Uderzo a retrouvé Goscinny


René Goscinny et Albert Uderzo, vers 1975 (photo AFP)

Albert Uderzo nous a quittés le 24 mars, retrouvant son « frère » René Goscinny disparu en 1977. Dessinateur de la bande dessinée « Astérix », Uderzo a abordé tout au long de sa vie des styles graphiques très différents.

Ci-dessous, une évocation de son talent graphique et quelques liens.
1) Uderzo-Goscinny, une amitié fraternelle.
2) Un style graphique varié
3) Des hommages graphiques
4) Décors et paysages
5) Les couleurs des rééditions d’Astérix
6) Un dessinateur prolifique, au succès mondial
7) Pour en savoir plus

 

 

 

1) Uderzo-Goscinny, une amitié fraternelle


1975. Uderzo et Goscinny dans l’émission « Tac au Tac » (photos extraites de la vidéo)

Le couple Albert Uderzo (dessins) et René Goscinny (textes), connu à travers le personnage d’Astérix, c’était une amitié fraternelle, à la fois professionnelle et personnelle.

Quelques extraits d’interviews :

– René Goscinny, interrogé sur l’hypothèse d’une séparation d’avec Uderzo et la fin d’Astérix, répondait à Jacques Chancel : « L’un sans l’autre il y aurait surtout quelqu’un qui aurait perdu un ami. Uderzo, c’est plus qu’un ami pour moi : nous avons travaillé ensemble, débuté ensemble, fait des tas de choses ensemble avant de faire Astérix. Concevoir de faire ce travail sans Uderzo, c’est inconcevable. » (« Radioscopie », Jacques Chancel, 1972)

– Albert Uderzo, commentant ces mots de Goscinny avec François Busnel : « C’est très émouvant. […] Aujourd’hui ça fait drôle de l’entendre, c’est extraordinaire. On était vraiment des frères. […] Il était né en [1926] et moi en 27, donc il était un peu plus vieux que moi et me considérait comme son frère ainé. Il avait tendance à m’indiquer exactement ce qu’il fallait faire à chaque fois. C’était un garçon charmant. Non seulement c’était […] un génie de l’humour [mais] il ne se prenait pas la tête pour autant. Il adorait son métier. D’ailleurs pour lui ce n’était pas un métier. Il travaillait le dimanche, les jours de fête, il ne prenait jamais de vacances. Pour lui son métier c’était un plaisir énorme. »
– François Busnel : « Vous aviez raconté que vous partiez souvent en vacances ensemble, vous aviez une relation amicale très forte. […] Il ne se passait pas une semaine, plus 30 ans après la disparition de René Goscinny, sans que vous ne pensiez à lui. »
– Albert Uderzo : « Il est mort un 5 novembre à la Sainte Sylvie, le prénom de ma fille d’ailleurs. Et je pense toujours à lui. Je rêve de lui encore aujourd’hui. Il est toujours vivant en moi et – c’est plus fort que moi – je pense à lui surtout quand j’écris un scénario. Je me dis toujours, quand j’arrive sur quelque chose où je suis bloqué : Comment est-ce qu’il s’en sortirait ? Comment ferait-il ? » (« Le Grand Entretien », François Busnel, 2011)

– Albert Uderzo : « C’est une véritable osmose qui nous unissait dans la collaboration, par-delà la différence de nos caractères et nos deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre. Même le succès, souvent destructeur, n’a jamais pu atteindre cette entente et cette complicité préservées par l’estime réciproque que nous nous portions et la grande amitié qui nous liait. » (« Astérix de A à Z », BnF, 2013)

Uderzo a retrouvé son « frère » après plus de 40 ans de séparation.


1991. « Vis comica, le pouvoir de faire rire », dessin d’Uderzo dans « La Rose et le Glaive ».

 

 

2) Un style graphique varié

Albert Uderzo est surtout connu pour les personnages humoristiques, ronds et caricaturaux d’Astérix, réalisé avec le scénariste René Goscinny. Mais il a également dessiné dans un style réaliste, tel « Bill Blanchart » ci-dessous, et « Tanguy et Laverdure » réalisée avec le scénariste Jean-Michel Charlier. Uderzo affectionnait également les pastiches, caricatures et références à des peintures et sculptures classiques. En voici quelques illustrations ci-dessous :


1950. Illustration pour Sud-Ouest.

1953 : « Sa majesté en raconte une bien bonne » (SMMM, Sa Majesté Mon Mari, dans la revue Les bonnes soirées.

