Triathlon Ironman en couple : Entretien avec Audrey et Victor

Audrey et Victor racontent avec humour et humilité leur pratique de la course à pied, depuis leurs débuts modestes jusqu’au Triathlon « Ironman » : 3,8 km de natation puis 180 km de vélo puis un Marathon (42,2 km de course à pied). Bien que non professionnels, Audrey a terminé en seulement cinq mois un Ironman et trois Half-Ironman, et Victor deux Half-Ironman.

Audrey : « C’est rigolo de participer aux Championnats du monde d’Ironman quand on commence à courir pour arrêter de fumer ! »

Audrey : « Il y a trop peu de femmes sur les triathlons […] Je serai heureuse si par ma pratique sportive je donnais envie ne serait-ce qu’à une personne de se dire : Si elle le fait, moi aussi je peux le faire ! »

Index de la vidéo

00:00 Audrey : les débuts.
05:08 Victor : les débuts.
08:05 Rencontre et entraînements.
16:29 Audrey : premier Half-Ironman.
22:32 Audrey : premier Ironman
43:04 Tous les deux : Half-Ironman de Vichy.
44:00 Tous les deux : préparation Ironman à Carcan.
49:50 Ironman, c’est aussi pour les femmes.
55:08 Le Triathlon, la forme jusqu’à 99 ans !

Retranscription de la vidéo

Audrey : débuts sportifs


Godefroy Troude :
« Audrey et Victor, vous avez tous les deux un parcours sportif qui m’impressionne et j’aimerai que vous m’en parliez en partant peut-être du commencement. Audrey, comment as-tu commencé le sport ? »

Audrey Heyraud : « J’ai commencé le sport il y a de nombreuses années en arrêtant de fumer car il m’a fallu trouver un exutoire pour compenser la cigarette. Alors j’ai commencé à courir. La première fois au bout de 3 minutes je n’en pouvais plus ! Et de fil en aiguille, 3 minutes, 10 minutes, etc. en courant avec des amis, c’est devenu agréable… Pendant longtemps j’ai couru une heure par ci, une heure par là.
Puis j’ai commencé par de petites courses très sympa en région parisienne, comme le Paris-Versailles, 16,4 km — qui d’ailleurs a lieu dimanche prochain et ça sera ma Nième fois (sourire) — avec un bon dénivelé avec la côte des Gardes sur 2 km. Puis après, le Semi-marathon de Paris, et un jour je me suis dit pourquoi pas un Marathon ? Là c’était un cap : se croire capable de faire un Marathon quand on est un sportif lambda, c’est déjà un beau challenge, entrer dans un système de préparation un peu structuré. Je l’ai terminé en prenant beaucoup de plaisir et j’étais fière de moi. Et puis quand on en a fait un on a envie de continuer…
Un jour, un ami qui faisait du Triathlon m’a parlé de sa préparation Ironman, et c’est resté dans un coin de ma tête, en me disant que le triathlon pourrait me plaire. Or à Versailles il y a un petit Triathlon, au format S et je me suis dit que j’allais essayer : 750 m de natation, 20 km de vélo et 5 km de course à pied. Ça commençait dans la Pièce d’eau des Suisses, un des bassins du Château de Versailles qui est assez peu recommandé à la baignade, mais c’est le club de Triathlon de Versailles qui organise ça, et il y avait une bonne ambiance. Ça m’a mis le pied à l’étrier et je me suis inscrite au club de Triathlon : j’avais un VTT mais pas de vélo de course… »

Godefroy Troude : « Et jusque là tu faisais essentiellement de la course à pied ? »

Audrey Heyraud : « Oui. J’avais mes souvenirs de natation de lorsque j’avais appris à nager et c’était tout ! Par exemple nager 500 mètres avait été compliqué pour moi, je ne faisais pas tout en crawl, je faisais aussi un peu de brasse. Il me fallait apprendre à nager le crawl sur des distances un peu plus longues. Donc je me suis inscrite en club avec la petite idée qu’il fallait quelque chose qui me stimule, donc pourquoi pas un Ironman (sourire) ? C’était un rêve ! »

Godefroy Troude : « Peux-tu préciser les épreuves de l’Ironman ? »

Audrey Heyraud : « C’est 3,8 km de natation, puis 180 km de vélo, et un marathon (42, 2 km) avec les trois épreuves qui s’enchaînent. C’était donc dans un coin de ma tête et j’ai commencé à aller à la piscine, à regarder des vidéo YouTube (c’est très bien entre les entraînements pour essayer de comprendre ce que l’on fait bien et ce qu’on ne fait pas bien, une mine d’or pour progresser), avec quelques cours de natation quand j’étais bloquée sur certains points. Et durant mes entraînements je rencontre monsieur Victor ! »

Victor : débuts sportifs


Godefroy Troude :
« Justement, Victor, peux-tu préciser ton parcours ? »

Victor Domingues : « Alors moi j’étais plutôt art martiaux et boxe. J’ai pratiqué pendant très longtemps mais jamais passé les ceintures au delà de la ceinture marron. En toute modestie j’étais plutôt pas mauvais, un peu au dessus du niveau, parce qu’avais fait de la boxe française auparavant, et je faisais aussi du Ju-Jitsu (pieds-poings). Un ami commun est venu faire du Ju-Jitsu avec moi et me taquinait un peu. Sans faire exprès j’ai fait des mauvais coups. Une fois il est venu m’attaquer par derrière et en me défendant je lui ai fait un uchi-mata, l’envoyant par terre assez violemment et il s’est cassé un pouce. Ce n’était évidemment pas fait exprès mais il m’aimait bien et il est revenu aux cours. Une autre fois il a fait un randori avec moi, et là je lui ai mis un coup au visage pas méchant mais qui l’a un peu sonné. Et là il a décidé d’arrêter (rire gêné). Mais en même temps on était lié en amitié et m’a dit « Je vais courir avec toi même si je sais que je suis nul… ». Et pendant trois ans on a couru ensemble. Je suis monté en niveau… »

