Interview de Philippe Truffault, directeur artistique de la chaîne de télévision « La Sept », à l’occasion de la mise à disposition sur YouTube d’archives de la chaîne, permettant retrouver son esthétique originale et non dénuée d’humour via des programmes courts, ouvertures antennes et habillages visuels et sonores.
Dans cet article :
1) Biographie
2) La Sept et son habillage :
– La charte graphique,
– Les ouvertures antenne,
– L’habillage sonore,
– Les annonces des programmes de la soirée,
– Les programmes courts et interludes.
3) Le compte YouTube « La Sept »
– Numérisations,
– Droits,
– Histoire parallèle
4) Pour aller plus loin
1) Biographie
Philippe Truffault est né le 4 décembre 1951. Autodidacte, il réalise ses premiers court-métrages en 1969, puis participe dans les années 1980 au démarrage de Canal+, La Sept et Arte. Il est aussi discret que productif dans ses réalisations : documentaires (« L’école des escrocs« , « Sous les marches du palais – Cannes 1991« , « L’empire des nombres« , « Le procès Barbie« en 6 DVD d’une durée de 21 heures, la direction artistique et éditoriale des bonus DVD MK2…), séries documentaires (« Arts du mythe« , « Mythologies« , « Philosophie« , « Blow up« …) et nombreux court-métrages dont certains autour des premiers films Lumière. Il a été surtout le directeur artistique de la chaîne de télévision La Sept, pendant ses trois années d’existence, de mai 1989 à mai 1992, devenue Arte dont il a créé le premier logo avec le graphiste américain Dan Benesch.
« Il est fort probable qu’une proportion importante de Français ait déjà suivi, sans le savoir, un programme fabriqué par Philippe Truffault […] Il n’a certes pas la notoriété d’un Marcel Trillat ou Jean Frapat, ses aînés, car il exerçait de façon plus confidentielle, mais à y bien regarder il incarne à sa façon une certaine forme de télévision. Une télévision de qualité, variée et farfelue, innovante et vecteur de connaissances en tous genres […] » (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, 2013, « Philippe Truffault, Les cinéastes par eux-mêmes« )
2) La Sept et son habillage
Logo « La Sept », créé par Étienne Robial
Godefroy Troude : « Philippe Truffault, vous avez été directeur artistique, responsable de toute l’esthétique de la chaîne La Sept depuis sa création en mai 1989 jusqu’à sa transformation en Arte en 1992… »
Philippe Truffault : « Oui, je m’occupais de l’image de l’antenne de La Sept : habillage, musique, textes des interventions, personnages, mais je n’intervenais pas à l’intérieur les émissions. »
Godefroy Troude : « Aujourd’hui encore, je suis toujours frappé par l’esthétique de La Sept : la simplicité, l’économie visuelle avec ce 7 de couleur jaune sur fond noir évoluant lentement, donnant lieu à des variations. Un exercice de style autour du 7 d’une originalité que je ne retrouvais pas sur les autres chaines, qui m’évoque davantage une presse d’Art des années 1950-1960 que la télévision des années 1980-1990. »
Philippe Truffault : « Oui, c’est un peu l’idée. »
La charte graphique
Charte graphique de « La Sept » (montage GTR *)
Philippe Truffault : « Le logo 7 a été créé par Etienne Robial, qui travaillait depuis 1984 sur l’habillage de Canal+. Tout a été décliné à partir de ce logo, qui était accompagné des mots « la sept » en bas de casse, en police Berliner grotesk. La charte graphique de l’habillage au jour le jour n’a jamais été clairement rédigée car les créations n’étaient pas externalisées. Lors du processus créatif il y avait une charte de fait, avec par exemple l’utilisation systématique de l’Helvetica. On n’utilisait pas de Macintosh mais une palette graphique Vidéo paint de chez EVS. Beaucoup de créations étaient faites à la main, des collages cartonnés et numérisés.
La police Helvetica – Annonce des programmes, soirée du 06/10/1990 (extraits de la vidéo)
Au début, les couleurs de fond des bandes-annonces étaient différentes selon les catégories de programmes. Vert pour les documentaires, Bleu foncé pour les fictions, Bleu clair pour le cinéma, Orange pour les programmes jeunesse, Rouge pour les spectacles. Par la suite, uniquement noir/jaune/blanc. Il y avait deux espaces visuels distincts : celui du logo 7 dans lequel on ne rentrait pas, qui n’avait pas d’interaction avec l’extérieur. Et l’espace derrière le logo.
Le kit de La Sept (extrait de la vidéo)
En avril 1992, quelques semaines avant l’arrêt de La Sept, nous avons fabriqué un petit programme pour consoler les téléspectateurs et leur permettre de faire leur Sept eux-mêmes, “pour voir La Sept là où elle n’est plus” : par exemple comment faire un générique d’ouverture en faisant croître le réticule jaune… D’ailleurs je ne sais plus bien comment le mot « réticule » en est venu à désigner le petit logo en bas à gauche… La vidéo est accessible ici. »
Les ouvertures antenne
Ouvertures antenne : 6 exemples parmi les 180 version créées (extraits de la vidéo)
Philippe Truffault : « Les ouvertures antennes ont été nombreuses. Alors que sur les autres chaines, il n’y avait habituellement qu’une seule ouverture, nous en avons fait environ 180 versions différentes sur La Sept. Beaucoup de versions, avec des génériques d’ouverture de l’après-midi ou du soir. On avait une petite cellule de production qui permettait de faire ces habillages, programmes courts et bandes-annonces. Chaque ouverture a pris des heures à créer, avec un système multicouche : chaque version s’enrichissait d’un élément supplémentaire, d’une nouvelle couche. On peut encore voir le numéro chronologique de chaque version en avançant image par image : au tout début, il apparaît furtivement pendant 2 images. La presque totalité de ces 180 versions sont visibles ici, regroupées dans une vidéo de près de 2 heures. Il y avait aussi les Jingles courts, presque aussi nombreux. Les 173 versions sont visibles ici dans une vidéo d’un peu plus de 30 mn.