 


1954 : extrait de « Bill Blanchart« , par Uderzo, publié dans l’hebdomadaire « La libre Junior« .

 


1955 : « Les grands noms de l’histoire de France, Ferdinand de Lesseps« , par Uderzo, publié dans Pistolin (source).

 

1956 : la rédaction, caricature d’Uderzo (source exposition Astérix BnF, 2014).

Dans cette caricature de la rédaction d’ÉdiPresse/ÉdiFrance datée du 18 novembre 1956, on peut reconnaître en haut à gauche Jean-René Lemoing (œil au beurre noir) pratiquant le Judo avec Jean-Michel Charlier (à la machine à écrire) dont le pantalon est découpé par Sempé, derrière lequel Goscinny rédige un tapuscrit tout en jouant aux dés (Uderzo, dans son interview de 1998 référencée plus bas, indique que toute l’équipe jouait au 421, et que – bourreau de travail – il n’arrêtait pas de taper pour autant) . En bas à gauche, Uderzo partiellement recouvert de magazines, dont Le Pistolin. En haut à gauche, il me semble également reconnaître Gébé (qui rejoindra plus tard le journal Pilote qu’une partie de l’équipe créera en 1959). Enfin, Jean Hébrard, petit lutin dupliqué (j’en ai compté 5) pour souligner la variété de ses activités.

 


1960? Jean -Michel Charlier, caricaturé par Uderzo.

Albert Uderzo : « J’ai eu la chance – je le dis souvent – de travailler avec les deux plus grands scénaristes de mon époque, dans deux registres différents, qui étaient Charlier et Goscinny ».

 


1965 : extrait de l’album « Mirage sur l’Orient » de « Tanguy et Laverdure », par Uderzo.

 


1965 : Couverture de « Mirage sur l’Orient », gouache originale par Uderzo.

 


1965 ? Le personnage de Laverdure ressemble étrangement à Uderzo (4ème de couverture de « Tanguy et Laverdure »)

 

La variété des style d’Uderzo s’exprime à merveille dans un triptyque humoristique paru en 1969 dans le numéro 527 du magazine Pilote, en réponse au courrier des lecteurs.


1969 : « Amicales coopérations », page 1 (source exposition Astérix BnF, 2014)


1969 : « Amicales coopérations », page 2 (source exposition Astérix BnF, 2014)


1969 : « Amicales coopérations », page 3 (source exposition Astérix BnF, 2014)

 

 

 

3) Des hommages graphiques

Dans chaque album, Uderzo rendait hommage aux artistes classiques et modernes : sculpteurs, peintres, acteurs, musiciens…

Quelques exemples ci-dessous :


1972. « Les lauriers de César » : pastiche (habillé) du Discobole, de Myron (-450) (source Wikipedia)

 

1967. « Astérix Légionnaire » : double pastiche, inspiré à la fois du « Radeau de la méduse » de Géricault et des pirates de la série « Barbe rouge ». Notez le mouchoir agité par Baba, qui sort du cadre supérieur de l’image.


« Le radeau de la Méduse » de Géricault (1819) (source Wikipedia)


« Le vaisseau fantôme » (1966) de la série « Barbe rouge » de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon. Au centre, de l’image : Baba, Triple patte et Barbe Rouge.

 


1965. « Le tour de Gaule » : Panisse, Escartefigue, M. Brun et César de la trilogie de Marcel Pagnol.


Extrait du film Marius (1931) de Marcel Pagnol : César, Panisse, M. Brun (de dos) et Escartefigue (Gaumont).

 


1966. « Astérix chez les Bretons » : les Beatles signant des autographes à des fans hystériques.


Signature d’autographes, 1963 (Mirrorpix) – Fans des Beatles déchaînés, 1965 (AFP)

 

 

4) Décors et paysages

Derrière des personnages rond et caricaturaux, Uderzo dessinait des décors et paysages poétiques et soignés.


1967. « Astérix Légionnaire« , page 32 : arche, cyprès et pins parasols.


1973. « Astérix en Corse« , page 35 : détail d’un pin parasol, avec cyprès en arrière plan.


1973. « Astérix en Corse« , page 24 : forêt montagnarde. De la gauche vers la droite, feuilles de châtaignier, tronc de bouleau, pin sylvestre, sapins en arrière plan, puis probablement chêne méditerranéen.


