au col, on a été tentés par un sentier pédestre qui montait jusqu’au Pic du Midi. Donc avec les Jackys on a continué sur ce sentier avec nos vélos, en laissant nos sacs et quelques Jackys qui ont préféré rester dans un bar pour se réchauffer. Le chemin est vite devenu un pierrier, puis quand la neige nous a empêché de rouler on a continué à pied en poussant nos vélos dans la neige et en s’aidant pour chaque obstacle. On a réussi à arriver au Pic du midi (en laissant quand même nos vélos en tas dans la neige sur les 500 derniers mètres). On a eu énormément de chance ce jour-là : il y avait beaucoup de nuages, donc évidemment en haut on n’a rien vu ! (rire). Mais on était très fiers de l’avoir fait, en culminant à plus de 2.800 mètres ! Et on est redescendus avec nos vélos à travers la neige puis le pierrier. J’ai d’ailleurs cassé un dérailleur dans la descente, et avec l’aide de nos amis restés au bar on a réparé comme on pouvait avec des colliers de serrage (type Serflex), une réparation incertaine mais qui m’a permis de poursuivre le Jacky Tour. »

Des avaries, mais de la solidarité, jamais d’abandon

Nicolas : « Les avaries ce sont des crevaisons faciles à réparer (même si certains d’entre nous après 15 ans ne savent toujours pas réparer un pneu…) ou encore un rayon cassé. Mais il y en a de suffisamment compliquées pour nous immobiliser quelques heures au milieu de l’étape, pendant que plusieurs Jackys vont chercher du matériel neuf à 20 km (donc 40 km aller-retour), par exemple pour reconstruire une roue qui a quasiment explosé, pour pouvoir finir l’étape sans le laisser sur le carreau au milieu de son col. Ce qui est assez extraordinaire c’est que jusqu’à aujourd’hui aucune avarie n’a abouti à un abandon. Car on part avec 15 vélos plus ou moins préparés, et au final on n’a jamais eu de casse suffisamment grave pour être contraint de s’arrêter. De même on n’a jamais eu d’accident, même si on descend parfois des cols à des vitesses folles, atteignant parfois les 75 km/h avec nos sacoches. Le Jacky est prudent ! »

Une étape très difficile

Nicolas : « Une étape très difficile, en tout cas la plus éprouvante pour moi, c’était lors de mon premier Jacky Tour : on est trois néo-Jacky à rejoindre le groupe des quatre cyclistes fondateurs du Jacky Tour et du Jackysme, avec parmi nous JackyNette qui nous promet une très belle étape et nous propose de nous héberger pour la nuit. L’étape commence par les trois premiers cols de ma vie, à plus de 2000 m, et au fil de la journée, je pense qu’on accumule quelque chose comme 2400 ou 2600 m de dénivelé positif. C’est beaucoup trop pour notre niveau, ce qui nous fait prendre du retard et aborder le dernier col en pleine nuit vers 23h30. Arrivé tout en haut, vers 1h du matin, il fait très, très froid et pendant toute la journée ma motivation était : ce soir je serai dans la maison de JackyNette, il fera chaud, il y aura un feu et un couchage extraordinaire ! Et en fait, ce qui a été très difficile ce jour-là ce n’était pas tant les trois cols, mais surtout la déception qu’arrivé là-haut j’ai vu que sa maison était une grange en plein milieu des prés sans chauffage ni quoi dormir. J’ai fini dans une tente …à l’intérieur de la maison tellement j’avais froid, tellement il y avait de poussière, et tellement c’était hostile pour moi !
Donc, au final, ce qui est dur dans le Jacky Tour, ce sont les kilomètres, le dénivelé positif, mais c’est aussi et surtout les intempéries, les difficultés liées aux problèmes mécaniques, ou l’inconfort qu’on peut trouver quand à l’arrivée à 1h00 du matin, congelé, de se dire super, je vais pouvoir prendre une douche chaude, et qu’en fait, ben non, on finit sur des toilettes sèches, et dans une maison glaciale au milieu des prés. »