Pour ces ouvertures antenne on utilisait le Harry : une machine de montage graphique qui était le top niveau à l’époque. C’était une palette graphique de Quantel, une évolution de la PaintBox qui apportait des fonctions de montage non-linéaire. Je les créais avec Êve Ramboz qui est devenue une grande spécialiste des effets spéciaux cinéma. Nous avons travaillé dans de nombreux studios en Europe disposant également d’un Harry à Paris, Bruxelles ou Madrid, où de nombreux artistes, connus ou non, ont participé comme Kuntzel+Deygas, Jérôme Lefdup, Roland Sabatier, Olivier Saive…
Ouverture alternative « cartonnée » (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « J’ai découvert, dans vos archives de La Sept, une ouverture avec des assistants qui simulent le générique d’ouverture en déplaçant de grands panneaux de cartons, avec les mains qui dépassent. J’ai adoré ce gag ! Cette ouverture a-t-elle vraiment été diffusée ? »
Philippe Truffault : « Oui. C’était une intervention cartonnée d’Étienne Barthomeuf, Zorin et Mirka Lugosi. Elle est accessible en vidéo ici. C’était juste un clin d’œil. Il avait le projet de fabriquer tous les génériques en carton. On a également fabriqué plusieurs interludes en carton, mais non diffusés. »
Ouverture alternative « La Sept Rap » (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « Il y avait aussi « La Sept Rap » où — sur un beat Rap — un homme rappe une tranche d’emmental carrée jusqu’à lui donner la forme triangulaire du logo de La Sept, en prononçant « La Sept ». Il fallait oser ! »
Philippe Truffault : « Oui, c’était Lol Coxhill, un musicien de Jazz anglais, qui apparaissait à chaque ouverture antenne de 20h00 lorsque FR3 cédait l’antenne à La Sept. Parmi ses différentes variations, il y en avait aussi une sur la fête des Rois et une autre avec un bruit insupportable dont certaines personnes ont été outrées (sourire). Il faisait partie du même monde que Michael Nyman qui a composé la musique des génériques (voir plus bas). Je connaissais Lol Coxhill depuis 1972 et nous avons plusieurs fois collaboré. Il est décédé en 2012.
L’habillage sonore
Michael Nyman, « La Sept, Suite », CD promotionnel (photo GTR)
Godefroy Troude : « Comme l’habillage visuel, l’habillage sonore de la chaîne allait un peu à contre-courant… »
Philippe Truffault : « Oui, la musique de la chaîne n’était pas une musique électronique mais une instrumentation classique créée spécialement pour La Sept par Michael Nyman, auteur entre autres de la musique de Meurtre dans un jardin anglais et Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de Peter Greenaway. Il est surtout connu aujourd’hui pour La Leçon de piano de Jane Campion qu’il a composé ultérieurement. Cette musique originale pour La Sept a été éditée sous la forme d’un CD promotionnel pour La Sept en décembre 1989 dont l’intégralité des pistes d’une durée de 18:19 est accessible sur cette vidéo :
Pistes :
01 Ouverture (1:05)
02 L’après-midi (0:47)
03 Le soir (0:48)
04 La nuit (0:49)
05 La Sept, Suite (1:25)
06 La Sept, Suite (0:55)
07 La Sept, Suite (1:21)
08 La Sept, Suite (2:49
09 La Sept, Suite (1:29
10 La Sept, Suite (1:25)
11 La Sept, Suite (1:31)
12 La Sept, Suite (2:15)
13 La Sept, Suite (1:32)
14 La Sept, Suite (0:21)
15 La Sept, Suite (2:56)
Fiche technique :
– Piano, direction d’orchestre : Michael Nyman.
– Violons : Elisabeth Perry, Fenella Barton, Gabrielle Lester, Iris Juda, Jackie Shave, Jonathan Rees, Lyn Fletcher, Mayumi Seiler, Mike McMeneny, Richard Ehrlich.
– Altos : Kate Musker, Roger Tapping.
– Violoncelles : Jane Salmen, Tim Hugh, Tony Hinnigan.
– Contrebasse : Lynda Herighten.
– Basse électrique : Martin Elliott.
– Clarinette : David Rix.
– Saxophone soprano : John Harle.
– Saxophone alto : David Roach.
– Saxophones ténor et baryton : Andrew Finden.
– Cor : Richard Watkins.
– Trombone : David Stuart.
– Voix : Sylvie Caspar.
– Production David Cunningham, Philippe Truffault, pour La Sept. Enregistré en août 1989 aux studios PRT, Londres. Ingénieur du son Michael Dutton. Mixage et edits antenne Jean-Philippe Goude au studio Ramsès, Paris.
Un programme court a été consacré à Michael Nyman en mai 1992 à l’occasion de l’un de ses concerts à Paris.«
Michael Nyman, 2010 (montage GTR d’après photo Wikipedia)
Godefroy Troude : « Vous souvenez-vous dans quelles conditions a été choisi Michael Nyman ? »
Philippe Truffault : « C’était une idée que j’ai concrétisée simplement en l’appelant ! Mais d’autres musiciens ont participé à l’univers sonore de La Sept, par exemple Guy Skornik, ou Étienne Charry. »
Sylvie Caspar (habillage GTR)
Godefroy Troude : « L’autre composant de l’habillage sonore, c’est la voix de La Sept, Sylvie Caspar. Une voix charmante et espiègle, qui m’évoque celles des animatrices feutrées et sensuelles de FIP. À mes yeux, une déclaration de Michael Nyman résume tout : « Your voice and my music, what a combination ! » Je trouve qu’il y a en effet une grande élégance mutuelle. Étiez-vous à l’origine du choix de Sylvie Caspar ? »
Philippe Truffault : « Oui. Je ne souhaitais pas une voix formatée « culture » au sens traditionnel. Je cherchais une voix neuve, quelque chose de nouveau dans l’univers de la télévision (un peu comme pour la musique). Elle est devenue un vrai standard des années 1990, maintes fois parodiée. »
Godefroy Troude : « Est-ce qu’elle contribuait aux textes ? Et savez-vous pourquoi elle a quitté Arte en 2011 ? »
Philippe Truffault : « Oui, elle corrigeait certains passages pour les mettre mieux en bouche. C’est plutôt Arte qui l’a quittée, à l’occasion d’une refonte de l’habillage. Elle fait toujours de nombreuses publicités. »
Les annonces des programmes de la soirée
Deux annonces animées de programmes (extraits de la vidéo)
Philippe Truffault : « Pour les annonces de programmes de la soirée, on faisait une création spéciale à chaque fois avec des séquences animées, par exemple ici avec la série Histoire parallèle et également ici avec une série d’émissions consacrées à Pierre Boulez, réalisée par l’artiste vidéo Jérôme Lefdup.