Godefroy Troude : « Ces niveaux… Tu as commencé par quoi ? »

Victor Domingues : « En 2011 j’ai commencé à faire des Marathons. »

Godefroy Troude : « Tu as commencé à par un Marathon ?? »

Victor Domingues : « Non, j’ai commencé par le Paris-Versailles, des semi-marathons, mais assez rapidement j’ai eu envie de faire un Marathon. Et donc j’en ai fait un. Grosse claque. Leçon d’humilité. Et je me suis accroché, m’entraînant beaucoup et faisant 2 à 3 marathons par an. En 11 ans j’ai dû faire 22 marathons. J’en ai fait en 3h30-3h35 et une fois un semi-marathon ensemble (il regarde Audrey) en 1h33. Pour moi c’est des bons temps par rapport au temps d’entraînement et au plaisir que j’en tire. Des marathons dans le monde entier, c’était super sympa. »

Rencontre

Godefroy Troude : « Et votre rencontre ? »

Victor Domingues : « Avec Audrey on s’est rencontrés en courant (rire) sur un site Facebook de sportifs runners. »

Audrey Heyraud : « La première fois qu’on a couru ensemble, en parlant de nos projets, j’avais dit à Victor que j’avais bien envie de me mettre au triathlon et que mon rêve c’était un Ironman. La première année j’ai commencé à nager et Victor m’accompagnait. On a aussi fait aussi beaucoup de courses ensemble (marathon de Stockholm, marathon de Valence, marathon de New York..). »

Entraînement Triathlon


Audrey Heyraud :
« Alors que je commençais les entraînements pour le triathlon j’ai eu peur d’avoir un problème de santé. Comme tout un chacun, quand on a un souci on cogite et on envisage le pire, et quand j’ai reçu mes résultats heureusement ce n’était pas grave. Mais le message email que j’ai reçu juste après c’était l’inscription pour l’Ironman de Nice. Je me suis dit : C’est un signe du destin, allons-y puisque tu peux le faire, tu es en bonne santé, inscrit-toi ! …En sachant que je ne savais toujours pas nager un kilomètre et que tout ça était tellement loin de moi car un Ironman c’est quand même un effort important… »

Godefroy Troude : « On est à quelle époque ? »

Audrey Heyraud : « On est en juin 2019. Donc je m’inscris et je commence un entrainement plus sérieux et structuré. Ça me parait encore fou, je me sens très très loin. Lorsqu’arrive le Covid-19 je me disais que peut-être ça pourrait passer et que je ne pourrais pas décéder sur la ligne d’arrivée ! J’en étais là ! (sourire)… Puis commence le confinement Covid-19, la fermeture des piscines. Là, on n’a pas été très exemplaires vu nos besoins d’entraînement. On faisait ce qu’on pouvait pour continuer à nager : on allait nager à Deauville quand c’était ouvert… Ce n’était pas très malin… On allait aussi à Massy dans une piscine ouverte…  On a aussi continué l’entraînement de course à pied… »

Victor Domingues : « Oui, parce qu’on n’avait pas le droit de courir DANS la forêt. Mais à la lisière ? (rire ironique) »

Audrey Heyraud : « Avec le Covid on a un peu perdu le fil du temps. En 2020 on devait faire le marathon de Berlin, le marathon de Londres, on avait plein de courses super sympa à enchaîner, ca devait être l’année parfaite et finalement ça ce ne s’est pas passé comme ça. Mais on a repris en 2021 avec des petites courses à pied d’automne et en novembre a commencé pour 31 semaines le plan d’entraînement Ironman. On commence avec 9 séances par semaine : 3 de vélo, 3 de natation, 3 de course à pied… »

Godefroy Troude : « Mais 9 séances par semaine …ça veut dire parfois 2 séances par jour ! »

Audrey Heyraud : « Oui, et quand on passe à 12 séances par semaine, cela fait 3 séances par jour  ! Mais je vais à vélo au travail donc ça me fait 30 kilomètres (15 km aller et 15 km retour) qui font une partie d’une séance. Et j’essaye de ménager un jour de repos par semaine. C’est un plan qui est construit pour, suivi à la lettre, permettre de finir un Ironman en 12 heures. Je ne l’ai pas suivi à 100% car on n’a pas toujours envie d’aller faire une séance mais quand on a l’objectif ça permet de rester motivé et ne pas perdre le cap. La clef pour moi c’est l’ORGANISATION. Parce que 9 séances ce n’est déjà pas facile à caser, et 12 encore moins ! Alors si on se dit « Je verrai ce soir quelle séance je peux faire » ca ne passe pas, car le soir on a toutes les raisons d’être fatigué, d’avoir autre chose à faire, les contraintes familiales, professionnelles et autres… La clef pour respecter les entraînements c’est de planifier le dimanche soir quelles séances on va faire chaque jour de la semaine, et les caser à des moments où il n’y aura pas d’aléas possibles. »

Godefroy Troude : « La première difficulté c’est en effet le planning. »

Audrey Heyraud : « C’est ça ! Une fois que c’est planifié, il y a de fortes chances pour que ça passe. C’est déjà se lever un peu tôt le matin… »

Godefroy Troude : « C’est à dire ? »

Audrey Heyraud : « Avant je me levais tôt mais cette année je me suis rarement levée avant 5h00. Mais c’est une question d’habitude. On se couche tôt aussi. Quand on commence un plan d’entraînement Ironman sur 31 semaines, rapidement il n’y a plus que ça. C’est une réalité. On oublie les sorties au cinéma parce qu’on s’endort… »

