Michel Serres a rejoint les étoiles


Michel Serres (photo DR)

Érudit optimiste, amoureux de la langue, de l’océan, des cultures et des sciences, merveilleux vulgarisateur du savoir, Michel Serres nous a quittés hier en pleine jeunesse à 88 ans.

Sa sympathie bienveillante reste néanmoins avec nous grâce à la magie du livre, des enregistrements sonores et vidéo. Ci-dessous, extraits d’entretiens récents accordés au journal Le Monde, puis d’enregistrements audio à écouter sur le site de France Culture, et l’exemplaire série scientifique « Tours du Monde, tours du ciel » dont il a rejoint les étoiles.

1) Entretiens au journal Le Monde :

« Ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être pire après ! » (2016)

« Nombreux sont ceux qui pensent que c’était mieux avant, avec l’alimentation traditionnelle, le biologique pur… Or, c’est entièrement faux ! Je suis assez vieux pour me souvenir exactement du gradient qui a été parcouru en matière de santé, d’éducation, d’alimentation. Aujourd’hui, on se représente le monde à feu et à sang, mais ce n’est pas vrai. La seconde guerre mondiale a fait des dizaines de millions de morts, et aujourd’hui la violence ne fait que baisser. Le Global State of Democracy (une publication de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale) ainsi que l’université d’Uppsala, avec son « Conflict Data Program », confirment parfaitement la thèse existentielle de mon livre : entre 1990 et aujourd’hui, le nombre de pauvres a diminué de plus d’un milliard, alors que dans le même temps, la population mondiale augmentait de 3 milliards ; dans la même période, la mortalité infantile a chuté de moitié ; les humains vivent désormais 70 ans en moyenne (contre 47 ans en 1950) […]

[A propos des progrès les plus significatifs :]
– Le premier, c’est celui de la démocratie. Quand j’avais 14 ou 15 ans, on était gouvernés par Franco, Mussolini, Hitler ou Mao, tous des braves gens !
– Le deuxième, c’est la question de la violence. La seconde guerre mondiale a produit 50 millions de morts. Aujourd’hui, il n’y a plus de guerres symétriques, et les guerres civiles peuvent produire 350 000 morts en sept ans, comme en Syrie. Ces chiffres-là, je les déplore évidemment, mais ils n’ont rien à voir avec ceux que j’ai connus.
– Le troisième, c’est la révolution médicale. Avant la seconde guerre mondiale, quand un médecin recevait 10 malades, il y avait 4 tuberculeux, 4 syphilitiques et deux autres. A partir des années 1960, il ne reste que les deux autres grâce à l’arrivée des antibiotiques. La médecine soignait autrefois, mais tout d’un coup, elle s’est mise à guérir. Notre rapport au microbe et à la maladie a complètement évolué. Du coup, l’espérance de vie a bondi, on a gagné entre trente et quarante ans en un siècle. […]

Chaque fois qu’il y a eu une révolution de l’information, elle a été invasive pour la pédagogie. En attendant, je suis né à Agen, dans le Lot-et-Garonne, et lorsque j’avais besoin de renseignements, j’étais obligé de prendre le train pour Paris. Je passais la nuit dans les transports : je partais à 17 heures et j’arrivais à 9 heures du matin. Je faisais la queue à la Bibliothèque nationale, j’attendais que le livre arrive, une fois sur deux je m’étais trompé d’ouvrage, alors je revenais le lendemain.
Disons que, quand je cherchais une information, il me fallait trois ou quatre jours, et ça me coûtait bonbon. Aujourd’hui, je clique et j’obtiens mon renseignement. Hier, j’ai tapé la moitié d’un vers latin que j’avais dans la tête et, aussitôt, la référence est apparue : Enéide, Virgile, livre 9. C’est une information que j’aurais mis des semaines à retrouver sans les nouvelles technologies. »

Lire l’intégralité de l’entretien avec Michel Serres : « Ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être pire après ! » sur le site Le Monde.

 

« Nous vivons dans un paradis » (2018)

« Né en 1930 dans le sud-ouest de la France, j’ai connu les réfugiés de la guerre d’Espagne et l’occupation nazie, et j’ai même servi comme officier de marine sur divers vaisseaux de la Marine nationale, notamment lors de la réouverture du canal de Suez et durant la guerre d’Algérie. Auschwitz et Hiroshima m’ont marqué à jamais. […] En regard de ce que j’ai vécu durant le premier tiers de ma vie, nous vivons des temps de paix. J’oserai même dire que l’Europe occidentale vit une époque paradisiaque. […] depuis sa fondation, l’Union européenne a traversé soixante-dix ans de paix, ce qui n’était pas arrivé… depuis la guerre de Troie !

