Nicolas Hulot (photo extraite de l’émission de France 2)
Nicolas Hulot était invité hier soir sur France 2 à prendre la parole pour la première fois depuis sa démission. Libéré de son devoir de réserve et disposant de plusieurs heures en direct, personnalité préférée des français, les conditions étaient réunies pour une séance d’information sereine sur la Transition écologique et en particulier la taxation des énergies fossiles dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes.
Ci-dessous, une sélection de ses déclarations accompagnée du minutage de l’extrait (au sein d’une émission au format inadapté à la gravité du sujet, j’en parle dans un autre article).
– « [Sur les primes à la conversion, le gouvernement] doit aller plus loin mais en ciblant [mieux]. Moi j’ai acheté une voiture électrique et j’ai eu droit à une prime [à la conversion]. Ce n’est pas normal, ce n’est pas à moi que cela doit être destiné mais aux gens qui [ont de faibles revenus]. » (0h17)
– « [Le ras-le-bol des français] est révélateur d’une inégalité devant la fiscalité, et pas seulement la fiscalité écologique. […] Les gens savent que le kérosène des avions n’est pas taxé, que le fuel lourd des cargos et porte-containers n’est pas taxé, que les grandes entreprises [ont des] mécanismes d’optimisation fiscale. » (0h18)
– « Il faut être préoccupé de la fin de mois des français mais il faut aussi, ensemble, sans s’affronter, être préoccupé par un sujet qui est ni plus ni moins que la Fin du Monde ! Il va falloir que chacun comprenne qu’il va falloir sortir des énergies fossiles. Si on donne un signal prix fluctuant, on ne va pas changer les comportements, on ne va pas inciter les producteurs et les industriels à faire en sorte d’avoir des bâtiments et des véhicules qui soient beaucoup plus sobres. […] Le prix du carburant en général ne doit pas baisser […] Je le redis : la taxe carbone est une partie infime de l’augmentation du prix. Il y a d’autres taxes et il y a les fluctuations du cours [du pétrole]. [Il faut] accompagner les gens pour changer leur consommation […] Et si j’ai appelé mon ministère « Transition écologique et solidaire » ça n’était pas simplement pour avoir un effet de lettre au fronton du ministère : la transition ne peut être que solidaire […] Pour moi la priorité c’est de flécher, d’augmenter les soutiens : le chèque énergie, la prime à la conversion, et que les entreprises s’associent pour donner des indemnités kilométriques. […] Edouard Philippe l’a annoncé et je m’en réjouis [mais] j’aurai préféré qu’on fasse l’économie de cette crise. » (0h19)
– « [En janvier il y aura une nouvelle hausse, il ne faut pas la supprimer]. D’ici janvier il faut faire cette fameuse réunion […] avec les corps intermédiaires pour trouver les réponses les plus adaptées […] pour ne piéger personne. » (0h23)
– « La Fin du Monde n’est plus une hypothèse d’école, en tout cas la fin d’un monde pacifique. Au delà de nos divergences, de nos colères et de nos préjugés, il va falloir qu’on partage une ambition et que dans une cohérence absolue, une équité et une solidarité, on décide de prendre en main notre destin qui est en train de se jouer. Vous avez vu que ce matin l’Organisation météorologique a annoncé qu’on avait battu toutes les températures historiques. Des informations comme ça on en a tous les jours, et on fini par être blasés, on [s’habitue] à leur gravité. Et quand on a des inondations à répétition ou 48 000 décès prématurés à cause de la pollution de l’air, là il n’y a pas gilets verts dans la rue alors que c’est quelque chose qui devrait nous indigner ! Donc ne comparons pas les choses ! » (0h32)
– « Dans les discours on entend une possibilité d’effondrement, de fin de civilisation. Dans les actes […] on a une forme de déni de réalité, ou alors on est passé du climato-scepticisme à un climato-fatalisme. […] Or le fatalisme des uns nourrira le fanatisme des autres. Parce que ceux qui subissent déjà les conséquences du changement climatique, des hommes et des femmes qui subissent les conséquences d’un mode de développement dont ils n’ont pas profité, qui s’est fait sur leur dos […] ils ne vont pas rester les bras croisés. C’est déjà la panique en Europe quand on a une vague migratoire. Mais quand des centaines de millions de personnes vont se diriger vers le nord, qu’est-ce qui va se passer ? On va mettre des murs ? C’est une folie de penser que l’esprit de liberté ou l’instinct de survie vont leur fair [rebrousser chemin] déjà que des gens sont prêts à mourir avec leur famille en traversant la Méditerranée. Je ne veux pas forcer le trait, mais c’est une réalité qu’on s’obstine à ne pas regarder. Alors opposer les gilets jaunes avec des vraies souffrances mais d’un autre ordre, et faire en sorte de tourner en dérision l’écologie, j’avoue que j’ai du mal à comprendre. Ceux qui ne sont pas dans cette souffrance là devraient garder raison » (0h40)
– « C’est un effort de guerre qu’il faut faire, un plan Marshall. L’Europe peut le faire et a tout intérêt à le faire. […] Vous avez vu le papier du Monde hier ? Vous avez vu les conséquences [du réchauffement climatique] sur l’économie, la santé, la sécurité ? […] A un moment ou à un autre nos démocraties vont s’effondrer. Si on veut réconcilier les gens avec l’Europe, [il faut un projet] : Une proposition qui n’est pas mienne, et qu’on s’interdit par principe d’étudier, c’est de sortir des critères de Maastricht les investissements pour l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. […] Pourquoi est-ce qu’on n’injecte pas au niveau européen 1000 milliards pour la transition énergétique * ? […] J’avais demandé à Emmanuel Macron de rencontrer ceux qui portent ce sujet. […] On passe son temps à dire que ce n’est pas possible. [Donc] pour sauver l’humanité on n’ose même pas envisager ce qu’on a fait pour sauver les banques en 2008 où en 3 ans on a émis 2500 milliards d’Euros dont une partie a plutôt servi à la spéculation ! Là cet argent là pourrait servir non pas à dépenser mais à économiser durablement : quand vous isolez un logement social vous divisez par 4 la facture de chauffage des gens qui y vivent. Là vous les protégez durablement [des fluctuations du] cours du pétrole. » (0h43)
– « La technologie ne va pas surseoir à tous les problèmes. Elle ne fera pas tout. C’est encore un phantasme du XXème siècle […] Il faut améliorer notre efficacité énergétique et réduire notre consommation. On ne tient pas le cap de la Loi » (1h21)
– « La décroissance serait la conséquence d’un échec total. Quand on aura épuisé toutes les ressources de toutes façon les choses vont décliner. Il y a un intermédiaire c’est la décroissance sélective : le renouvelable il faut y aller à fond, les batteries et les piles à hydrogènes il faut y aller à fond, l’agriculture biologique il faut y aller à fond. Et puis il y a des choses qu’il va falloir suspendre ou décliner, notamment toutes ce qui procède des énergies fossiles. » (1h22)
– « Je suis peiné et chagriné que le débat se réduise à cause de cette exaspération dont l’écologie fait les frais. Il faut replacer l’enjeu écologique dans sa dimension : on n’est pas là simplement pour protéger les petites bêtes (bien qu’on en ait besoin). C’est l’avenir de l’humanité qui est en train de se dessiner. La crise écologique est déjà là et elle frappe de plein fouet des millions de personnes. […] Nous assistons en spectateurs informés à la plus grande tragédie de l’Humanité. On peut continuer à s’engueuler sur les plateaux, chacun dans sa posture à se rejeter la responsabilité […] ou alors comme le disait Martin Luther King à propos de la cause des noirs « On est condamnés à tous agir ensemble au lieu de mourir comme des idiots. » (1h27)
– « Ce gouvernement en a fait plus que le précédent, qui en avait lui-même fait plus que le précédent. Mais mon problème […] c’est de savoir si on est en situation d’éviter une crise majeure. […] J’avais dit 2040 : fin des véhicules thermiques. Que s’est il passé le lendemain ? Les industriels automobile français m’ont dit « Chiche, mais à condition de ne pas changer les règles ». Et ils ont mis [le paquet sur] leur recherche et développement pour que des solutions électrique, hydrogène puissent émerger. » (1h39)
– « La réalité de la situation de la planète, des [réfugiés] climatiques que j’ai vu pendant des dizaines d’années, de l’effondrement de la biodiversité dont on n’a pas eu le temps de parler, pardon de le dire mais ça n’a pas l’air d’empêcher certaines personnes de dormir. […] La paradoxe c’est que jamais l’humanité n’a été si puissante, jamais aussi vulnérable, et que si on avait une volonté et une intelligence collective et qu’au lieu de s’invectiver [avec des] Tweets parce que c’est très facile et qu’on arrivait plutôt à additionner nos intelligences, on pourrait tous faire un saut qualitatif. » (1h45)
Nicolas Hulot a également abordé d’autres points : notamment, en début d’émission, qu’une des raisons de son départ est que « Emmanuel Macron ne voit dans le dérèglement climatique qu’une bronchite alors qu’il s’agit d’un cancer ». Il a également abordé le sujet du glyphosate, des perturbateurs endocriniens, des trois scénarios actuellement envisagés sur le nucléaire dans le cadre de la Programmation Plurianuelle de l’Energie élaboré par le gouvernement.
* le projet d’injecter au niveau européen 1000 milliards pour la transition énergétique est celui de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou dont j’ai parlé dans plusieurs articles sur ce blog (1, 2 et 3) et dont le site est accessible ici : https://www.pacte-climat.eu
(transcription Godefroy Troude)