Avoir la montagne pour nous

Godefroy : « Mais quand même il n’y a pas que des mauvais souvenirs ? »

Nicolas : « Non, il n’y a pas que des mauvais souvenirs. D’ailleurs, ce souvenir-là c’est l’étape la plus difficile pour moi, mais c’est même un très bon souvenir et on en rigole à chaque fois. Les bons souvenirs ce sont des journées où on va rouler très vite, avoir l’impression de se surpasser, avoir un soleil extraordinaire, et puis la montagne juste pour nous. C’est fou de monter un col avec une température idéale, de prendre son temps, de s’arrêter de pique-niquer tout en haut avec les copains, et d’avoir une vue sur les Alpes, les Pyrénées, le Jura qui est à ce moment-là est juste pour nous ! Le Jacky Tour n’est qu’un bon souvenir, malgré toutes les difficultés qu’on pourrait croiser.

Le Jacky Tour, c’est aussi une coupure dans le quotidien. Moi, je suis dirigeant d’une entreprise d’une quinzaine de personnes et quand je pars en Jacky Tour, je pose mon cerveau et je ne décide plus rien (rire). Je suis le groupe et je dis juste : “Vous me dites d’aller là les gars ? Ok, je pédale, je vous suis ou je vous précède, mais je vais au check-point suivant.” Mon cerveau est totalement débranché pour pouvoir profiter au max des copains, des amis même, et puis de cet environnement, de cette nature, de mon vélo et sa mécanique que j’adore. Le Jacky Tour, c’est un break avant tout, c’est des vacances. Plus d’enfants, plus de femme, plus de travail, plus rien n’existe à part mon vélo, mes photos et mes copains. »

On adore se prendre en photo !

Nicolas : « Les Jacky, ce qu’on adore aussi, c’est se prendre en photo. On a certains Jacky qui adorent faire des selfies torse nu, mais sinon on fait surtout beaucoup de photos du groupe et on adore se retrouver tous les 12, 13, 14, 15 sur la route et essayer de mettre le retardateur pour être tous sur la photo. Parfois, sur nos vélos, parfois sans, parfois on va être fiers d’être en haut d’une montagne, ou parfois d’écrire “Jacky” avec nos corps sur le lac d’Annecy ! »

S’échapper, retrouver un esprit de liberté

Godefroy : « Un mot pour terminer ? »

Nicolas : « Bon, je ne vous invite pas du tout à tous devenir Jacky, ou Jackynette ou JackyLine. Ce groupe nous est propre. En revanche, et je m’adresse peut-être plus particulièrement aux Parisiens, je crois que ce qui me fait tenir à Paris, c’est notamment de savoir m’échapper et retrouver cet esprit de liberté que je peux retrouver sur mon vélo quand je pars à la montagne. Donc, échappez-vous avec vos amis ou tout seul, mais échappez-vous pour pouvoir revenir ici et à nouveau aimer notre ville telle qu’elle est. »

Godefroy : « Merci beaucoup Nicolas pour ce beau témoignage. »

 

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Notes

* Précision de Nicolas : « Randonneuse » est le nom qu’on utilise pour parler de ces bicyclettes en acier qu’utilisaient les randonneurs à vélo pour nommer leur véhicule. Il en existe encore aujourd’hui, avec des géométries différentes et matériaux plus léger. Ce qui va différer d’un vélo « plus standard » sera la présence de nombreux filetages répartis sur le vélo pour fixer les sacs/ustensiles et porte bagages, ainsi que la position qui se voudra plus adéquate sur les longues distances. Au final peu d’entre nous en utilise, nous avons nos vélos habituels, légèrement customisés pour partir en randonnée.

– Entretien réalisé par le 25 novembre 2023 au jardin des plantes de Paris.
– Image, son, montage, mixage et retranscription : Godefroy Troude.
– Retrouvez les Jacky sur Instagram : @jackytour

Empreinte carbone de Nicolas :

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