Godefroy Troude : « Je me souviens aussi de photographies solarisées en deux tons, noir et blanc, qui avaient beaucoup de force et identifiaient immédiatement la chaine… »
Philippe Truffault : « Oui, c’est ce qui marquait la fin des séquences de promos, des bandes-annonces, avec les horaires (voir exemple ci-dessus, image de droite). »
Neuf annonces fixes de programmes (affiches), parmi les 1200 (extraits de la vidéo)
Philippe Truffault : « Au bout de quelque temps, pour des raisons budgétaires, on a dû cesser ces séquences animées et se limiter à de simples affiches (c’est le nom que nous leur avions donné). Ça restait néanmoins une création spécifique qui n’était pas forcément basée sur le look de l’émission elle-même. Au moins 120 graphistes, dessinateurs et réalisateurs ont travaillé dessus pour créer environ 1200 affiches. Plusieurs graphistes et réalisateurs y ont fait leurs premières armes, mais de nombreux autres, déjà confirmés, y ont aussi travaillé. L’idée était aussi de faire des divers habillages (promos annonces, programmes courts) un lieu de création.
Quelques noms de graphistes et réalisateurs (liste incomplète) : Zorin et Mirka Lugosi, Kuntzel + Deygas, Philippe Ghielmetti, Cathy Millet, Laurent Jennet, Jérôme de Missolz, Daphna Blancherie, Laurent Makovec, Le Village, Stéphane Loison, Dan Benesch, Jérôme Lefdup, Véro Goyo, Agathe Labernia, Christian Merlhiot, Yvon Marciano, Philippe Le Faure, Franck Firmin-Guion, Christophe Findji, Pascal Bourdiaux, Larry Kazal, Jean-Luc Saumade, Rita Mercedes, Bertrand Loutte, Patrick de Geetere, André Morinet, Daniel Isoppo, Alain Jomier.
Production et rédaction (liste incomplète) : Marie-Laure Lesage, Marianne Lévy-Leblond, Jean-Pierre Léoni, Hélène Mallet, Frédéric Thonet, Sophie Tavières, Claire Jeanteur, Philippe Mazuet, Henri L’Hostis.
Technique vidéo et son (liste incomplète) : Long Courrier, Mikros Image, LBO, UMT, Duran, Duson (Laurent Peyron).«
Annonce « 36 15 LA SEPT » (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « Je me souviens aussi d’une annonce audacieuse, avec une typographie énorme : au lieu d’avoir une mise en page avec un texte centré et un générique qui défile sagement, on voyait passer des lettres énormes qui débordaient largement en dehors de l’écran. Et ce qui est étonnant c’est que le cerveau reconstitue le texte. Un concept que je n’avais jamais vu à la télévision, mais plutôt dans la presse. »
Philippe Truffault : « Effectivement, déborder de l’écran ne se faisait pas beaucoup à l’époque. Mais on n’avait pas de moyens supérieurs aux autres chaînes. C’était juste un choix artistique. Il y en a eu une cinquantaine d’annonces de ce type, comme le 3615 La Sept qui sont presque toutes sur le compte YouTube. On a créé aussi les « Zoubins » (un mot qu’on avait inventé) où le nom du mois traversait l’écran avec une très grosse typo. Ils sont ici sur YouTube. Évidemment à l’époque on n’avait pas tous les moyens graphiques qu’il y a maintenant… »
Générique de l’émission « DIM DAM DOM », 1968 (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « Je n’avais pas vu une telle originalité graphique à la télévision depuis l’habillage de l’émission Dim Dam Dom en 1968 avec ses gros caractères combinant un diaporama photographique. »
Extrait de l’émission « Discorama », avec Jacques Brel, 1966 (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « Il y avait aussi une originalité dans la mise en scène des émissions de La Sept qui me rappelait l’originalité et l’audace du dépouillement du plateau de Discorama en 1966, montrant quelquefois tout le plateau technique autour du chanteur (ici exemple avec Jacques Brel) qui me faisait penser au dépouillement du plateau d’Histoire parallèle même si on ne voyait pas la technique. »
Philippe Truffault : « Oui, c’était Raoul Sangla qui avait fait ça pour Discorama. Mais là, c’est un domaine sur lequel je n’intervenais pas. En dehors du Dessous des cartes que j’ai contribué à mettre en place, je ne participais pas aux conceptions des plateaux. C’est Philippe Grandrieux puis Didier Deleskiewicz, par exemple, qui ont conçu et réalisé Histoire parallèle… mais j’ai tout de même beaucoup collaboré avec Marc Ferro quelques années après sur la chaîne « Histoire » : toutes les présentations d’émissions, puis des débats filmés avec des petites caméras DV, ce qui était novateur pour l’époque, au lieu d’avoir les habituelles grosses et lourdes caméras.