Victor Domingues : « Je confirme (rire) »

Audrey Heyraud : « Aller au théâtre c’est compliqué pour trouver un soir de libre. La vie sociale, ça ca va. Mais globalement ça reste quand même contraint. Et 31 semaines c’est quand même long. »

Victor Domingues : « Les vidéos à la maison, Netflix, tout ça on est nuls. Les bouquins on arrive à lire… »

Audrey Heyraud : « …enfin, deux pages avant de s’endormir ! (rire) »

Victor Domingues : « Ah oui (rire) »

Audrey Heyraud : « La vie tourne autour du sport… »

Victor Domingues : « Ça tourne autour du sport, mais on ne regarde pas le foot, on ne regarde rien… »

Audrey Heyraud : « Non, et puis d’ailleurs je n’ai pas de télé ! Donc on s’est pris au jeu. D’ailleurs c’est moi qui préparais l’Ironman mais la motivation venait souvent de Victor. Parce qu’on trouve toujours une raison pour ne pas y aller, parce qu’il pleut, etc. mais Victor était là pour dire « Si ! Justement on y va ! » »

Godefroy Troude : « Justement, c’est super d’être en couple, de partager cette même compréhension de l’effort. »

Audrey Heyraud : « Oui, c’est sûr, ca aide beaucoup. Je pense que je n’aurai pas eu la même ténacité sans la présence de Victor. Une sortie vélo de 4 à 5 heures, j’aime bien les faire seule, mais à deux c’est quand même plus stimulant ! »

Audrey : premier Half-ironman


Audrey Heyraud : « Et cela nous a mené, en mai 2022, à mon premier Half-ironman (1,9 km de natation + 90 km de vélo + 21,1 km de course à pied) à Aix-en-Provence. Je n’avais jamais fait ça, c’était un test. Finalement j’ai beaucoup apprécié mais c’était difficile, surtout la partie course à pied, et il faisait très chaud, 34°C. Quand je l’ai terminé ce Half-ironman je me suis dit « L’Ironman ca va pas être possible ! » Parce qu’avec le Half on en a fait la moitié et on est mort ! Donc je me suis dit que ce n’était pas la peine de j’aille à l’Ironman de Nice. »

Victor Domingues : « Mais à chaque fois c’est la même chose ! Tu dis « Non, j’arrête, là c’est pas mon truc, c’est fou ! ». Alors je te laisse mariner : « Oui, on en reparle… ». Et le lendemain matin, t’es déjà inscrite sur un autre truc encore pire ! (rires) »

Audrey Heyraud : « Oui, c’est vrai (rire). Je doutais vraiment de la faisabilité de l’Ironman et me disais que ce n’était pas possible. Et puis après réflexion… je me suis dit que si j’allais sur la ligne de départ de l’Ironman et que je ne terminais pas, après tout ça reste un loisir, il n’y a pas d’enjeu, ce n’est pas très grave. Donc j’ai décidé finalement de prendre le départ. »

Victor Domingues : « Mais tu n’as pas raconté… (regard ironique) »

Audrey Heyraud : « Ah oui ! (sourire) On buvait une bière pour fêter mon premier Half-ironman et juste à côté avait lieu la cérémonie de remise des récompenses, et où les meilleurs temps étaient appelés dans chaque catégorie d’âge pour recevoir une invitation à participer au Championnat du monde d’Ironman, à Saint-George dans l’Utah, aux États-Unis. Mais le Half-ironman d’Aix-en-Provence ayant lieu en fin de saison de qualification pour les Championnats du monde, les meilleurs étaient déjà inscrits sur d’autres courses et n’étaient pas intéressés. De plus, la fédération de triathlon qui cherche à promouvoir le triathlon féminin avait rajouté 15 invitations supplémentaires pour les femmes. Ce qui faisait un quota énorme et il y avait même une place pour les moins bons, car je fais quand même partie des gens très très moyens, et j’ai pu avoir un « slot » pour participer au Championnat du monde d’Ironman à Saint-George, au mois d’octobre, dans un mois. Donc ça va être une super expérience ! »

Godefroy Troude : « Dans cet esprit de promotion des femmes, on pourrait appeler ça aussi Ironwoman ! »

Audrey Heyraud : « Oui ! »

Victor Domingues : « D’ailleurs c’est exactement ça, car tu vas faire un Ironwoman ! »

Audrey Heyraud : « Effectivement. En Europe les Ironman sont mixtes, mais pour les championnats du monde il y a un jour de course pour les femmes et un jour de course pour les hommes. »

Victor Domingues : « Donc tu as raison c’est un vrai Ironwoman ! »

Audrey Heyraud : « Ca va être une expérience incroyable. De courir avec tous les gens que j’admire, du beau calibre. Evidemment il y a vraiment deux courses : il y a une majorité de pros, ils font leur course, c’est stratosphérique, c’est incroyable. Et puis après il y a les catégories d’âge, comme moi… »

Godefroy Troude : « Justement, c’est formidable et c’est ce que je disais à Victor il y a quelques jours, les compétitions de course à pied sont à ma connaissance les seules où l’on peut courir, participer, en même temps que des champions ! On est sur la même course ! »

Audrey Heyraud : « Oui. Exactement.

Victor Domingues : « Exact.

