Greta Thunberg au Parlement européen (photo Abdesslam Mirdass/Hans Lucas/AFP)
Greta Thunberg, jeune Suédoise de 16 ans, devenue icône de la lutte contre le réchauffement climatique ¹ ² ³, a été invitée par le Parlement européen à clore les sessions de la Commission de l’environnement, le 16 avril. Ci-dessous, retranscription de son impressionnante déclaration, précédée de son introduction élogieuse par la secrétaire de la commission. Puis petite revue de presse soulignant hélas la faiblesse du relais de cette déclaration.
Les liens pointent sur la vidéo (non sous-titrée).
0h01 : Introduction de la Secrétaire de la commission : « C’est notre dernière réunion pleinière de la commission de l’environnement avant les élections [européennes] de mai et nous ne pouvions mieux conclure [cette série] qu’en ayant à nos côtés une défenseuse aussi jeune qu’engagée dans la cause climatique qu’est Greta […], que je remercie pour son implication sans faille dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour avoir accepté l’invitation du Parlement européen à venir s’exprimer sur ce qui est le sujet le plus important de notre travail législatif, et sans aucun doute le sujet le plus important des élections européennes. Greta a fait un très long voyage en train depuis la Suède en profitant de ses vacances scolaires pour être ici avec nous aujourd’hui, ce qui est en soit déjà un modèle et le symbole de ses convictions ».
Au centre de la tribune où elle s’est tenue pendant l’ensemble des débats, environ une heure, elle a fait la déclaration suivante, qui s’est achevée sur les applaudissements nourris de l’assistance debout.
Greta Thunberg devant l’assistance (photo extrait de la vidéo)
4mn20 : « Je m’appelle Greta Thunberg, j’ai 16 ans, je viens de Suède et je veux que vous paniquiez comme si votre maison était en feu. J’ai déjà prononcé ces mots auparavant et beaucoup m’ont dit qu’il étaient déplacés : de nombreux politiciens m’ont expliqué que la panique ne peut conduire à rien de bon. Je suis d’accord sur ce point, mais lorsque votre maison brûle et que vous voulez éviter qu’elle ne s’effondre, il vaut mieux paniquer un petit peu. Notre civilisation est fragile, comme un château de sable. Elle est magnifique mais ses fondations sont fragiles.
Hier, le monde entier a assisté avec tristesse et désespoir à l’incendie de Notre-Dame de Paris. Certains monuments sont plus que de simples monuments. Notre-Dame sera reconstruite. J’espère que ses fondations sont solides. J’espère que nos fondations sont solides aussi, mais je crains que ce ne soit pas le cas.
En 2030, c’est à dire dans 10 ans, 250 jours et 10 heures, nous aurons atteint le point de non retour de la réaction en chaine qui mènera probablement à la fin de la civilisation telle que nous la connaissons actuellement. A moins que d’ici là des changements radicaux et sans précédents soit faits à tous les niveaux de notre société, dont une réduction d’au moins 50% de nos rejets de CO2. Or ces projections dépendent de technologies qui n’ont pas encore été inventées, supposées capables de nettoyer notre atmosphère de quantités astronomiques de CO2. Pire, ces projections ne tiennent pas compte d’effets d’accélération extrêmement puissants tel que le dégagement de méthane de la fonte du pergélisol (permafrost) arctique […] Nous devons enfin garder à l’esprit que tous ces calculs ne sont que des estimations et que le point de non retour pourrait survenir plus tôt. Personne n’a de certitude. […] Ces projections ne se basent pas sur des opinions ni des suppositions mais sur des faits scientifiques, validées par l’ensemble des nations contribuant au GIEC, et l’ensemble des équipes scientifiques.
Nous sommes en plein dans la 6ème extinction de masse, et son rythme est plus de 10 000 fois plus rapide que ce que nous considérons comme un rythme normal, avec plus de 200 espèces disparaissant chaque jour. L’érosion des terres (sa voix est émue), la destruction de nos grandes forêt, la pollution toxique de l’air, la disparition des insectes, de la faune et de la flore, l’acidification de nos océans, toutes ces tendances désastreuses sont accélérées par un mode de vie que nous, en tant que privilégiés, nous considérons avoir le droit de poursuivre. (applaudissements)
Le problème c’est qu’il ne semble pas que tout le monde soit au courant de ces catastrophes, ni que ce sont les premiers symptômes d’un effondrement climatique et écologique. Comment pourraient-il ? On ne leur a pas dit. Et plus important, ils n’ont pas été avertis par les bonnes personnes et de la bonne façon. Notre maison se désagrège et nos chefs d’État doivent commencer à agir de façon coordonnée, parce qu’actuellement ce n’est pas le cas !
