Ennio Morricone, compositeur majeur de musiques de films, a rejoint Sergio Leone, disparu en 1989. Auteur prolifique de plus de 500 musiques de films et productions télévisées de 1961 à 2018, il compose un record de 23 musiques de films rien que sur l’année 1968.
Ci-dessous :
– Ma découverte d’Ennio Morricone.
– Une musique qui se suffit à elle-même, mais sublime les films qu’elle accompagne.
– Les pochettes des albums
– Liens bibliographiques
J’ai connu l’œuvre d’Ennio Morricone bien avant celle de Sergio Leone.
Vers 7 ou 8 ans, chez des amis de mes parents, j’avais été impressionné par l’ambiance sonore inquiétante du disque « Il était une fois dans l’Ouest » : cet harmonica plaintif noyé de réverbération, cette guitare électrique outrancière au son métallique agressif, et cette pochette (voir plus bas) avec son pendu sous un porche énigmatique de briques en plein désert. Tout cela m’avait marqué, et se rapportait à un film trop violent pour mon âge que je rêvais de voir. C’était aussi le thème musical de Cheyenne, au Banjo et piano saloon, d’un abord plus facile, que j’entendais souvent à la radio, sur FIP. Des décennies plus tard, le souvenir encore précis du lieu de ce coup de foudre musical témoigne de mon émotion d’alors.
Plus tard, j’entendais chez ma tante « Il était une fois la Révolution », moins impressionnant sur un plan sonore, mais beaucoup plus mélodique, émouvant et nostalgique, avec un orchestre symphonique. J’avais été touché une nouvelle fois par la texture douce et puissante de la chanteuse (Edda Dell’Orso) et les chants sifflés (Alessandro Alessandroni). C’est mon album préféré de Morricone (bien qu’aujourd’hui encore l’harmonica de « Il était une fois dans l’Ouest » me fasse toujours frissonner), et aussi semble-t-il également l’album préféré de Morricone, dont il affectionnait le thème « Messa Verde ».
Ce n’est que vers 12 ou 13 ans que j’ai pu voir les films « Il était une fois dans l’Ouest » et « Il était une fois la Révolution », associant enfin le travail de Morricone à celui de Leone. J’étais sidéré par la symbiose de leurs créations, aussi fortes l’une que l’autre.
Peu de temps après, je découvrais ensemble le film et la musique de « Le bon la brute et le truand », qui m’aura surtout impressionné pour sa scène finale : l’inoubliable Eli Wallach, en transe, courant entre les tombes dans un travelling tourbillonnant, répondant à la forme circulaire du cimetière, sous le thème crescendo de « L’extase de l’or ».
La musique de Morricone se suffit à elle-même, mais elle sublime les films qu’elle accompagne.
Malgré de magnifiques compositions, souvent ultérieures, comme « Moïse », « Sans mobile apparent », « Le clan des Siciliens », « Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon », « Got mit uns » ou plus récemment « Cinema Paradiso », aucune œuvre musicale de Morricone n’a — à mes yeux — été aussi bien utilisée que par Sergio Leone, chez qui la musique était un élément central du film. Je vous invite à voir cet extrait d’une recherche musicale entre Leone et Morricone qui témoigne de leur complicité, lors de recherches (pour « Il était une fois la Révolution »).
Le plus bel aboutissement étant probablement « Il était une fois la Révolution ». Comme dans ses films précédents, chaque personnage possède son thème musical propre : la vulgarité infantile de Juan est soulignée par des instruments et thèmes simples (banjo, ocarina, basson et vocalises simplistes « Oah Oah »), s’opposant à la richesse du personnage de John défini par des constructions plus élaborés (groupes de violons, clavecin, guitare électrique traînante, chœurs, superposition d’accords). Ces thèmes précèdent les dialogues, voire les remplacent totalement (surtout dans les flash-backs). Ils sont si intégrés au film que le spectateur n’est pas surpris de voir Juan — lorsqu’il s’apprête à être fusillé (1h34) — reprendre confiance lorsqu’il entend John siffler son thème musical !
Un mot enfin sur « Le clan des siciliens », un exercice de style musical où différents thèmes mélodiques apparaissant séparément, finissent par se superposer, en contrepoint, dans un thème principal foisonnant.
Les pochettes des albums
Les pochettes des musiques de film d’Ennio Morricone ont subi des variations déroutantes au fil des ans (qu’on ne retrouve pas pour des groupes purement musicaux tels que les Beatles, Pink Floyd…). Ci-dessous, le vinyle 33 tours de « Il était une fois dans l’Ouest » dans les versions respectives des années 1969, 1971, 1981 et 1989.
Ce problème n’est d’ailleurs pas spécifique à la France, et le site Discog référence 1222 pochettes (incluant rééditions et variantes nationales). Pour qu’on se rende bien compte que de la volumétrie, je les ai regroupées dans l’image ci-dessous.
1222 pochettes d’œuvres d’Ennio Morricone (montage GTR d’après Discogs)
Un de mes compositeurs de musique de film préféré
Je ne me risquerai pas à définir un artiste comme le plus grand, tout comme je ne choisirai pas entre mon pied gauche et mon pied droit. J’adore également John Barry, Michel Magne, Vladimir Cosma, Michel Legrand, François de Roubaix, Francis Lai, Lalo Schiffrin, Jerry Goldsmith, Vangelis, Georges Delerue, Henri Mancini, Nino Rota, et encore Bernard Hermann. Un peu moins Claude Bolling, nettement moins John Williams dont je trouve les thèmes trop simplistes. Je me suis lassé d’Eric Serra que j’ai du mal aujourd’hui à ranger dans les compositeurs de musique de films. Enfin, je suis partagé sur Philippe Sarde, que j’apprécie beaucoup pour l’émouvant « Les choses de la vie » mais dont je cerne mal le style. Peut-être parce que contrairement aux autres compositeurs ci-dessus, je ne le reconnais pas lorsque j’en entends un morceau original (récemment, voyant pour la première fois « Out of Africa » ma femme s’était amusée de mon « On dirait du John Barry ! » juste avant que son nom n’apparaisse effectivement au générique). Mais je frise le hors sujet sur ce qui mériterait un article à part entière et je conclurai simplement en disant qu’Ennio Morricone figure dans mon trio de tête.
Ennio Morricone n’est plus, mais ses musiques sont toujours avec nous.
Pour en savoir plus
À voir
« Sergio Leone et Ennio Morricone » (1971, ORTF, Pour le cinéma — 2mn46). Recherches musicales d’Ennio Morricone pour « Il était une fois la Révolution », avec Sergio Leone. À voir sur le site de l’INA
« Ennio Morricone en Italie » (2020, Arte, Blow up — 13mn45). Un hommage émouvant et personnel de Thierry Jousse. À voir sur YouTube
Audio
« Sergio Leone : je travaille avec beaucoup de patience et d’amour » (1971, France Inter, Radioscopie — 0h48). Interview de Sergio Leone et Ennio Morricone, par Jacques Chancel, évoquant le succès de « Il était une fois dans l’Ouest », avant le tournage de « Il était une fois la Révolution ». À écouter en ligne.
« Quand Sergio Leone racontait son ami Ennio Morricone » (1989, France Culture, Euphonia — 1h00). « Avec Ennio, c’est très facile, en un regard, nous nous comprenons tout de suite. […] C’est plus qu’un compositeur pour moi. Je n’aime pas du tout les mots dans les films, j’espère toujours faire un film muet, et la musique se substitue aux mots, alors on peut dire que Morricone est l’un de mes meilleurs scénaristes. » Sergio Leone évoque également la longue scène d’introduction de « Il était une fois dans l’Ouest » et la musique que Morricone avait composée, et qui n’a pas été exploitée. À écouter en ligne.
« Morricone/Leone, duo de légende » (2014, France Inter, Cinéma Song — 1h28). Analyse passionnante du réalisateur Christophe Gans. À écouter en ligne.
« Mondo Morricone (2014, France Musique, Cinema Song — 2h55). À écouter en ligne, partie 1 et partie 2.
« La nationalité de Leone c’est le cinéma, avec Gian Luca Farinelli (2018, France Culture, Les nuits de France Culture — 1h16). À écouter en ligne.
À lire en ligne
Ennio Morricone : Fiche Wikipédia
Discographie : Fiche Wikipédia
Pochettes d’albums (plus de 1200 pochettes, incluant rééditions et variantes nationales) : sur Discogs
« Le compositeur Ennio Morricone est mort » (Le Monde, 06/07/2020)
* la photo originale a été modifiée : j’ai légèrement agrandi Ennio Morricone, qui était en retrait sur la photo originale, afin qu’il apparaisse de même dimension que Sergio Leone.