Sylvestre Huet déplore le manque de culture scientifique des politiques, journalistes et citoyens


Sylvestre Huet, lors de la semaine de la science 2018 (montage photo Wikipedia + logo Le Point)

Le journaliste scientifique Sylvestre Huet répondait récemment au journal Le Point dans une longue interview dont je recommande la lecture sur le site du journal.

J’en recopie ci-dessous quelques extraits que j’ai trouvés particulièrement intéressants concernant l’attitude des médias aux opinions scientifiques dissidentes, le nucléaire, les connaissances des citoyens et l’expertise, ainsi que la décroissance des consommations.

Médias

En science, la « dissidence » n’existe pas. Ce qui fait qu’un résultat scientifique est considéré comme vrai ou faux, ce n’est pas un vote, c’est son devenir. Lorsque la communauté scientifique a obtenu des réponses aux questions qu’elle se posait, elles sont la vérité scientifique du moment. Lorsque cette vérité scientifique du moment est confirmée vraiment longtemps, on ne se demande plus si la Terre est plate ou ronde. […] Le problème, c’est que nous avons des directions de journaux qui proviennent toutes de formations de type Sciences Po ou littéraires et voient la science et ses débats à travers [le] prisme [de l’opinion « dissidente »]. Dans un système démocratique, on veut que les opinions puissent s’exprimer. Voltaire disait : « Je hais vos idées, mais je me ferai tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer. » Ce qui est très louable. Mais ce modèle ne s’applique pas à la science. […]

Nucléaire

[Dans les médias français] il y a une présentation très biaisée de l’industrie nucléaire mondiale comme française. Demain, le géant nucléaire mondial sera la Chine. Dès qu’ils auront terminé les neuf réacteurs en construction, les Chinois auront autant de réacteurs que la France, et ils dépasseront rapidement les États-Unis. Dans le monde, plus de cinquante réacteurs sont en construction (avec un essor rapide des exportations russes), et 449 fonctionnent, ce qui fait à peu près 10 % de l’électricité mondiale. L’idée que cette industrie serait en déconfiture totale est un souhait des écologistes qui refusent cette énergie, mais cela ne correspond pas à la réalité […]. Mais ce qui est vrai, c’est qu’EDF et les industriels qui participent à la construction de l’EPR de Flamanville ont rencontré d’énormes difficultés sous l’œil vigilant et très sévère de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Elles sont dûes pour l’essentiel à des pertes de compétences et d’expériences industrielles. […] Quand on pose mal un problème, en mathématiques, c’est compliqué de trouver la solution. Si on n’a pas compris qu’il faut s’attaquer en priorité aux émissions de CO2 liées aux énergies fossiles, on ne va pas s’attaquer au cœur du problème. Un institut de sondage a montré que 69 % des Français interrogés pensent que le nucléaire participe aux émissions de gaz à effet de serre et au changement climatique. Indépendamment de l’opinion qu’on a sur le nucléaire comme solution, le fait qu’une grosse majorité de jeunes et de femmes pense que les centrales nucléaires contribuent de manière importante aux émissions de gaz à effet de serre signifie qu’ils n’ont pas compris le b.a.-ba du sujet. Cette incompréhension est trop massive pour ne pas peser sur le débat public et sur les décisions politiques. […] il est beaucoup plus difficile d’imaginer un futur décarboné pour l’économie, les transports, l’industrie ou le contrôle thermique des bâtiments sans le nucléaire qu’avec. Je parle pour la France. […]

Connaissance, citoyens et expertise

Permettre à la société d’avoir des débats sérieux sur les technologies, c’est une clé pour la démocratie de demain. Malheureusement, on part de très bas. La majorité de la population française, même celle diplômée, méconnaît très souvent les bases de la science moderne. […] On ne peut pas transformer chaque citoyen en scientifique. On ne va pas faire lire les dossiers d’homologation utilisés en agriculture par soixante millions de citoyens ! Mais il faut que la société utilise mieux les savoirs constitués et correctement expertisés, à l’image de ce que font des structures comme l’Anses ou le Giec. Le devoir des responsables politiques est de les créer, les organiser, de nommer à leur tête des personnes digne de confiance et de leur donner les moyens de travailler. Puis, de s’y référer pour leurs décisions, en expliquant aux citoyens que ces structures se sont vues garantir une indépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques. […]

Décroissance des consommations

La décroissance des consommations de matières premières et d’énergie, comme d’espaces naturels, est une nécessité absolue à l’échelle planétaire si l’on veut que nos civilisations durent. Mais cette vision n’a pas de sens pour les deux milliards d’êtres humains – dont 800 millions qui ont faim – qui survivent avec quelques euros par jour. Quant aux sociétés à fortes consommations, aucune force politique n’est en mesure de les convaincre d’opter pour la sobriété sans une réduction drastique des inégalités de revenus et de patrimoines, ont déjà démontré des économistes. S’il est vrai que sans réformes économiques, sociales et culturelles d’envergure aucune politique n’est susceptible d’atteindre les objectifs de la Convention Climat, pour ne parler que de ce dossier majeur, l’idée que l’on puisse y arriver à technologies constantes est absurde. […]

 

Je vous recommande de lire l’article complet sur le site Le Point. Et également les articles de Sylvestre Huet sur son blog Sciences2.

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