Technique vidéo : TNT, HD, décrochages régionaux…

J’ai eu l’occasion d’interviewer longuement un technicien de France 3 à propos des techniques de diffusion de la chaîne : la complexité des décrochages régionaux, la qualité de la TNT face à l’analogique (pas forcément meilleure), les formats 4:3 et 16:9 et le problème du rognage destructif des images, la fidélité de l’image chez les téléspectateurs, l’informatique et la télévision (progressif contre entrelacé, 50 Hz et 60 Hz), l’arrivée de la HD et le format HD ready…

Les décrochages régionaux, c’est compliqué

– F3 : il y a 24 chaines régionales pour France 3, en pratique plutôt 37 [environ]. C’est une diffusion d’une complexité rare au monde car les décrochages régionaux sont assurés d’une façon relativement fluide en préservant la qualité de l’image. Échanges par satellite (latence 0,3 seconde pour un aller/retour géostationnaire), encodage, réencodage, synchronisation des images : une problématique très importante pour nous, on fait des raccords propres, invisibles, lors du passage du réseau national au réseau régionnal. Aux États-Unis certains réseaux TV ont la même problématique mais ils ne s’encombrent pas avec la qualité de l’image et ils font des coupures sales.
– GT : comment alimentez-vous les opérateurs ADSL comme Free ? En analogique ? En numérique ?
– F3 : c’est un flux numérique, du MUX, mais pour obtenir toutes les versions régionales il y a quelques acrobaties (analogique, réencodages…). Sur le canal qui affiche la mosaïque des chaînes, hors de période de décrochage régional, on y constate que certaines sont légèrement décalées par rapport aux autres, et – si on est attentif – que la qualité d’image n’est pas la même alors que la source est pourtant la même pour toutes.

Problématique avec une diffusion nationale en TNT

– F3 : seuls les 110 gros émetteurs sont compatibles TNT, touchant une grosse partie de la population. Les 3 500 autres réémeteurs qui arrosent les points les plus reculés du territoire, permettant d’atteindre 99% de la population, ne sont pas compatibles TNT et cela coûterait cher des les adapter. Il y a eu un accord avec TF1, France 2 et France 3 pour payer une antenne satellite aux populations qui ne sont pas arrosées par ces 110 principaux émetteurs. Du coup, au lieu de transformer les 3500 sous-réémeteurs on a fait monter les chaines sur satellite, mais juste les 24 principales version de France 3, pas les 37. Du coup on occupe 24 canaux avec des images identiques hormis durant une heure par jour où il y a les décrochages régionaux. Un vrai gâchis en terme de bande passante !

Qualité d’image en TNT

– GT : La TNT c’est une grosse amélioration !
– F3 : Sur Paris vous êtes contents avec la TNT. C’est normal, la qualité de transmission y est paradoxalement assez mauvaise. Beaucoup d’échos, d’obstacles, antennes orientées n’importe comment… La TNT arrange la situation. C’est plus propre, les gens sont contents… Mais si on compare les réceptions idéales en hertzien analogique et en hertzien TNT, la compression (même en 7 à 8 Mbit/s) fait que l’image a moins de détails, surtout dans les mouvements. Les contraintes du temps réel font qu’on ne peut avoir plusieurs passes lors de l’encodage. La TNT relève donc le niveau moyen, mais ça ne vaut pas une bonne diffusion analogique.

Format 4:3 et 16:9

– GT : France télévision passe progressivement en 16:9 et je suis outré de voir des images 4:3 amputées en haut et en bas, tronquées pour faire du 16:9. Ceux qui veulent tronquer peuvent le choisir sur leur téléviseur, pourquoi tronquer à la source et pénaliser ceux qui veulent l’image dans leur format d’origine ?
– F3 : Les gens veulent que l’image remplisse leur écran 16:9, alors on ampute les images, on les étire. C’est regrettable en effet. J’ai récemment vu un film sur TF1 qui au cinéma était cadré exprès pour avoir les deux acteurs à peine visible de chaque côté de l’image : ça n’a pas loupé, en diffusion sur TF1 il n’y avait personne sur l’image 🙂
On a eu la même problématique avec la couleur : les gens qui achètent une TV couleur, ils ne voulaient pas voir du noir et blanc dessus, alors on colorise…
D’ailleurs je n’aime pas le 16:9. La TV ce n’est pas du cinéma. Cadrer en 16:9 cela demande de la préparation, une réflexion, incompatible avec du reportage, de l’imprévu.
– GT : c’est effectivement délicat de cadrer en 16:9. On fait beaucoup plus de cadrages inesthétiques en 16:9 qu’en 4:3. Mais la règle devrait être de ne pas amputer les images.