Audrey Heyraud : « Et en plus, moi je me situe toujours au milieu du peloton, et général sur un marathon quand je passe au semi j’entends dans les haut-parleurs que le premier est en train d’arriver (rires !). Tu es content pour lui ! Toi il t’en reste la moitié. C’est rigolo de participer aux Championnats du monde d’Ironman quand on commence à courir pour arrêter de fumer. On ne l’imagine pas ! »

Audrey : premier Ironman


Godefroy Troude :
« Et ensuite il y a eu l’Ironman de Nice ? »

Audrey Heyraud : « Oui. L’Ironman de Nice, tant attendu ! La compétition devait initialement avoir lieu en 2020 et avait été reportée au 26 juin 2022. Or le 26 juin est une date importante pour moi puisque c’est l’anniversaire du décès de mon grand-père, dans un contexte un peu particulier. J’avais donc l’impression d’être avec lui pour cette journée, c’était important pour moi.
Victor aussi était là en supporter, encore une fois. On a fait le voyage à deux et c’est important car en triathlon il y a une logistique un peu lourde, il faut mettre les vélos dans la voiture, etc. Donc la présence de Victor a beaucoup compté aussi.
Je n’étais pas totalement confiante sur mon objectif de terminer la course mais je voulais prendre quand même le départ. Or les jours précédents il y avait un petit peu de vent (air ironique) et quand on regardait la mer avec la houle alors que n’avais jamais nagé 3,8 km en mer j’étais encore moins confiante… C’était aussi le début de la période de canicule, depuis 2 à 3 jours il faisait très chaud et on avait 36°C dans la journée.
Le matin de l’Ironman il y a une ambiance incroyable : les mines sont assez tendues, même pour ceux qui l’ont déjà fait : un gars nous avait dit « Humilité. Ce n’est pas parce que tu en as terminé un que tu vas forcément terminer celui-ci ! » On sent une certaine concentration sur les visages. »

Victor Domingues : « Et puis 4 km en mer… »

Audrey Heyraud : « Oui, tu fais bien de dire 4 km en mer parce qu’on ne nage pas 3,8 km (elle mime des zigzags), moi j’étais à 4,1 km (rires). Donc un peu d’appréhension mais aussi la joie d’être là, de se dire que les 31 semaines sont passées et que maintenant on est juste là pour en profiter. Un mélange d’excitation, d’envie d’y aller. C’était un rêve que je voulais vivre.
La course a commencé à 7h30 et fort heureusement le vent ne s’est levé qu’à partir de 8h30, donc j’ai nagé pendant 1h25 dans une mer tranquille même si la dernière demi-heure commençait à être agitée. J’ai nagé à l’économie car je savais qu’après il y avait le vélo et la course qui m’attendaient… J’étais contente, je prenais du plaisir car je nageais de façon souple, l’eau était claire, agréable, à la bonne température, 21 ou 22°C, idéal avec la combinaison. Il ne fallait pas qu’elle monte plus haut car au delà de 24,5°C on ne porte plus la combinaison, même si à Nice ils ne feront probablement jamais ça, ils iront très loin pour prendre la température de l’eau car porter la combinaison est aussi une sécurité, ça permet une meilleure flottaison, et tout le monde n’est pas un bon nageur : dans le triathlon finalement il y a assez peu de bons nageurs… »

Godefroy Troude : « C’est assez paradoxal d’entendre qu’un triathlète qui nage 4 km n’est pas un bon nageur… »

Audrey Heyraud : « Ce n’est pas forcément leur élément et on a entendu dire qu’il y a pas mal de crises de panique. Et puis Laurent Jalabert lui-même — il nage bien, évidemment — mais il dit qu’il n’est pas très à l’aise en natation. C’est que beaucoup viennent du vélo. D’autres viennent de la course à pied, parce qu’une fois blessés sur la course à pied le triathlon permet de développer d’autres compétences et de continuer de faire du sport d’endurance en ayant deux sports portés sur trois.
Donc je sors de l’eau, j’étais contente de mon temps parce que je pensais faire 1h40 et j’ai fait 1h25… »

Victor Domingues : « 1h25 pour 4 km !!! » (avec un air épaté)

Audrey Heyraud : « Non, mais c’est très moyen… »

Victor Domingues : « Ouuuuuii, oui, c’est très moyen (ironique) »

Audrey Heyraud : « Oui, c’est très moyen et moi j’étais très contente car je partais de tellement loin, et je pensais mettre plus de temps que ça. »

Godefroy Troude : « Et en sortant de l’eau j’imagine que ta combinaison ne se retire pas bien, que c’est compliqué… »

Audrey Heyraud : « Non, justement ! Lors de mon tout premier triathlon à Versailles j’avais une combinaison très compliquée à enlever. J’avais dû y passer 10 minutes et en plus je n’étais pas bien, c’était oppressant au niveau du cou. Donc j’avais décidé cette année de changer pour une combinaison de qualité, plus souple, très agréable et qui s’enlève assez bien.
Et après, les 180 km de vélo. Je savais sur quoi je partais : Nice, c’est un parcours de 2400 m de dénivelé positif, qui monte sur les 120 premiers km. »

Victor Domingues : « Mais quand on dit que ça monte, ça monte vraiment fort ! »

Audrey Heyraud : « Oh, ce n’est jamais du 12% mais quand même ça monte pas mal. Il faisait chaud, avec 36°C quand même, et le Sirocco est apparu à partir du 70ème km, un vent chaud qu’on a souvent eu de face, la sensation d’avoir un sèche cheveux dans le visage. Ca rendu l’épreuve difficile, la fatigue était vraiment là. Il faisait tellement chaud – on nous y avait sensibilisé – que j’avais bu 8 litres d’eau sur le vélo, et il les fallait : une des clefs sur une journée comme ça c’est l’hydratation avec des électrolytes, des sels minéraux, pour ne pas avoir de crampes. Psychologiquement, ce qui a été le plus dur ça a été les 10 derniers kilomètres car on revenait sur la promenade des anglais et on savait que c’était presque terminé mais avec le vent de face et on n’avançait pas. C’était assez déstabilisant.
À l’arrivée, quand j’ai posé mon vélo, je me suis rendue compte que je n’avais plus de force pour le marathon. De plus, j’étais restée sur la même position sur le vélo – ce qu’il ne faut pas faire en triathlon – et je n’avais plus de sensations dans les mains ! Impossible de changer de chaussettes pour courir le marathon ! »

Godefroy Troude : « Parce que tu as des chaussures spéciales pour le vélo ? »

Audrey Heyraud : « Oui. Alors normalement tu as des chaussures spéciales qui vont avec les pédales automatiques, mais je pense avoir été la seule… »

Victor Domingues : « …au monde ! »

Audrey Heyraud : « Non, pas au monde même si c’est effectivement assez rare, mais je pense avoir été la seule à utiliser des pédales plates. Il faut dire que j’ai une phobie des pédales automatiques : pour moi être accroché à un vélo ce n’est pas naturel, même si je sais que je perds beaucoup en efficacité. Mais j’ai quand même changé de chaussures et de chaussettes car elles étaient bien humides. Et il fallait que je mette ces fameuses chaussettes mais je ne pouvais plus utiliser mes mains. Je remercie le compétiteur anglais qui m’a entendue râler sur ma chaise et qui est venu me mettre mes chaussettes ! Solidarité parce que ca a dû lui prendre une bonne minute sur son temps de course… »

Victor Domingues : « Tu sais qu’on n’a pas le droit de s’entraider ! C’est interdit »

Audrey Heyraud : « C’est vrai, il aurait pu être disqualifié s’il y avait eu un arbitre. Je n’y avais jamais pensé. En tout cas un beau geste car sinon mon Ironman se serait arrêté là. Je ne serai pas partie courir sans chaussettes : parce que là, les frottements sur un marathon… (rires). Et là, je croise Victor et je lui dis que le Marathon ça ne va pas être possible ! »

Godefroy Troude : « D’autant plus que là, après 180 km à vélo, ton cerveau est habitué à voir la route défiler à toute allure sous tes yeux, et quand tu te mets à courir tu as l’impression d’avoir les pieds collés au bitume et que tu ne bouges pas ! Psychologiquement c’est super dur ! »

Audrey Heyraud : « Ah oui ! Et en plus les jambes ne bougent pas naturellement et tu as du mal à retrouver ta foulée. Je ne suis même pas sûre de l’avoir retrouvée (rires). »

Victor Domingues : « Et donc moi j’étais là et je te vois en vrac. Alors je décide de courir à tes côtés. C’est interdit, mais tu courais sur la route et moi sur le rebord mine de rien. Je te regardais à peine mais on discutait et ça t’a aidée un petit peu. »

Audrey Heyraud : « Oui, sur les chronos c’est le seul moment où j’ai couru à une vitesse correcte (rires). »

Victor Domingues : « Donc on a fait ça pendant 7,5 km… »

Audrey Heyraud : « …jusqu’à ce que tu te fasses arrêter par l’arbitre : « Vous arrêtez ça sinon je la disqualifie ». Moi j’ai continué l’air de rien, pfffffuit (air gênée). Il faut dire que plein le font, parce que la promenade des anglais s’y prête : il y avait même des femmes avec la poussette qui suivaient les maris. »

Godefroy Troude : « Je trouve que ces règles sont quand même extrêmement dures. Le fait de ne pas pouvoir être aidé par un compétiteur qui prend sur son temps pour vous aider, ce n’est quand même pas aberrant. Le fait de courir à côté de sa compagne, c’est quand même pas fou non plus… Je comprends qu’on soit strict pour la tête de la course, mais là… »

Audrey Heyraud : « En Ironman, tu n’as droit à aucune source de motivation, même pas de la musique ni de téléphone, alors que sur un marathon tu y as droit. »

Godefroy Troude : « Même pas à une pause pipi ? »

Audrey Heyraud : « Alors si, mais uniquement à certains endroit du parcours dans les toilettes en dur. Mais quand on fait la course depuis 14 heures, à un moment il faut bien y aller… Alors ce n’est pas autorisé mais ça se fait, et pour les hommes c’est d’ailleurs plus facile… En même temps ça m’ennuie de parler de ça car je voulais faire cette interview pour motiver des femmes sur l’Ironman (rires)… Alors il faut aller voir des vidéos de Marine Leleu sur YouTube. On apprend à ne pas s’arrêter. C’est le côté le moins glamour… »

Godefroy Troude : « Courir quand on se retient ça rajoute une difficulté en plus… »

Audrey Heyraud : « Oui. Il ne faut pas se retenir en fait… Il faut apprendre le lâcher-prise mental, c’est pas simple !
Et donc Victor, quand je t’ai croisé, j’ai imaginé abandonner. Je ne me voyais pas courir 42 km. Et je me suis dit que j’expliquerai à mes filles que même si on s’entraîne bien parfois on ne réussit pas, que ce n’est pas grave, que je réussirai le prochain… Je commençais à me faire mon petit film en imaginant mes filles en face de moi. Puis je me suis dit : Non, tu n’as mal nulle part, donc non tu ne vas pas leur dire ça ! Pourquoi tu vas t’arrêter ? Tu vas continuer ! »

Godefroy Troude : « Peux-tu préciser ce que tu entends par avoir mal nulle part à un tel niveau d’épreuve ? »

Audrey Heyraud : « Et bien par exemple au Marathon de New York j’avais le dos bloqué : chaque pas était une douleur. Là, je n’avais pas d’ampoule, pas mal au dos, pas de crampe, pas de tendinite. Je n’avais mal nulle part. J’étais juste fatiguée. »

Godefroy Troude : « Tu avais juste un épuisement général, une bonne dose de lassitude… »

Audrey Heyraud : « Oui. Alors je me suis dit : « Arrête de te chercher des excuses ! ». Et quelques jours auparavant j’avais regardé une vidéo de Marine Leleu qui disait « Quand tu penses à arrêter, arrête de penser ! » (rire). Il faut déconnecter son cerveau ! Elle m’a aidé à ne pas arrêter. D’ailleurs Marine Leleu m’a beaucoup apporté par ses conseils et son énergie. Ce n’est pas une professionnelle mais une influenceuse faisant énormément de sport : c’est la première femme à avoir terminé l’Enduroman en France [et à 26 ans]… »

Godefroy Troude : « C’est quoi l’Enduroman ? »

Audrey Heyraud : « Ca part de Londres avec 140 km de course à pied jusqu’à Douvres, puis la traversée de la Manche à la nage, 34 km, puis 290 km jusqu’à Paris… ».