Dans le même ordre d’idée, plus tard sur Arte, j’ai réalisé l’émission « Philosophie« , 304 émissions au total, dont les 206 premières ont été tournées en plan-séquence dans les conditions du direct, qui parfois nous faisait quitter le plateau pour arriver dans la rue sans quitter le plan-séquence. Et certains propos échangés était recopiés brièvement à l’écran, soulignant le discours. Ensuite on est passé à deux caméras, ce qui a un peu affaibli la densité de l’émission. »
L’habillage du 1er avril, avec Jacqueline Caurat (extrait de la vidéo)
Godefroy Troude : « Ce que j’aime dans La Sept c’est le choc d’une programmation plutôt élitiste, d’une élégance austère, avec en même temps des délires pince-sans-rire. Je crois que le meilleur exemple, que j’ai découvert dans vos archives, est le réhabillage de La Sept avec ses effets spéciaux maladroits, après une mire TV façon ORTF, puis Jacqueline Caurat énonçant les programmes de la journée sur un ton années 1950. »
Philippe Truffault : « Oui, le réhabillage du 1er avril 1990 ! Jacqueline Caurat s’est bien amusée avec sa plante verte, en lisant le texte qu’on lui avait rédigé. Pour elle, c’était nouveau de travailler avec un prompteur et aussi de passer à l’antenne en couleur alors qu’elle n’était passée que sur la première chaîne noir et blanc, la seule à l’époque. Plein de téléspectateurs nous ont appelé ensuite, indiquant que c’était très bien et qu’il fallait la remettre à l’antenne. Alors que c’était un gag (rire). »
Godefroy Troude : « Jacqueline Caurat a pris du plaisir à jouer avec sa propre image ? »
Philippe Truffault : « Ah oui, elle était ravie. »
Bande annonce de la première Histoire parallèle (avec réticule vert) — La blague du fou qui repeint son plafond — Blagues allemandes et françaises (extrait des vidéos)
Godefroy Troude : « Avez-vous des archives sur Histoire parallèle ? »
Philippe Truffault : « Sur Histoire parallèle, j’ai la bande-annonce pour la première émission, avec une brève présentation de Marc Ferro, puis de Klaus Wenger, suivi d’un extrait de l’émission. J’ai également des annonces pour l’émission n°100 et une spéciale Dziga Vertov. J’ai aussi un détournement : « L’histoire parallèle » sur le fou qui repeint son plafond, avec Urbain Glandier, dit le Père Emptoire, et Jürgen Zwingel (deux personnages qui faisaient partie de la galerie qui, aux côtés de Jean Abeillé, apparaissaient régulièrement et par surprise sur l’antenne). C’est la même idée qu’on a repris pour l’émission de blagues franco-allemandes « Histoires parallèles : blagues allemandes et françaises » pour Canal+ ».
Annonce des programmes de la soirée… en vers ! (extrait de la vidéo)
Godefroy Troude : « Certains habillages humoristiques des programmes de la soirée étaient formidables, comme celui annoncé en vers, s’achevant avec une déclaration d’amour à Marc Ferro dont les joues étaient colorées en rose. Ces textes étaient de vous ? »
Philippe Truffault : « Je n’ai hélas pas ces continuités d’antenne, qui n’étaient pas archivées. Elles n’existent aujourd’hui que par des gens comme vous qui enregistraient la chaîne sur leurs VHS. L’habillage était fait par des graphistes qui travaillaient sous ma direction. Pour les textes, il y a avait plusieurs auteurs (dont Bruno Léandri, André Igwal, Jean-Luc Porquet par exemple), qui nous les envoyaient par fax. Je les passais systématiquement à la moulinette car souvent il fallait les raccourcir… Et Sylvie Caspar les retouchait parfois à son tour pour que le phrasé soit plus harmonieux. J’ai pu réunir la presque intégralité des textes d’annonces de La Sept et voici justement ci-dessous le texte de travail pour cette annonce de programmes du 07/03/1992, en vers, lue à l’antenne par Sylvie Caspar, la « voix » de La Sept :
Note : attention au rythme : il y a des pieds indiqués : « e » appuyés = euh, e avalé = ‘
Oui le sept mars aujourd’hui nous sommes,
et c’est l’ultimeuh journée des zhommes,
car demain huit, foi de gonzesse,
ce sera bien le jour des drôlesses… !
Pour histoire parallèl’ c’est uneuh nouvelle heure,
où Paris se souvient d’un bien saleuh quart d’heure :
et ce soir Marc Ferro étudie les tensions,
avec un spécialisteuh, de l’occupation ;
C’est Henri Amouroux puisqu’il faut qu’on le nomme,
du 7 mars 42 il est question en somme…
Plus tard dans la soirée, y’aura ben du mystère
avec « Monsieur Abel » en un manoir austère ;
C’est Zouc et c’est Pierr’ Dux qui en sont les étoiles.
C’est pour le p’tit écran mais c’est du cinéma
Ça conjugue l’eskimo avec le pyjama
c’est filmé par Doillon, c’est ça un télétoil’
Ensuite après le courrihier et Soir 3 qui le suit…
Un souffleu de Cuba vient réchauffer la nuit :
Du cinéma de poche je crois bien qu’il est l’heure
Le film s’appell’ Lucía et conte les malheurs
d’une jeune cubaine au mariemmerdeur…
Pour l’actuduciné, après c’est l’Eclaireur.
A minuit restons mixtes, c’est l’heure du grand biniou
On zyeuteuh megamix, et on l’esgourde itou
Mesdames jusqu’à demain pouvez encorelanguir,
A cette heure en ce lieu, il est l’uniqueuh sire…
On l’aime et il est beau :
c’est notreuh Marc Ferro.