Fidélité de l’image

– F3 : les gens veulent que l’image claque ! Quand je vois ce que je regardent les gens je suis sidéré : contrastes et couleurs poussés à fond. Suppression du bruit, accentuation… Quand je fais des démos à des responsables politiques, si je leur montre une image d’une source pourrie sur un écran plat qui vaut une fortune avec des réglages criards en couleur, contrastes, netteté ils sont satisfaits. Ils préfèrent ça à l’image fidèle, mieux définie avec des couleurs plus justes sortie par un tube professionnel correctement étalonné. Navrant.
– GT : les réglages d’usines dans les magasins, par exemple Fnac ou Darty, sont tapageuses, difficile de se faire une idée. Chez un ami équipé d’une TV Full HD, j’arrivais à un résultat nettement plus acceptable en désactivant à peu près tous les artifices (le pire c’est les filtres anti-bruit, tout le monde se retrouve alors avec une peau de bébé et une bonne couche de fond de teint).

Le progressif

– F3 : les écrans progressifs et l’informatique c’est la plaie pour la télévision.
– GT : il y a une mode, un aveuglement même, pour le progressif. Sous prétexte que c’est progressif c’est mieux. On vante le 1080p24. 24 images/seconde, alors que c’est pourri dès qu’il y a un mouvement, un panoramique. Je me demande combien de temps il faudra pour que les gens s’en rendent compte. Passer d’un 1080i50 à du 1080p25 plombe tous les mouvements. Si on passe en 1080p50, là d’accord. Le gros problème est que ces paramètres sont rarement évoqués ensemble : il faut donner la résolution, le mode d’affichage et la fréquence. Dans le grand public on n’a jamais les trois.
– F3 : effectivement.

50 Hz et 60 Hz

– GT : pourquoi ne pas faire en Europe du 1080i60 et du 1080p30 (voire un royal 1080p60) plutôt que du 1080i50 et 1080p25 ? Dix trames de plus ou cinq images de plus apporte une amélioration non négligeable dans les mouvements. La référence à la fréquence électrique locale, 50 Hz en Europe, 60 Hz aux USA, n’est plus une contrainte avec les outils actuels. Et puis on n’est plus dans la situation « fromage ou dessert » où on l’avait le choix entre du 50 Hz en 576 lignes et du 60 Hz en 480 lignes (plus d’images mais moins de définition). Maintenant on a la même définition, et le choix de la fréquence sans autre contrainte.
– F3 : pour un particulier effectivement, ce sont les mêmes outils informatiques qui sont vendus dans le monde entier. Et les caméscopes grand publics ne sont plus systématiquement verrouillés sur une fréquence dans une zone géographique. Il suffit de changer un paramètre pour passer de 50 trames à 60 trames. Mais toute notre chaine de production et postproduction en France est équipée en 50 Hz. Notamment les synchroniseurs, qui sont très importants. On pourrait idéalement imaginer de passer tout le monde en 60 Hz, avec toutefois des contraintes sur la bande passante plus importante qui est nécessaire, mais il faudrait faire des adaptations pour la diffusion de tout ce qui a été enregistré jusqu’ici en 50 Hz. En pratique ce n’est pas envisageable.