1973. « Astérix en Corse« , page 25 : village Corse. À droite, des feuilles évoquant l’eucalyptus. Notez à l’arrière plan, le linge séchant au vent, l’âne et les montagnes.


1968. « Astérix aux jeux olympiques« , page 23 : l’Acropole d’Athènes (reconstituée) émergeant de la végétation méditerranéenne parsemée de cyprès.


1970. « Astérix chez les Helvètes« , page 24 : les Alpes et le lac de Genève, observées par Astérix sortant d’un champ de blé.

 

 

5) Les couleurs des rééditions d’Astérix

Les rééditions d’Astérix ont fait l’objet de modification des couleurs (opération baptisée « Quadrichromix« ) pour la création de « La Grande Collection« . Comparaison des dessins d’une édition originale d’Astérix avec sa réédition 2004 (ici en version anglaise).


« Astérix chez les Bretons« , édition originale 1966 (haut), et réédition 2004 (bas)

Personnellement j’en suis doublement déçu : d’abord parce que par principe je n’apprécie pas qu’une œuvre soit modifiée. Ensuite parce que l’ajout de nuances et de couleurs plus réalistes se traduit à mon goût ici par une perte de dynamisme du dessin, dont le sens était renforcé par les aplats vifs.
Ainsi, dans l’image de gauche, les fléchettes, caractéristique des pubs anglais, sont désormais noyées dans l’arrière plan marron/orangé qui fait perdre également la lisibilité de la pièce avec un plafond qui se confond avec le mur. Dans l’image centrale, la disparition du fond rouge vif entraîne le coup de théâtre de « La cervoise tiède », l’image centrale devenant visuellement de même intensité que les autres. Enfin,  dans l’image de droite la saturation de la couleur qui attirait l’œil vers le visage du légionnaire est désormais orientée sur le mur d’arrière plan.


« Astérix chez les Bretons » : édition originale 1966 (gauche) et réédition 2004 (droite)

Autre exemple avec le pastiche des Beatles :
1) La foule à l’arrière plan a presque disparu dans la réédition : son bleu foncé est remplacé par un gris clair neutre. Et le ciel jaune (couleur complémentaire du bleu de la foule) est remplacé par un ciel bleu avec un dégradé s’éclaircissant vers le bas, faisant disparaître tout contraste avec la foule.
2) La rangée de cheveux roux hystériques au premier plan a perdu son unité, par ajout d’une variété de chevelures.
3) La trame d’impression est globalement plus visible dans la version 2004 que l’édition originale (cliquez sur les images pour les voir en pleine résolution).


Les zones de couleurs de la version originale (montage GTR)


« Astérix chez les Bretons« , édition originale 1966 (gauche), réédition 2004 (droite)

Sur cette planche où les légionnaires goûtent les tonneaux de vin, on voit encore que les fort contrastes de couleurs complémentaires ont fait place à des couleurs certes plus réalistes avec des dégradés nuancés mais faisant perdre une grande force au dessin.

Au final, je regrette cette réédition d’Astérix qui n’est pas au niveau des Tintin fac similé couleur qui, eux, respectent l’œuvre originale de Hergé.

 

 

6) Un dessinateur prolifique au succès mondial


Les publications d’Uderzo à l’époque du journal « Pilote » (montage Godefroy Troude)

Uderzo était souvent qualifié de « bourreau de travail » pour la quantité impressionnante de dessins. Ci-dessus, un aperçu de son travail sur la période 1961 à 1973, à l’époque du journal « Pilote » : jusqu’à huit albums en deux ans (1966-1967), dont trois albums d’Astérix sur la seule année 1966, dans des styles graphiques variés.


Astérix en chinois (source exposition Astérix BnF, 2014)

Uderzo a rencontré un succès international et fait l’objet de plusieurs records :
• Astérix est la bande dessinée la plus vendue au monde (si l’on écarte le plus récent manga « One piece »).
• Astérix est la bande dessinée la plus traduite au monde, en 111 langues dont des dialectes régionaux !
• René Goscinny est d’ailleurs le scénariste de bande dessinée le plus lu au monde (auteur également de Lucky Luke, 4ème BD la plus vendue).

 
Le satellite Astérix (source exposition Astérix BnF, 2014) – Timbre hommage 50ème anniversaire (Wikitimbre)

Astérix participe à la course à l’espace : après l’URSS et les USA, la France devient la troisième puissance spatiale en mettant en orbite en 1965 son premier satellite qu’elle baptise « Astérix ».
– 1957 : Spoutnik (URSS).
– 1958 : Explorer-1 (USA).
– 1965 : Astérix (France).