Et un autre exemple, du 31 décembre 1991, où se clôturait l’année Mozart qu’on surnommait « Wolfie » dans nos annonces (qui peut être écoutée ici) :
« Dans quelques 240 minutes, l’Année Mozart sera remplacée sans aucun ménagement par l’année Colomb. Sans aucun ménagement, c’est le mot, puisque LA SEPT diffuse « Cosi fan tutte » dans la mise en scène de Peter Sellars. Lieu de l’action : New York-néon, dans le coffee-shop de Despina, où Peter Sellars a préparé un cocktail plutôt secoué. « Fa tutto cosi » : il fait toujours ça, Peter Sellars. « Cosi fan tutte » : drama giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte et une idée de l’Empereur Joseph II. Wolfie, ton année est finie. »
Les programmes courts et interludes
Bouli Lanners, William Burroughs, Noël Godin, Jerry Lewis, Garry Kasparov, Jean Abeillé (extrait des vidéos)
Philippe Truffault : « Il y avait une équipe de production, de graphistes, qui turbinaient pas mal toute la journée pour mettre à l’antenne toutes les promos les petits programmes courts liés à la programmation ou aux évènements (sur le printemps, l’été, la Saint-Valentin…). Au départ il y avait une dizaine de personnages (Jean Abeillé, Marie Fonbonne, Urbain Glandier, Jürgen Zwingel, Bouli Lanners, et aussi ponctuellement des personnalités plus spécifiques comme William Burroughs, Garry Kasparov, Jerry Lewis, ou Marcel Zanini. Isidore Isou a un temps été envisagé comme personnage récurrent, nous avons filmé un essai, mais ce projet a été abandonné… »
Godefroy Troude : « …et aussi Howard Vernon ? »
Philippe Truffault : « Howard Vernon, c’était une interview dans le cadre du magazine de cinéma L’éclaireur dont nous nous occupions également. »
Jean Abeillé, superstar ! (extrait des vidéos)
Philippe Truffault : « Mais le personnage qui était le plus connu c’était Jean Abeillé : il est apparu 3000 fois, 7 à 6 fois par jour, des interventions qui n’ont été diffusées qu’une seule fois et n’ont plus jamais été revues …jusqu’en 2021 avec l’ouverture du compte YouTube La Sept. »
Godefroy Troude : « Jean Abeillé apparaissait avec un habillage sombre et inquiétant qui cachait un humour à la fois potache et déroutant ! Et des gags abondants : ses interventions cumulent près de 7 heures dans vos archives en ligne ! »
Quatre interludes en carton (extraits de la vidéo)
Godefroy Troude : « J’ai également découvert dans vos archives les interludes en carton où un présentateur transformait le téléviseur en aquarium ! Je me demande si son auteur n’avait pas été influencé par l’économiseur d’écran After Dark sorti l’année précédente et qui remportait un gros succès chez les créatifs, équipés uniquement de Macintosh à l’époque. »
Philippe Truffault : « Ces quatre interludes cartonnés avec Étienne Barthomeuf sont restés inédits à ce jour. Deux d’entre eux sont baptisés « Aquarium », et les deux autres « Dans la nature » et « Ballons ». Malheureusement, le projet de reconstituer l’intégralité de l’habillage de La Sept en carton n’a jamais été mené à son terme. Les graphisme et cartonnages étaient de Zorin et Mirka Lugosi. Il y a peut-être eu une influence de cet économiseur d’écran, je ne sais pas, c’est une idée commune. »
L’Opéra Così fan tutte, interrompu par Lol Coxhill (extrait de la vidéo)
Philippe Truffault : « Le soir du 31 décembre 1991, pour clore l’année Mozart, La Sept diffusait l’Opéra « Cosi Fan Tutte », dans une mise en scène de Peter Sellars – dont on peut voir quelques images dans la bande-annonce présentée. Mais la diffusion de l’opéra allait au-delà de minuit, heure des vœux de bonne année. On a décidé de couper l’antenne au milieu de la représentation : la retransmission a été interrompue à minuit pile par l’apparition surprise du saxophoniste anglais Lol Coxhill parce que n’est-ce pas : “L’année Mozart est finie”. Puis la représentation de Cosi Fan Tutte a repris après cette intervention inopinée. À la fin de l’opéra, Lol Coxhill est réapparu une seconde fois, pour une improvisation au saxophone soprano. Les protestations ont été rares, et quelques téléspectateurs ont même cru qu’il s’agissait d’une facétie de Peter Sellars, le metteur en scène, pensant que cela faisait partie de la mise en scène de l’opéra. C’est étonnant ce qu’on pouvait mettre sur La Sept à l’époque ! Par la suite, Lol Coxhill a été présent tous les samedis à 20h00 pour l’ouverture antenne de La Sept (voir plus haut). »
Les français écrivent aux Shadoks (extrait de la vidéo)
Godefroy Troude : « Vous évoquiez à l’instant quelques protestations après l’intervention de Lol Coxhill au milieu de Così fan tutte, tout à l’heure également des protestations après son ouverture antenne avec un bruit insupportable, et aussi les courriers après le programme parodique du 1er avril 1990 ? Aviez-vous une émission dédiée à ces courriers de téléspectateurs ? Je pense à l’émission désopilante, en 1969, « Les Français écrivent aux Shadoks » où Jean Yanne lisait le courrier des téléspectateurs outrés par les Shadoks et leur répondait de façon humoristique « Nous manquons de locaux »… À tout hasard, aviez-vous sur La Sept une telle émission ? »
Philippe Truffault : « Oui, Le courrier des téléspectateurs, mis en images par Michaël Gaumnitz sur la voix de Sylvie Caspar, mais c’était produit en extérieur par la société Ex Nihilo, et je n’avais pas la main sur ce programme. »
« L’éclaireur » (extraits de la vidéo ici et là)
Godefroy Troude : « J’ai retrouvé dans votre chaîne deux sujets qui m’ont marqués : l’un sur le chauffage des salles de cinéma « Le free cooling », un point de détail certes, mais au principe étonnant. Et un second au montage émouvant sur la disparition des salles de cinéma de quartier. »
Philippe Truffault : « C’étaient des épisodes contenus dans le magazine L’éclaireur dont nous nous occupions également. »
« 100 films, 100 musiques, 100 musiciens » (extrait de la vidéo)