Si notre maison s’effondrait, nos chefs ne continueraient pas comme vous le faites aujourd’hui. Vous changeriez toutes vos habitudes, comme on le fait en cas d’urgence.
Si notre maison s’effondrait, vous ne voyageriez pas en avion autour du monde en classe affaire en assurant que c’est le marché qui va tout résoudre avec de petites solutions astucieuses résolvant de petits problèmes spécifiques. Vous ne proposeriez pas de sortir de la crise en fabriquant et vendant des produits alors que c’est précisément ce raisonnement qui est à l’origine de la crise.
Si notre maison s’effondrait, vous n’organiseriez pas trois sommets en urgence sur le Brexit et aucun sur la crise climatique et environnementale (applaudissements). Vous ne débattriez pas sur l’arrêt du charbon dans 15 ou 11 ans.
Si notre maison s’effondrait, vous ne célébreriez pas qu’une seule et unique nation – l’Irlande – annonce se désengager prochainement des combustibles fossiles. Vous ne célébreriez pas le renoncement de la Norvège renonce aux forages de pétrole des îles Lofoten, alors qu’ils continueront à forer partout ailleurs pendant des décennies. Il est 30 ans trop tard pour ce type de célébrations.
Si notre maison s’effondrait, les médias ne parleraient de rien d’autre. Le réchauffement climatique et la crise écologique ferait tous les gros titres.
Si notre maison s’effondrait, vous n’annonceriez que la situation est sous contrôle, et ne placeriez pas la survie de toutes les espèce vivantes dans les mains d’inventions qui sont encore à inventer. Et vous ne passeriez pas votre temps à parler de politiques fiscales ou de Brexit.
Si les murs de notre maison tombaient vraiment, vous mettriez sûrement vos différents de côté, et commenceriez à coopérer. (applaudissements)
Et bien, notre maison s’effondre. Et nous allons rapidement manquer de temps. Et il ne se passe quasiment rien. Chacun doit changer. Tout doit changer. Alors pourquoi perdre un temps précieux à se demander ce qui doit être changé en premier et qui doit changer en premier ? Tout doit changer, et tous doivent changer.
Mais plus grandes sont vos plateformes [pétrolières ?], et plus grande est votre responsabilité. Plus grande est votre empreinte carbone, et plus grand est votre devoir moral. Lorsque nous demandons aux politiciens d’agir maintenant, la réponse la plus courante est qu’ils ne peuvent faire de transformations radicales car ils se rendraient impopulaires auprès de leur électeurs. Et ils ont raison bien sûr car vu que la majorité des gens ne sont pas au courant, pourquoi ces changements seraient nécessaires ? C’est pourquoi je continue de vous dire de vous unir derrière la science. Faire de la science le cœur de la Politique et de la Démocratie. Les élections européennes approchent, et beaucoup d’entre nous qui seront les plus affectés par cette crise – des gens comme moi – n’ont pas le droit de vote. Et nous ne sommes même pas en position d’influencer entreprises, politiciens, ingénieurs, médias, éducation, ou scientifiques, car le temps qu’il nous faudrait pour nous former à ces métiers n’existe plus. C’est pourquoi des millions d’étudiants défilent dans les rues, faisant la grève scolaire pour le climat afin d’attirer l’attention sur la crise climatique. Vous devez nous écouter, nous qui n’avons pas le droit de voter. Vous devez voter pour nous : pour vos enfants et petits enfants. Ce que nous faisons aujourd’hui ne pourra plus être annulé. Lors de ces élections, vous voterez pour les conditions de vie futures de l’Humanité. Et bien que les politiques nécessaires n’existent pas encore aujourd’hui, certaines solutions sont certainement moins pires que d’autres. J’ai lu que certains partis ne siègent pas aujourd’hui parce qu’ils ne tiennent absolument pas à devoir se prononcer sur le sujet du dérèglement climatique (applaudissements).