Godefroy Troude : « Pffffou, je ne la connaissais pas celle-là !!! Et je vais regarder cette Marine Leleu ! »

Audrey Heyraud : « Donc apprendre le lâcher prise mental, déconnecter son cerveau. Et puis psychologiquement le parcours du marathon était aidant car on avait 4 boucles : c’était bien car quand tu en as fait une tu te dis que celle-là c’est fait, puis tu commences la troisième en te disant qu’après il n’en restera plus que deux, et ainsi de suite. »

Godefroy Troude : « Oui, et ensuite il y a un moment dans la course, lorsque tu es suffisamment près de la fin, où tu te dis « J’ai quand même pas fait toute cette distance-là pour m’arrêter juste à 10% de l’arrivée ! » Ce serait vraiment bête ! »

Audrey Heyraud : « Ah oui, tout à fait ! Mais il y avait aussi un autre truc : on était partis à 7h30, il commençait à se faire tard, la nuit tombait, il y avait beaucoup moins de monde sur la promenade des anglais même si je n’étais pas dans les dernières, et la barrière horaire était fixée à 16 heures d’effort pour l’ensemble de la compétition. Mais je voyais bien que j’étais dans les temps, même si je marchais à chaque ravitaillement, tous les 2 km environ, pour boire et manger. Ce n’était pas un marathon intégralement couru.
Ces derniers kilomètres c’est le moment où tu commences à discuter avec les gens qui sont en souffrance comme toi, où il y a un lien qui se crée, on ne court pas vite donc on peut discuter… Donc j’ai discuté avec plein de personnes très sympathiques (sourire) et c’était un moment finalement agréable. »

Godefroy Troude : « Et à ce stade de la course toujours pas de douleurs, tendinites, crampes… »

Audrey Heyraud : « Non, rien. »

Victor Domingues : « D’ailleurs pas même le lendemain ! »

Audrey Heyraud : « Non, pas même de douleurs le lendemain. J’avais juste les jambes un peu dures. Beaucoup moins d’ailleurs que sur les marathons avant que je découvre les électrolytes par exemple : après l’arrivée de certains marathons je ne pouvais plus marcher (rires). Mais là, rien. C’est une gestion de l’effort et de l’hydratation en fait. »

Victor Domingues : « En même temps ce marathon au sein de l’Ironman est moins violent que le marathon de Paris. »

Audrey Heyraud : « Ah oui, quand tu cours un marathon en 3h45 et là je l’ai fait en 4h45, tu mets une heure de plus sur le marathon c’est pas la même vitesse non plus… »

Godefroy Troude : « Oui, mais tu n’as quand même pas 180 km de vélo et 4 km de natation avant, ca change un petit peu quand même… (ironique) »

(rires Victor et Audrey)

Audrey Heyraud : « Un mot sur le mental : la veille de la course, lors de la pasta-party, j’avais discuté avec un gars qui avait déjà fait Nice. Je lui disais : « J’ai fini en vrac le Half-ironman d’Aix-en-Provence, je ne vois pas comment je peux finir un full, je n’est pas possible. » Et il m’avait répondu : « En fait ton cerveau se programme pour la distance que tu as à parcourir ». Et c’est complètement vrai, c’est fou ! Tu sais quand tu montes sur le vélo c’est pour 180 km, tu sais que tu as un marathon derrière… C’est incroyable, tu te prépares à la distance, tu programmes ton cerveau…
Sur la dernière boucle de 10 km, il ne restait plus beaucoup de monde mais je pense qu’à toutes les personnes que j’ai croisées sur les derniers 5 km j’ai dû dire que ca y est, j’allais le faire, j’allais terminer ! J’étais dans une joie incroyable ! Et puis tout ce folklore Ironman, le show à l’américaine, la musique, le public qui t’applaudit et t’encourage, l’animateur Jay Style qui met le feu sur la ligne d’arrivée… C’était tellement mon rêve de terminer, de franchir la ligne d’arrivée et – c’est bête – d’entendre la mythique phrase « You are an Ironman ». Un instant mémorable ! »

Victor Domingues : « Audreeeeyyyyyy ! »

Godefroy Troude : « Merci Audrey, c’était un récit passionnant ! »

Victor : premier Half-ironman

Godefroy Troude : « Et Victor, de ton côté : je te connaissais comme un coureur de marathon, et là, qu’est-ce que j’apprends ? Half-ironman ! Audrey t’a motivé ? »

Victor Domingues : « Oui ! »

Audrey Heyraud : « C’était son cadeau de Noël ! »

Victor Domingues : « C’est vrai qu’après 22 marathons, j’avais besoin d’un nouveau challenge. Donc j’ai appris à nager, car je viens aussi de loin en natation. Je ne faisais que de la brasse et encore pas terrible. Et ça y est, maintenant je sais nager 1,5 km… »

Audrey Heyraud : « Non, 1,8 km ! »

Victor Domingues : « Oui, parce que je nage comme ça… » (il mime le zigzag en riant)