En 1979, le premier satellite lancé par la fusée Ariane pour le compte de l’ESA et l’Union Européenne sera quand à lui baptisé Obélix.

 

7) Pour en savoir plus

Audio

« Albert Uderzo » (2011, France Inter, Le grand entretien — 51 mn). Albert Uderzo évoque son enfance avec ses deux handicaps, son inspiration de Disney et des comics américains, les difficultés avec son éditeur, son émouvante amitié avec Goscinny, et le procès avec sa fille. À écouter en ligne.

« Astérix a failli ne pas naître » (1972, France Inter, Radioscopie — 46 mn). René Goscinny parle principalement de son travail, avec beaucoup d’humilité et d’humour. À écouter en ligne.

« René Goscinny (1926-1977), auteur majeur pour art mineur » (2020, France Culture, Toute une vie — 58 mn). La vie de René Goscinny, en particulier sa famille et son enfance difficile, évoquée par Christine Bernard et Romain Weber, agrémentée de nombreuses interviews . À écouter en ligne.

« René Goscinny » (2007, France Inter, 2000 ans d’Histoire — 28 mn). Evocation de Goscinny et Uderzo par Pascal Ory, invité de Patrice Gelinet. « Le scénariste devient avec Goscinny aussi important (sinon plus) que le dessinateur, alors que jusque là c’était vraiment l’inverse. C’est à peine si on connaissait le nom des dessinateurs, les scénaristes encore moins » (en 12mn15) À écouter en ligne.

Vidéo

« Albert Uderzo, portrait d’auteur » (1997, CNBDI — 52 mn couleur). Albert Uderzo, dans son atelier, raconte sa vie, la rencontre avec Goscinny, puis sa poursuite en solitaire de la série. Une belle interview toute en simplicité. À voir en ligne

« Uderzo et Goscinny, la création d’Astérix et Obélix » (1967, ORTF — 13 mn couleur). Une interview de Goscinny et Uderzo à propos de leur bande dessinée Astérix, dans un style un peu guindé. Un des premiers enregistrements vidéos en couleur de l’ORTF. À voir en ligne

« Cadavre exquis entre Greg/Dany et Goscinny/Uderzo » (1975, Antenne 2?, Tac au Tac — 13 mn couleur) : une émission graphique incontournable, d’autant plus marquante qu’en présence d’Uderzo et Goscinny réunis. Les quatre photographies en début de cet article sont extraites de l’émission. À voir en ligne

« Gotlib, Uderzo, Fred et Gébé puis Cardon, Puig-Rosado, Desclozeaux et Gourmelin » (1971, TF1?, Tac au Tac — 13 mn, noir et blanc). À voir en ligne

« Franquin, Bretécher, Uderzo et Fournier » (1972, TF1?, Tac au Tac, — 13 mn, noir et blanc). À voir en ligne

« Uderzo et Goscinny à propos des divergences sur Astérix et Obélix » (1975, Antenne 2? — 2 mn couleur). À voir en ligne

« Astérix, premier satellite français » (1995, France 2, JT 13 h — 2 mn couleur). Trentième anniversaire de la mise en orbite du premier satellite français, Astérix, faisant entrer la France comme 3ème puissance spatiale après l’URSS et les USA. À voir en ligne

À lire en ligne

Albert Uderzo : fiche Wikipédia

René Goscinny : fiche Wikipédia

Jean-Michel Charlier : fiche Wikipédia

« Hommage à Albert Uderzo » (BD Zoom : partie 1, partie 2, partie 3). Gilles Ratier a effectué un travail colossal de regroupement des oeuvres d’Uderzo. Une mine d’informations.

A propos de la réédition « La grande collection » :
– La nécessaire refondation des classiques (Actua BD, 19/10/2006)
– Cure de jouvence pour les albums d’Astérix (Les échos, 25/06/2004)

Les cartes de vœux du magazine Pilote (Dargaud)

« Albert Uderzo dans Pilote » (BD oubliées)

À lire

« Astérix de A à Z » (BnF, 2013, 208 pages)

A propos de la réédition « La grande collection » :
– Détails sur la restauration : « Astérix, la grande collection n°0 : Refondation » (épuisé en librairie)

 

 

8) Notes

– Les illustrations de cet article proviennent de numérisations de mes albums personnels, de photos réalisées à l’exposition BnF 2014, nettoyées si nécessaires.

 

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