Nous vivons dans un îlot de paix, à l’abri des grands conflits[:] nous sommes hypersensibles au moindre frémissement de tragique, à la moindre déflagration de violence. Regardons les chiffres et les statistiques en face : le terrorisme est la dernière cause de mortalité dans le monde. Les homicides sont en régression. Le tabac, les accidents de voiture ou même les crimes liés à la liberté du port d’arme tuent bien plus que le terrorisme. »

Lire l’intégralité de l’entretien avec Michel Serres : « Nous vivons dans un paradis » sur le site Le Monde.

 

2) Interviews à écouter sur France Culture :

« Le problème de la violence a été au cœur de ce que j’ai produit depuis 70 livres » (Les Masterclasses, France Culture, 2018 – 59mn) : Entretien avec Xavier Martinet, enregistrement en public à Saint-Malo. Quelques repères  : 3mn : Thomas Coville, plus beau jour de ma vie. 8mn : Vers 1800, les académiciens sortent une énormité sur les marées ! 14mn : « 70 ans de paix, c’est du jamais vu ! » 20mn : « Non à l’idéologie de la victoire ». 29mn : Une science devenue non intuitive, anti-Jules Verne.

« Michel Serres, l’enchanteur du monde nouveau » (La marche des sciences, France Culture, 2014 – 57mn). Entretien avec Aurélie Luneau, accompagné d’archives sonores auxquelles répond Michel Serres. Quelques repères : 22mn : Sa mère : « Je suis une poule qui a élevé un canard » – 25mn : Gauss élève de génie – 26mn Jules Verne, voyage dans le Monde et dans la Science – 28mn Jacques Monod – 40mn Le Contrat Naturel.

MAJ 16/06/2019 :
« Michel Serres – Hommage » (A voix nue, France Culture, 2002, 1h20). Interview hélas pas du niveau habituel de l’émission. A écouter en ligne.

3) Documentaires à voir

« L’innovation et le numérique » (conférence Panthéon-Sorbone, 2013 – 47mn). La révolution numérique et Petite Poucette. A voir en ligne

«Tours du Monde, tours du ciel » (série documentaire, Arte, 1991 – 8h40mn). Série de 10 documentaires scientifiques de 52 minutes réalisés par Robert Pansard-Besson, avec de nombreux intervenants dont Michel Serres et Pierre Léna. L’histoire de la civilisation humaine et des sciences, à travers l’astronomie puis l’astrophysique. Une série exemplaire de simplicité et de poésie. Un des joyaux de l’ancienne chaîne de télévision « La sept » (devenue Arte). Détails sur Wikipedia.
1) Le commencement, il y a 160 000 ans. Voir en ligne
2) Autour de l’an zéro. Voir en ligne
3) De l’autre côté du monde, de -500 à l’an 1000. Voir en ligne
4) Tour de la Terre, tour du ciel, de l’an 1000 à 1600. Voir en ligne
5) Rome, Venise, Pékin, Paris, de l’an 1600 à 1676. Voir en ligne
6) Est-Ouest, de l’an 1642 à 1743. Voir en ligne
7) Le messager astral, la lumière, de l’an 1743 à 1880. Voir en ligne
8) Le visible et ce qui ne l’est pas, de l’an 1880 à 1950. Voir en ligne
9) Vers les miroirs géants, de l’an 1950 à 1990. Voir en ligne
10) Les lumières et autres messagers. Voir en ligne

Je vous recommande d’acquérir le coffret pour une meilleure qualité d’image (parfois le son est mal synchronisé sur les versions YouTube). Il est en vente à la Fnac et  sur Amazon. A noter l’existence d’un épisode 11 réalisé en 2009, complétant la série en l’actualisant, 18 ans après, mais d’un style plus conventionnel et moins poétique. D’une durée de 1h30, il est accessible sur Arte vidéo.


Michel Serres a rejoint les étoiles magnifiques de « Tours du Monde tours du ciel » (image extrait de la série)

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