Godefroy Troude : « Mais parmi vos programmes courts, mon préféré, celui que j’adore, c’est « 100 films, 100 musiques, 100 musiciens« . Dix pages listant dix titres de films affichés en gris, recouverts chacun par le nom de l’auteur de sa musique pendant que la musique est diffusée, et tout cela très vite puisqu’en cinq minutes on a balayé près d’un siècle d’histoire de musiques de films. Remarquable ! Je l’ai numérisé d’après mes VHS et il est ici. »
Philippe Truffault : « C’est un des programmes courts que je n’ai pas retrouvé sur bande. J’en ai un vague souvenir, mais je ne sais plus quand on l’a fait, ni à quelle occasion, ni qui. Et si ça se trouve c’est moi, il y en a tellement car c’est le genre de chose que je fais, avec des accumulations, des listes… L’affichage du texte comme une barre de progression était très complexe. Techniquement on utilisait un synthétiseur d’écriture, on s’en servait beaucoup à l’époque, le Delta, qui était souvent détourné. Cela permettait de faire des flous. C’est avec lui que j’ai fait plus tard le générique de « Corpus Christi » sur Arte. »
Godefroy Troude : « J’aime beaucoup ces accumulations »
Philippe Truffault : « J’avais aussi fait plus tard, en 1995, une série de films pour les 100 ans du Cinéma. C’était en 35 mm, il faut les imaginer projetés sur un grand écran à une époque où il n’y avait pas les effets spéciaux actuels. Exemple : L’arroseur arrosé avec la musique de psychose… Cette série faite pour le centenaire du cinéma est passée dans toutes les salles en 1995, il y en avait un à chaque séance, donc il y a eu 200 millions de spectateurs cinéma. Si j’avais touché un centime par diffusion ça aurait été bien… (sourire) »
Jean Abeillé et Jean-Christophe Victor (extrait de la vidéo Arte)
Godefroy Troude : « Je me souviens aussi d’un gag de Jean Abeillé qui s’impatientait du retard de Jean-Christophe Victor et essayait vainement d’arrêter la rotation du planisphère, avant que n’arrive finalement Jean-Christophe Victor fixant le planisphère d’un claquement de doigt. »
Philippe Truffault : « Oui, mais celui-ci était plutôt sur Arte, en tout cas je ne m’en souviens pas. Jean Abeillé a continué sur Arte. J’ai continué aussi au départ, et d’ailleurs le logo Arte c’est la typo que j’avais faite avec le graphiste américain Dan Benesch sur une idée de typo demi Franklin. Le reste du logo (le « a » peint) a été le résultat de multiples réunions de coordinations avec des équipes de graphistes des chaînes allemandes. Quand notre petite équipe de La Sept qui fabriquait tout à la main est passée sur Arte, tout est devenu beaucoup plus compliqué avec la multiplication des équipes et des décisionnaires, car il y avait aussi la partie allemande, Strasbourg… Les interludes d’Arte (les célèbres moutons, « L’heure c’est l’heure », etc.) ont été réalisés plus tard par Hélène Guétary. Je ne m’occupais plus alors de l’habillage de la chaîne. Plus tard, le logo Arte a été modifié et simplifié plusieurs fois, mais sans ma participation. »
Godefroy Troude : « Pour conclure cette évocation de La Sept, est-ce qu’on peut dire que dans toute l’histoire de la télévision, c’est la chaîne qui aura eu le plus de budget et de créativité pour l’habillage et les programmes courts ? »
Philippe Truffault : « C’était un peu unique en effet. Évidemment, sur Canal+ il y avait aussi beaucoup de créativité, y compris sur l’habillage, mais c’était surtout dans le cadre de programmes courts. Mais avec La Sept on avait le budget et surtout la possibilité de les mettre à l’antenne. […] Il y a plein de gens qui ont de bonnes idées et il faut rendre hommage aux responsables de La Sept, en l’occurrence André Harris, Jérôme Clément et Philippe Chazal (le responsable de l’antenne), de nous avoir fait confiance, d’avoir accepté leur diffusion sans doute aussi parce que ça les amusait et leur plaisait. Ça ne peut pas marcher s’il faut faire 50 réunions… La particularité sur La Sept c’est qu’on avait un budget, une autonomie, donc on faisait des trucs et on les mettait directement à l’antenne, ce qui est rarement le cas dans une chaine de télévision ou les structures en général. »
3) Le compte YouTube « La Sept »
Numérisations
Godefroy Troude : « Vous avez créé le compte YouTube « La Sept » le 29 août 2021. Auparavant, seuls des amateurs publiaient des petits bouts de vidéo provenant de La Sept. »
Philippe Truffault : « Oui, ça faisait un moment que j’avais le projet de numériser ces vidéos. Mais l’idée du compte YouTube m’est venue après. Montrer des images qui n’ont le plus souvent été montrées qu’une unique fois sur l’antenne de La Sept et étaient invisibles depuis 1992. Depuis 30 ans.
L’INA n’a pas archivé les programmes de La Sept, sauf s’ils étaient coproduits avec une autre chaîne comme TF1 ou FR3, et encore moins pas archivé l’habillage de la chaîne qui était donc produit en interne, et qui de fait a disparu. Lorsque La Sept s’est arrêtée j’avais mis de côté plusieurs cassettes Beta SP compilant certains éléments d’habillage, et aussi quelques cassettes VHS et cassettes audio contenant des versions de travail de spots d’habillage. Et récemment j’ai commencé à numériser tout ce que je trouvais. Car mine de rien c’est un peu la dernière chance pour ces cassettes : elles s’abiment avec le temps, les têtes des magnétoscopes Beta SP s’usent voire tombent en panne, il n’y a plus de pièce de rechange et on ne trouve plus de magnétoscope Beta SP pour les lire… (montrant un sac à terre dont on entrevoit une partie du contenu). J’ai des sacs comme ceci pleins de cassettes Beta SP, et aussi de Beta Numérique d’Arte qui a le même problème d’habillage non conservé. Mais ces cassettes ce n’est hélas pas l’exhaustivité : il y a plein de choses de La Sept dont je me souviens et qui n’ont pas été enregistrées. Par exemple je n’ai plus la séquence que vous aimez beaucoup et avez mise en ligne « 100 films, 100 musiques, 100 musiciens ».