Notre maison s’effondre. Notre futur et notre passé sont maintenant littéralement entre vos mains. Mais il est pas trop tard pour agir. Cela nécessitera vision à long terme, courage, férocité, et détermination pour poser les fondations même si nous n’avons pas précisément le détail de l’achèvement du plafond. Autrement dit, nous devons penser comme ceux qui ont bâti les cathédrales. Je vous demande s’il vous plait de vous réveiller et de faire que les changements nécessaires soient possibles. Faire de votre mieux n’est désormais plus suffisant. Nous devons tous faire le maximum de ce qui est possible. Et je comprends que vous refusiez de m’écouter, je suis en effet juste une écolière suédoise de 16 ans. Mais vous ne pouvez ignorer les scientifiques et les millions d’étudiants grévistes qui manifestent pour avoir le droit à un futur. Je vous supplie de ne pas échouer. Merci. » (applaudissements, l’assemblée est entièrement levée).
« Standing ovation » (photo extraite de la vidéo)
0h18 : déclarations des membres de l’assemblée (intéressantes également, mais je manque de temps pour retranscrire et traduire).
0h58 : clôture et nouveaux remerciements à Greta Thunberg.
Remerciements en fin de réunion (photo extraite de la vidéo)
Remerciements en fin de réunion (photo extraite de la vidéo)
Consulter l’intégralité de la vidéo sur Youtube (1h00)
Traduction Godefroy Troude
Autres articles sur Greta Thunberg sur blog.troude.com :
1) COP24 : Greta Thunberg, 15 ans « Vous n’êtes pas assez matures […] Vous volez notre futur » (17/12/2018)
2) Climat : Greta Thunberg au Forum de Davos (26/01/2019)
3) Climat : Greta Thunberg à la seconde manifestation étudiante de Paris (22/02/2019)
Petite revue de presse :
Les publications insistent surtout sur l’émotion et les larmes de Greta Thunberg, photo et vidéo à l’appui, au détriment de son message, juste survolé quand il est n’est pas simplement résumé à un simple appel à voter aux élections européennes (Libération, visiblement copié le même jour par Le Point et L’Obs), dans des articles qui tiennent de la brève, parfois 10 fois plus courts que la présente retranscription d’environ 10 000 caractères (que j’abrègerai en « 10K »). Le Monde n’a rien publié sur cette déclaration, ni Marianne (mais ce n’est peut-être pas plus mal), ni La Croix (qui a préféré parler de la rencontre de Greta Thunberg avec le Pape)
– «[Voter aux européennes], c’est une grande opportunité d’envoyer un message et de parler au nom des jeunes qui partagent les mêmes inquiétudes que moi concernant la crise du climat.» (Libération, le 16/04/2019, 1K)
– Climat : Greta Thunberg appelle à voter aux européennes (Le Point, le 16/04/2019, 1K)
– Européennes : Greta Thunberg lance un appel à voter au nom des jeunes (L’Express, le 16/04/2019, 2K)
– Notre-Dame, métaphore de la planète pour Greta Thunberg (Challenge, via Reuters, le 16/04/2019, 3K)
– Notre-Dame, métaphore de la planète pour Greta Thunberg (Mediapart, via Reuters, le 16/04/2019, 3K)
– Greta Thunberg en larmes appelle les dirigeants européens à se mobiliser pour les jeunes qui ne peuvent pas voter (20 minutes, le 17/04/2019, 2K)
– « Voyons grand comme ceux qui ont bâti les cathédrales » : Greta Thunberg alerte sur la nécessité d’agir pour la planète (FranceTV, le 17/04/2019, 1K)
– Européennes : l’appel émouvant de Greta Thunberg à voter (Le Parisien, le 17/04/2019, 3K)
– Greta Thunberg appelle l’Europe à sauver le climat comme elle le fait pour Notre-Dame (The Huffington post, le 17/04/2019, 4K)
– En larmes, Greta Thunberg compare Notre-Dame à la planète (Le Figaro, le 18/04/2019, 3K)