Recadrage d’images entrelacées

– GT : je vois des trucs horribles: des images 4:3 de source entrelacée qui sont tronquées en haut et en bas pour générer du 16:9 (par exemple dans « Top of the pops » qui passe sur Arte tous les soirs). On obtient une image moins définie, d’autant plus qu’à la base c’est du NTSC… Et sur les mouvements je me demande comment ça peut être bon. Les changements d’échelles d’images entrelacées sont épouvantables !
– F3 : non, pour les mouvements on a de bons outils qui font ça aujourd’hui…

TNT HD

– F3 : les gens vont être probablement déçus par la TNT HD. Avec 24 MHz de bande passante pour faire passer 3 canaux HD, là où un Blu-ray dispose de 20 Mbit/s, la TNT ne fournira que 8 Mbit/s et encore sans les possibilités raffinées de double passe que peuvent se permettre les éditeurs d’un disque Blu-ray mais qui sont interdites en TNT HD à cause du direct.
– GT : mais l’IPTV via fibre optique ne devrait-elle fournir à moyen terme plus de bande passante que le hertzien ?

Restitution des images

– GT : pour les images entrelacées rien ne vaut le tube cathodique, les écrans plats progressifs ne font pas du bon travail pour le moment. Regarder le DVD de Palettes sur ordinateur est une énorme déception : les travellings sur les œuvres passent mieux en entrelacé sur un tube cathodique.
– F3 : Tout à fait d’accord. J’ai moi-même toujours une TV à tube cathodique, et même en 4:3 car je n’aime pas le format 16:9, adapté pour le cinéma, où l’on pense et prépare longuement chaque plan, mais pas pour la TV, le direct.

HD-Ready

– GT : Je suis scandalisé par le HD-Ready, on trompe le consommateur.
– F3 : Oui, on a déjà vécu ça il y a quelques années quand nous étudions une évolution de diffusion audio en Nicam : on était encore en phase d’étude que les industriels ont commencé à sortir des TV Stéréo, mais sans le Nicam ! On a tiré le signal d’alarme car c’était inadapté. Mais les industriels voulaient faire leurs ventes…

L’informatique c’est la plaie

– F3 : On vit une sale époque. De mon temps, on produisait de l’électronique zéro défaut. C’était cher certes mais c’était fiable. Aujourd’hui on simplifie les tests pour réduire les coûts et on organise l’obsolescence. Microsoft s’est pris une claque en voyant que Vista était refusé par les professionnels. XP déjà n’était pas terrible. Windows 2000 était un bon compromis. On ne peut pas se permettre de changer de matériel tous les 3 ans. La claque sur Vista va probablement faire changer les choses.
En attendant ce problème de fiabilité s’étend : nous avons alerté sur le fait qu’une grosse partie des décodeurs TNT ne respectent pas des pans entiers de la norme Mpeg-2. Ça n’a pas été jugé important.

Caméscopes HD

– GT : en 1989, j’ai été conquis par la TVHD (HD Mac en 1 250 lignes analogique à l’époque) à l’occasion des démonstrations à la Fnac et à la vidéothèque de Paris (forum des Halles) qui diffusaient les jeux olympiques d’Albertville. Depuis, j’ai attendu avec beaucoup d’impatience que cela arrive. Il aura fallu 20 ans… Mais on n’aura pas attendu pour rien puisqu’on a sauté une génération et passé directement en numérique, ce qui n’est pas si mal. Je suis emballé des progrès fait sur les caméscopes. J’ai par exemple un Canon HV-20 avec signal 1080i50 qui enregistre en Mpeg-2 sur bande DV. Les nouveaux modèles AVCHD sans pièce mécanique mobile, stockant sur carte mémoire, et en Mpeg-4 AVC (H.264) sont impressionnants.
– F3 : oui, mais il y a des problèmes : chaque marque fait son propre Mpeg-2, la version de Sony, la version de Canon. Pareil avec le Mpeg-4 AVC. Et toujours en encodage simple passe…
– GT : un effet pervers de cette compacité c’est la stabilité. Mon ancien caméscope Hi8 pesait dans les 2 à 3 Kg avec sa grosse batterie de 10 heures d’autonomie. Le nouveau, beaucoup plus petit, ne pèse que 500 grammes, on bouge énormément. Je n’aime pas les plans que je fais, indépendamment du 16:9 qui est délicat à cadrer.
– F3 : si les pros ont de lourdes caméras d’épaule ce n’est pas pour rien 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *