Commission européenne : qui sera le prochain président ? (image extraite de la vidéo)
Dans le cadre des élections du parlement européen, six prétendants à la présidence de la Commission européenne ont débattu le 15 mai en direct devant plusieurs pays européens. L’occasion d’un débat factuel et respectueux sur les grands thèmes européens (migrations, réchauffement climatique, taxation des « GAFA » et paradis fiscaux en Europe, relations avec les USA et la Chine, Brexit….) nettement au dessus de ce que l’on voit habituellement en France. Sa médiatisation en France a hélas été particulièrement confidentielle.
1) Le débat
Les six participants au « Spitzenkandidat » (montagne Godefroy Troude d’après la vidéo)
Participaient au débat 6 têtes de liste (« Spitzenkandidat« ):
– Nico Cué, belgique (gauche radicale),
– Ska Keller, allemande (Verts),
– Frans Timmermans, néerlandais (social-démocrate, PSE),
– Margrethe Vestager, danoise (libérale, Alde),
– Manfred Weber, allemand (droite pro-européenne, PPE),
– Jan Zahradil, tchèque (ACRE).
Le débat, organisé dans la salle du Parlement européen par la journaliste française Émilie Tran Nguyen, Markus Preiss de la télévision allemande ARD, et Yle Uutiset de la télévision Finlandaise, a eu lieu en anglais (traduction française en simultané), sauf Nico Cué (en français), et Frans Timmermans (anglais et français).
Parallèlement aux thèmes imposés par les deux organisateurs du débat, des questions étaient collectées via les réseaux sociaux de plusieurs pays européens (France, Belgique, Pays-bas, Danemark, Irlande et Finlande).
Le débat est visible intégralement dans la fenêtre ou les liens ci-dessous (attention, la traduction simultanée ne fonctionne pas au tout début de l’émission) :
Lien 1 : sur FranceTVInfo (traduction française simultanée)
Lien 2 : sur YouTube (traduction française simultanée)
Lien 3 : sur YouTube (traduction française simultanée)
2) Quelques réflexions
En France, trop de politiciens et médias ramènent les sujets européens à des querelles de personnes dans une vision nationale.
Exemple typique, le lendemain même du débat évoqué dans cet article : « Le vote pour les élections européennes va être essentiel pour l’avenir de la France […] Si Emmanuel Macron arrive en tête, il va accélérer ses réformes et mettre en place un Acte II qui va être probablement bien pire que l’Acte I de son quinquennat » (Marine Le Pen, France Inter, le 16/05/2019, 7mn14). On voit ici que l’élection européenne n’est abordée que comme une élection présidentielle française de mi-mandat, et pendant les 10 minutes de l’interview ni Marine Le Pen, ni les journalistes politiques sur le plateau de France Inter n’ont trouvé le temps d’évoquer le débat européen de la veille.
En France, les articles de presse, émissions de télévision et de radio, se concentrent sur l’identité des quelques élus français qui vont siéger au Parlement européen. On n’évoque quasiment pas les groupes politiques au niveau du parlement, ni les réorganisations d’alliances en raison du départ puis du retour des britanniques au parlement.
On ne peut comprendre l’Europe si on ne la regarde que depuis la France. Et ce débat au Parlement européen, hélas trop rare, offre une vision adaptée au sujet : il était enrichissant pour les contradictions qu’il apportait avec ce que véhiculent habituellement les médias français, et dont je retiens juste deux brefs exemples, symboliques :
– 0h48 Margrethe Vestager, interrogée sur les pays qui ne jouent pas le jeu en matière fiscale « Pour moi, un paradis fiscal, c’est un pays où tout le monde paie ses impôts ! »
– 1h05 Margrethe Vestager, interrogée sur la domination des États-Unis et de la Chine : « L’Europe peut être beaucoup plus confiante. Nous sommes le premier bloc économique du Monde ! ».
3) Couverture et traitement médiatique
La couverture de ce débat a été particulièrement confidentielle, n’étant diffusée que sur TV5 Monde. Le débat était absent de toute retransmission sur les chaînes principales (TF1, F2, F3, F4, Arte, M6, C8, LCP) mais aussi de la cinquantaine d’autres chaines référencées par mon programme télé (Paris Première, W9, TMC, 6ter, CStar, Chérie25, RMC Story, TFX, NRJ12…). Il n’était même pas abordé dans les journaux télévisés, ni avant, ni après le débat.
Alors que la participation aux élections européennes est en baisse constante depuis 1979 et que croît dans l’opinion un sentiment d’opacité envers les institutions européennes, on est en droit de se demander quelle part en est due à la carence de traitement des médias et politiciens français.
Ci-dessous, les médias (presse et télévision) qui ont traité le sujet ou pas.
Sujet traité en détail :
– « À Bruxelles, les socialistes européens défendent une nouvelle coalition sans le PPE » (Le Figaro, 16/05/2019) -> je vous recommande cet article
– « Débats entre candidats à la présidence de la Commission : une esquisse d’opinion publique européenne » (Ouest-France, le 15/05/2019)
– « Bruxelles : débat feutré entre les six candidats à la présidence de la Commission européenne » (Ouest-France, le 16/05/2019)
– « DIRECT. Regardez et commentez le débat entre les « Spitzenkandidaten », les candidats à la présidence de la Commission européenne » (France TV info, 15/05/2019)
– L’AFP regroupe efficacement par thème les citations des candidats (AFP, le 16/05/2019, recopié à l’identique par Libération, Courrier International, L’Obs, L’Express)
Sujet traité de façon anecdotique :
– « Commission européenne: Le Brexit comparé à «Game of Thrones» lors du débat entre les chefs de file » (20 minutes, le 16/05/2019)
– « À Bruxelles, le temps regretté des tontons flingueurs » (Le Monde, 16/05/2019). On se demande si le journaliste a vu le débat de la veille…
– « Les socialistes rêvent d’isoler la droite au Parlement européen » (Le Monde, 17/05/2019). Publié le surlendemain du débat, sans en détailler le contenu…
Sujet non traité, évocation des élections européennes sur un angle strictement national :
– « Baromètre des européennes : la liste de Jordan Bardella (RN), toujours devant celle de Nathalie Loiseau (LaREM) » (LCI, le 16/05/2019)
– « Nathalie Loiseau absente des affiches de campagne : pour Manon Aubry, c’est un manque de respect pour la démocratie » (LCI, le 17/05/2019)
– « Européennes: 7 têtes de liste s’engagent contre la corruption« , « Un think-tank de Matignon défend la politique européenne de la concurrence« , « Pourquoi Merkel s’en prend directement à Macron« , « Macron : le bilan du RN est une catastrophe pour l’Europe et la France » (Challenge, le 16/05/2019)
– « Elections européennes 2019 : comment ont voté les 82 eurodéputés français depuis 2014 ? » (Le Monde, le 10/05/2019) (analyse très intéressante et détaillée, mais centrée uniquement sur les eurodéputés français).
– F3 journal télévisé 20h00, le 16/05/2019 (2mn30 sur « Bellamy-Glucksmann, le duel des nouvelles têtes » détaillent la personnalités sans aborder ni leurs idées ni leur programme européen)
– F3 journal télévisé 20h00, le 15/05/2019 (1mn23 sur l’une des affiches française de LREM qui présente E. Macron, puis infographie de 1mn14 sur les salaires en Europe)
– F3 journal télévisé 20h00, le 14/05/2019 (rien sur l’Europe)
– F3 journal télévisé 20h00, le 13/05/2019 (1mn08 sur la crainte d’avoir moins de subvention sur la PAC et 1mn30 sur les durées de travail en Europe)
– F3 journal télévisé 20h00, le 12/05/2019 (2mn43 « Les deux adversaires font tout pour jouer le match retour de l’élection présidentielle »)
Aucun sujet européen traité au 20h de TF1 et France 2 :
– TF1 journal télévisé 20h00, le 16/05/2019
– TF1 journal télévisé 20h00, le 15/05/2019
– TF1 journal télévisé 20h00, le 14/05/2019
– TF1 journal télévisé 20h00, le 13/05/2019 *
– TF1 journal télévisé 20h00, le 12/05/2019 *
* Le journal a traité des sujets plus prioritaires comme: « Les parents aux fourneaux », « Le plus beau marbre du Monde », « Quand les chevaux rééduquent les hommes », ou « Le congrès des sirènes en Belgique ».
– F2 journal télévisé 20h00, le 16/05/2019
– F2 journal télévisé 20h00, le 15/05/2019
– F2 journal télévisé 20h00, le 14/05/2019**
– F2 journal télévisé 20h00, le 13/05/2019
– F2 journal télévisé 20h00, le 12/05/2019**
** Le journal a jugé plus prioritaire « Meubles : la location plus commode ? » (afin de savoir s’il était plus rentable ou non pour un particulier de louer ses meubles) ou encore « Mathilde Seigner et Patrick Hernandez » (ce soir c’est soirée Disco avec Born to be alive). Heureusement que France 2 est obligé de diffuser les spots de campagne à 20h30.
[MAJ du 21/05/2019] :
Je viens de lire ce thème évoqué dans le journal Le Monde : « Malgré la variété des priorités d’action publique souhaitées par les citoyens, la campagne européenne ne parvient pas en France à « européaniser » ces enjeux. Et sur ce point, les électeurs de LFI et du RN conçoivent respectivement pour 60 % et 74 % cette élection avant tout comme un test national de la force de leur famille politique. Le souhait d’Emmanuel Macron de faire du scrutin européen un combat entre progressistes et populistes n’a d’intérêt que si les enjeux discutés le sont à un niveau d’échelle commun. Or les résultats de cette enquête démontrent une fois de plus que l’élection européenne de 2019 a pour seul terrain d’affrontement l’espace national. » (Martial Foucault, directeur du Centre de recherches de Sciences Po, Cevipof – « Enquête électorale : des enjeux européens, un débat d’idées français » – Le Monde du 20/05/2019)
[MAJ du 23/05/2019]
La chronique politique Thomas Legrand exprime ce matin une opinion identique : « depuis 1979, première élection européenne au suffrage universel, même quand on parle d’Europe (que l’on soit europtimiste ou eurosceptique), le débat tourne toujours autour de la meilleure façon de faire prévaloir les intérêts de la France au sein de l’Union » (Thomas Legrand – « Elections européennes, campagne nationale… » – France Inter, le 23/05/2019)