Godefroy Troude : « Comment effectuez-vous les numérisations ? »
Philippe Truffault : « J’utilise les machines de ce studio, Arte Studio, qui est une filiale d’Arte, lorsqu’elles ne sont pas utilisées, car je n’ai pas ces machines à titre personnel. J’ai eu beaucoup de mal à numériser certaines cassettes qui étaient illisibles. Vous me direz que parfois on n’arrive pas non plus à rouvrir des fichiers informatiques… Paradoxalement j’ai plus de mal avec les Beta Numériques que les Beta SP : les enregistrements numériques ont des défauts plus traîtres. Parfois on n’a plus rien en numérique alors qu’il reste presque toujours quelque chose en analogique.
Au départ j’avais mis en ligne sur YouTube des séquences brutes, et puis petit à petit j’ai préféré les restaurer tant bien que mal, rectifier quelques parasites, légèrement rogner certains bords d’image, réparer un peu le son… »
Godefroy Troude : « Avez-vous une idée de l’espace occupé par le cumul de vos numérisations d’habillages et programmes courts ? De la quantité des vidéos ? »
Philippe Truffault : « Oh, sur les serveurs, ces numérisations de La Sept doivent prendre 8 à 10 To environ. Je les ai toutes faites en Apple ProRes 422 HQ. Sur la chaîne YouTube sont stockées un peu plus de 200 vidéos totalisant une trentaine d’heures : la plus courte fait 13” et la plus longue 3h50′, sachant qu’il y a environ 20” à la fin de chaque vidéo pour laisser la place aux renvois vers d’autres vidéos.
Une petite partie de ces vidéos sont également accessibles sur le compte Instagram lasept19891992. »
Droits
Godefroy Troude : « Est-ce un compte YouTube représentant officiellement la chaine « La Sept » ou est-ce à titre personnel ? »
Philippe Truffault : « C’est un compte que j’ai créé à titre personnel et Arte est évidemment au courant, mais vous savez, La Sept aujourd’hui… Je ne publie que des séquences d’habillage et de promo pour lesquelles je suis concerné, et je crédite dans le texte de présentation YouTube toutes les personnes qui ont contribué aux séquences (tout au moins ce dont je me souviens). »
Godefroy Troude : « Avez-vous eu des problèmes de droits, des blocages ? »
Philippe Truffault : « Arte ne m’a pas limité dans ces programmes de promo et d’habillage que je mets en ligne. En fait je n’ai rien demandé à personne (à l’exception de la mise en ligne du Dessous des cartes) et peu de monde a réagi… C’est plutôt YouTube qui pose parfois des problèmes, m’obligeant à retirer certaines musiques, certaines images ou limitant la visibilité aux adultes. Par exemple dans une des bandes d’attente, une fille soulevait très brièvement son pull et YouTube demandait à ce qu’on la classe en interdit aux moins de 18 ans car ses seins apparaissaient. C’est un peu ridicule… Autre exemple avec Don Giovanni qui est signalé par YouTube comme non monétisable, mais ce n’est pas un problème car ce n’est pas le but… »
Histoire parallèle
Godefroy Troude : « Je venais initialement vous interviewer à propos de la série Histoire parallèle et nous avons finalement parlé de beaucoup d’autres choses, finalement tout aussi intéressantes… Je reviens néanmoins sur le sujet. J’évoquais ma frustration qu’une série telle que Histoire parallèle, ne soit pas accessible au grand public. Qu’en pensez-vous ? »
Philippe Truffault : « La série Histoire parallèle a toujours été un problème pour beaucoup de monde, trouvant dommage que ce ne soit pas édité en cassettes. C’était 630 émissions. Les 20 premières étaient un peu différentes, réalisées par Philippe Grandrieux, et toutes les autres par Didier Deleskiewicz. Il y a une grosse complexité de droits pour les éditer officiellement, et c’est pour cette raison que l’émission est invisible. J’ai eu longtemps l’intégrale sous les yeux, en VHS vous me direz, mais c’est mieux que rien. Hélas tout a disparu avec les déménagements et je ne sais pas où c’est. Louisette Neil est décédée, Marc Ferro est décédé… Ils avaient chaque émission en VHS, et Didier Deleskiewicz sans doute aussi. »
Godefroy Troude : « Du côté de l’INA, hélas la numérisation du stock d’archives d’Arte/La Sept sur support Beta ne semble pas bouger depuis des années. Il manque toujours environ 200 émissions dans le stock de l’INA, ce qui est inquiétant je trouve dans la mesure où ces bandes s’abiment années après années. Parallèlement (!) Matthias Steinle, un des documentalistes de l’émission que j’ai interviewés, a pu récupérer le jeu de cassettes VHS de Marc Ferro dans sa cave lors de son décès et a entrepris une démarche de numérisation de ces VHS à l’Université Sorbonne Nouvelle. »
Philippe Truffault : « C’est bien s’il y a une démarche de les numériser, même si ce ne sont que des VHS. Évidemment des cassettes qui ont 30 ans stockées dans une cave avec l’humidité ce ne sont vraiment pas de bonnes conditions.
J’ai essayé de numériser plein de VHS et c’était compliqué… C’est que j’enregistrais beaucoup : dans les années 1980 j’avais chargé ma mère, quand elle rentrait de son travail, d’enregistrer les émissions de clips qui passaient à la télévision. On avait 3 magnétoscopes, du Betamax et du VHS, et on enregistrait des tas de trucs. Mais c’est un peu vain car on est vite dépassé par la quantité d’enregistrements… Et est-ce qu’au final on va les regarder ? Aujourd’hui on a tellement de choses accessibles en ligne… Néanmoins tout n’est pas accessible : dans les productions que je fais pour Blow Up il y a des trucs que je n’arrive pas à trouver, ou alors j’arrive à les localiser mais uniquement en 35 mm.
Mais pour en revenir à Histoire parallèle, j’ai lu votre série d’articles : vous passez un temps fou sur votre blog ! Ça doit vous prendre une part importante de votre temps libre ! »
Godefroy Troude : « Effectivement, j’ai dû consacrer 4 à 5 semaines à temps complet pour rédiger ces quatre articles. Je ne trouvais pas sur Internet les articles et interviews que je voulais voir, alors j’ai rédigé ceux j’aurai voulu trouver. Et je pense que ce n’est pas du temps perdu puisque désormais ces articles sont accessibles à tous. Autour de moi très peu de gens connaissent ou se souviennent de Histoire parallèle. Or, avec plus de 600 heures consacrées à l’analyse par des historiens des archives visuelles de notre Histoire collective – dont la seconde guerre mondiale – Histoire parallèle est à mes yeux incontournable et j’estime important que cette émission ne soit pas oubliée,
Dans le même état d’esprit, j’avais depuis longtemps le projet de faire un article sur La Sept, mais depuis l’ouverture il y a quelques mois de votre excellente chaîne YouTube cet article n’est plus vraiment nécessaire. »
Philippe Truffault : « Mais si ! Ma chaîne YouTube n’est pas argumentée, sa programmation est un peu en vrac. Vous pouvez d’ailleurs vous servir de mes publications vidéo comme base, compléter tout ce que vous savez des programmes. La série des bandes-annonces pour Grand format, par exemple, donne une idée des grands documentaires produits par l’unité de Thierry Garrel pour La Sept.. »
Godefroy Troude : « Je vous remercie de m’avoir accueilli chez Arte Studio pour cette belle évocation de ce qu’était La Sept ! »
4) Pour aller plus loin
À voir
– « La Sept » (Chaîne YouTube créée par Philippe Truffault)
– « Rembob’INA : les 30 ans d’Arte » (La Chaîne Parlementaire, 2022, 2h00)
– « L’Empire des Nombres » de Philippe Truffault (sur YouTube, 2001, 52mn)
– « Sous les marches du Palais – Cannes 1991 » de Philippe Truffault (sur YouTube, 1991, 34 mn)
– « La Sept » : Histoire parallèle, Le dessous des cartes, Palettes… (Playlist YouTube)
– « Sylvie Caspar : la voix de La Sept et d »Arte » (blog.troude.com, 2023, 1h24)
– « Sylvie Caspar, la voix d’Arte » (Arte Radio, 2003, 6mn)
À lire en ligne
– « Philippe Truffault — Cinéastes par eux-mêmes » (Sorbonne Nouvelle, 2013, 36 pages) — Mémoire de Victor BOURNERIAS, Alexandre KASSIS, Xavier LAUNOIS, Emerick MISSUD – Master 1 Études cinématographiques et audiovisuelles Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle « Cinéastes par eux-mêmes » : séminaire organisé par Nicole Brenez Année 2012/2013 — Le support d’une conférence dédiée à Philippe Truffault particulièrement bien documentée sur l’ensemble de ses réalisations.
Notes
* montage inspiré par l’excellente série « Palettes » d’Alain Jaubert ainsi que la vidéo « Le kit de La Sept ».
– L’intégralité de cet entretien a été relu, rectifié et validé par Philippe Truffault.
– Toutes les mentions « montage » et « extraits de la vidéo » ont été réalisés par Godefroy Troude et toutes les images de cet article ont été nettoyées par Godefroy Troude. Merci à Philippe Truffault pour ses conseils de mise en page.
Quelle créativité dans l’habillage et l’identité sonore et visuelle de La Sept ! mais pas que : il y a d’autres vidéos qui valent vraiment le détour. J’ai trouvé incroyables les petits films pour le centenaire du cinéma (tout spécialement les musiques emblématiques du 7e art sur un violon). Je n’en avais vu aucun en salle à l’époque. La spéciale d' »Histoire Parallèle » où Marc Ferro et l’historien allemand partagent les blagues qui circulaient dans chaque pays pendant la Seconde Guerre Mondiale est un moment de télévision étonnant.
Le sujet m’a vraiment intéressé et replongé dans de bons souvenirs de cette septième chaîne. 3 ans d’existence avant Arte, j’avais complètement oublié cette courte vie !
Ton interview est exhaustive, on y apprend une multitude d’anecdotes et l’on comprend le fonctionnement de la chaîne, avec cette cheville artistique qu’est Philippe Truffault. Je trouvais déjà la chaîne libre dans son expression, maintenant j’ai une impression d’un canal libertaire, qui pour moi est une qualité. Des personnages qui ont habillé la chaîne par leur image ou leur humour, merci de les avoir fait remonter à ma mémoire. Isidore Isou, je ne savais pas que le créateur du lettrisme aurait pu être à l’écran. Jean Abeillé, un acteur au faciès fascinant et inquiétant par l’éclairage.
Dans ma mémoire, ce canal était à l’avant-garde esthétique du paysage audiovisuel (comme on dit), aux antipodes des chaînes de l’époque et ton interview le prouve.
Merci de m’avoir fait découvrir les coulisses de la 7 par des séquences, des extraits et illustrations. Bravo Godefroy pour 7 recherche historique et graphique.
Merci pour cette interview. Je suis Etienne Barthomeuf, le coupable qui avait commis les interludes et le générique en carton. Merci à Philippe qui m’avait donné cette chance à l’époque (j’étais petit étudiant des Beaux Arts : j’avais présenté plein de génériques en cartons à mon diplôme et un des collègues de Philippe était président du jury, si mes souvenirs sont bons) et quelle surprise de tomber presque par hasard sur sa chaine youtube plus de 30 ans après. Ça me rajeunit pas mais c’est toujours plaisant à voir !