Audrey Heyraud : « Non, la course faisait 1,8 km. »

Victor Domingues : « Ahhh, ben je ne savais pas. Donc j’ai vraiment nagé 1,8 km ! » (étonné)
Et puis ce week-end j’ai fait un deuxième Half-ironman et c’était très sympa. Et l’année prochaine, en mai 2023, on va faire ensemble le Frenchman. C’est les mêmes distances que le Full-ironman, au lac de Carcan. Ca va être mon premier full. Donc, voilà, je suis mordu ! Ca va être une belle histoire ! Ecrire son histoire au présent, tu sais Godefroy je t’en avais déjà souvent parlé, c’est ce qui compte !
Et le triathlon de ce week-end m’a donné une belle leçon d’humilité : je suis arrivé dans les 10 derniers. Donc je peux encore bien progresser ! C’est une belle stimulation pour l’entraînement et une belle leçon d’humilité. »

Godefroy Troude : « Avec une précision importante à donner : tu es certes arrivé parmi les 10 derniers, mais il y avait beaucoup de gens qui étaient derrière toi qui ont été éliminés par la barrière horaire, des gens qui comme toi avaient fourni beaucoup d’effort. Je trouve que c’est quand même dur pour les sportifs de mettre une barrière aussi difficile, tout comme les interdictions d’entraide dans les Ironmans. Je trouve que c’est pas très humain… Après il y a des gens qui vont dire qu’un Ironman ce n’est pas humain de toute façon (rires). »

Audrey Heyraud : « C’est vrai que le règlement est très strict. Sur le vélo tu as un nombre précis de secondes pour doubler et il faut bien se décaler, car si un arbitre passe au moment où tu es juste dans la roue de la personne juste devant et qu’il ne comprend pas que tu es en train de doubler tu peux avoir un carton bleu, des secondes ou des minutes de pénalité.

Victor Domingues : « Ca peut être 5 minutes ! »

Audrey Heyraud : « Les arbitres passent assez souvent et font respecter les règles. Pour le vélo je trouve ça normal car tu ne pédale pas pareil en peloton qu’en solo. »

Godefroy Troude : « C’est pour empêcher de profiter de l’aspiration du concurrent juste devant… »

Victor Domingues : « Oui, ca peut faire facilement 15% d’effort en moins, et à 30 km/h ca fait 5 km/h de plus, donc ca peut être énorme. Mais on n’en voit pas trop, c’est assez fair-play, d’ailleurs si tu es là ce n’est pas par hasard non plus. C’est l’école de la rigueur et de la volonté. Parce que les entraînements… Je me suis entraîné en juillet et août et c’était dur… ».

L’entraînement, c’est aussi une épreuve


Audrey Heyraud :
« Mais on va recommencer les entraînements ! » (sourire en tapant sur l’épaule de Victor)

Victor Domingues : « Oui, parce qu’on recommence le 19 octobre pour l’entraînement du Frenchman ! »

Godefroy Troude : « Mais tu ne vas quand même pas dire que tu trouves que l’entraînement est plus dur que la compétition elle-même ? »

Victor Domingues : « Ben… » (sourire)

Audrey Heyraud : « Si, je le pense. Sur des entraînements de natation tu vas facilement sur du 4,5 km et trois fois puis quatre fois dans la semaine. »

Godefroy Troude : « Mais à l’entraînement tu n’as jamais une intensité aussi forte qu’en compétition. Tu évoques la natation mais tu ne la cumule pas à l’entrainement avec le vélo et un marathon. »

Audrey Heyraud : « Non, c’est vrai. Sur les entraînements tu cours assez peu, tu fais beaucoup de vélo et de natation. Le jour de la course tu es là pour en profiter, c’est amusant, et tu bénéficie de tout l’entraînement passé, alors que franchement les entraînements parfois, les longueurs de piscine, pfff… »

Godefroy Troude : « Donc on peut dire que l’entrainement est parfois moins motivant, mais que sa difficulté est surtout sur la durée, avec le planning… »

Audrey Heyraud : « Oui, c’est ça. C’est l’hiver surtout qui est dur, compliqué. Car on ne peut plus faire de sortie longue, donc il faut faire du home trainer. Ou sortir mais c’est avec les gants. Une fois on s’est arrêtés en pleine pampa dans les Yvelines pour acheter de nouveaux gants de vélos car les miens n’étaient pas assez chauds et j’étais en train de perdre mes doigts (rires). L’hiver c’est vraiment pas agréable. En revanche au retour du printemps c’est vraiment agréable. Il faut tester les 180 km de vélo au moins une fois et là c’est sympa : tu vas jusqu’à Chartres tu déjeunes face à la cathédrale et tu reviens, c’est sympa… »

Victor Domingues : « Oui, oui » (souriant avec un air épuisé)

Audrey Heyraud : « Quand tu le vis tu es content, mais quand on en parle ça reste un peu fou… »

Trop peu de femmes en Triathlon


Audrey Heyraud :
« Il y a trop peu de femmes sur les triathlons, surtout en longues distances. Par exemple pour l’Ironman de Nice les femmes ne représentaient que 8% des coureurs sur la ligne de départ et 6% à l’arrivée. C’est trop peu. Globalement seulement environ 20% de femmes dans les clubs en France. Je comprends que ce soit difficile, et moi j’ai une organisation familiale qui me permet de m’entraîner le week-end, de me lever tôt et de n’avoir plus mes enfants à gérer mais on peut se mettre à courir parce qu’on arrête de fumer et finir un Ironman en s’entraînant ! Je pense que nous les femmes on se limite trop, qu’on se dit que ce n’est pas possible, qu’on est moins capables que les hommes, que ce n’est pas un sport féminin… On peut assez facilement lever les barrières qu’on se met. On peut prendre beaucoup de plaisir, on peut progresser. « 

Godefroy Troude : « Et quelles réactions as-tu lorsque tu dis que tu fais un Ironman ou juste un marathon ? »

Audrey Heyraud : « Quand je dis que j’ai fait un Ironman ca reste impressionnant parce que je suis une femme, alors que franchement… (Audrey fait une mine, comme si c’était banal) Aujourd’hui j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de femmes sur les marathons, du moins beaucoup plus qu’il y a 10 ans. Ça s’est assez démocratisé, on a passé ce cap-là. Mais sur les Ironman c’est encore assez anecdotique. »

Victor Domingues : « Sur le Half-ironman, si il y a quand même des nanas… »

Audrey Heyraud : « Oui, juste 20%, la moyenne d’inscription de femmes dans les clubs.
Beaucoup de femmes se créent des peurs : elles ont peur de s’entraîner le matin tôt quand il fait nuit. Je rassure tout le monde : quand on a un cuissard, un bonnet sur la tête et une veste de running, noooon, on ne va pas se faire agresser, pas de souci là-dessus (rires). Tout va bien ! Faire du vélo seul ? Il ne se passe rien ! Si je crève et que je n’ai pas de chambre à air, un cycliste va m’aider et m’en passer une. Et à la limite on va plus m’aider que toi pour changer la roue ! »

Victor Domingues : « C’est vrai… (rire avec un air entendu) »

Audrey Heyraud : « Oui, il y a des réactions de peur, des pensées qui sont limitantes. Mais il faut tenter, il faut y aller ! Je serai heureuse si par ma pratique sportive je donnais envie ne serait-ce qu’à une personne de se dire « Si elle le fait, moi aussi je peux le faire !« . Le sport est devenu mon quotidien, fait partie de ma vie. On se construit aussi avec ses réussites !
Beaucoup de partage aussi, car finalement le triathlon c’est une petite famille. On commence juste, on est débutants, on a fait une dizaine de courses, mais dimanche j’ai rencontré un gars avec qui j’avais discuté à Aix-en-Provence en attendant la séance d’osthéo, c’est rigolo. C’est un petit monde assez sympathique. »

Victor Domingues : « Tu devrais parler de cette dame qui te parlait avec son mari… »

Audrey Heyraud : « Oui, elle était admirative, elle me demandait « Mais vous, vous la faites ? » (la compétition) Et je lui avais répondu « Mais oui, et toi aussi tu peux la faire ! ». Mais pour elle il n’y avait que l’homme qui pouvait la faire. Et globalement sur les courses c’est encore ça : c’est la femme qui attend le conjoint… »

(Victor, qui justement, lui, attend Audrey, la regarde en rigolant)

Audrey Heyraud : « Globalement, oui ! Moi j’ai eu cette chance là ! Ta présence a beaucoup compté, c’est vrai, c’est énorme ! »

Godefroy Troude : « Et justement comment ca se passe quand vous faites la même compétition ? »

Audrey Heyraud : « Et bien on se croise… »

Victor Domingues : « …et on se rejoint la fin ! » (sourires)

Audrey Heyraud : « Quand j’arrive dans le parc à vélo après la natation, je me dis tiens il est parti avant moi… En fait, à part la natation où j’ai un peu plus d’entraînement que Victor, sur le vélo et la course en ce moment on est strictement pareils. Dimanche j’ai mis une minute de moins que toi au vélo, et toi une minute de moins que moi à la course. Donc vélo et course on est pareils. »

Victor Domingues : « Oui, pareils. »

Audrey Heyraud : « Mais c’est parce que je suis plus entraînée que lui. L’année prochaine il sera devant et je lui dirai coucou ! »

Victor Domingues : « On verra… »

Audrey Heyraud : « Si si ! Et ça nous permet de nous entraîner ensemble. »

Le Triathlon, la forme jusqu’à 99 ans !


Victor Domingues :
« Ce que j’aimerai dire aussi c’est qu’à 50 ans on peut se remettre en cause et faire un autre sport ! Moi, à 50 ans, je ne savais pas nager et aujourd’hui, à 54, je fais des Half-Ironman ! Évidemment je ne suis pas dans les premiers… En course à pied, même toi Godefroy je me souviens, on est plutôt bien placés dans les compétitions, dans les premiers 10% des meilleurs coureurs. Et en me mettant au triathlon je suis dans les derniers, mais pour moi c’est juste un challenge. J’ai envie de progresser ! Je trouve ça marrant de se remettre en cause. Et puis il n’y a pas de limite d’âge… »

Audrey Heyraud : « Justement, les catégories d’âge de triathlon vont jusqu’à 99 ans (sourire). Le fait d’avoir deux sports portés sur trois permet de le pratiquer très longtemps, même si évidemment on n’a pas de personnes aussi âgées. Mais quand même sur le Half-ironman de Vichy, il y avait un gars de 74 ans qui a fait un temps très honorable. Il est même monté sur le podium, étant seul dans sa catégorie d’âge ! »

Victor Domingues : « Mais d’ailleurs il a fait le même temps que moi ! » (avec un air épaté)

Audrey Heyraud : « Donc si tu veux nous interviewer à nouveau quand on aura 99 ans on sera toujours là ! »

Godefroy Troude : « Ce sera avec grand plaisir ! Merci à tous les deux pour ce beau témoignage ! »

Victor Domingues : « Merci beaucoup ! »

Audrey Heyraud : « Merci à toi ! »

Notes

– Entretien réalisé à Paris, jardins du parc de Bercy, le 20 septembre 2022.
– Entretien, image, son, montage : Godefroy Troude.
– Le montage vidéo et sa retranscription écrite ont été relus et approuvés par Audrey et Victor.

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