Conférence de l’historien Marc Ferro sur la décomposition de l’URSS, en 5 étapes : 1956 Budapest, 1968 Prague, 1980 Gdansk, 1985 Perestroïka, 1991 chute de Gorbatchev. Une quarantaine de minutes passionnantes – et d’un style parfois assez direct – où sont corrigés pas mal de clichés historiques, et qui permet de mieux comprendre la Russie d’aujourd’hui. Même si l’enregistrement date de 2000, il reste toujours d’actualité. Marc Ferro a conçu et animé l’émission « Histoire parallèle » sur Arte pendant 12 ans, de 1989 à 2001.
Ci-dessous, retranscription de quelques extraits pour vous donner envie de l’écouter.
22mn : « Le pays ne marchait plus à un point que vous ne pouvez imaginer. En 1985, j’ai enseigné deux mois à l’Université de Moscou. Et comme je voyais qu’il se passait des choses, que la société changeait, je n’ai pas voulu aller à l’hôtel comme d’habitude lorsque je préparais ma thèse. J’ai voulu, puisque j’étais nommé prof, vivre comme un prof avec son traitement de prof dans un local de prof. J’ai vécu dans l’université avec un bon salaire, 600 roubles, alors que le salaire moyen c’était 500 pour un prof (20% de plus, comme quand on allait dans les colonies dans le temps). J’avais donc suffisamment d’argent, mais je ne pouvais rien acheter car il n’y avait rien dans les magasins ! Au magasin de l’université il n’y avait rien. Des saucisses ? En deux mois je n’en ai trouvé que deux fois. Le Kefir ? Dès que j’en voyais j’en achetais 5 litres et puis j’en repassais aux copains et en échange ils me donnaient des pommes qu’ils trouvaient dans d’autres magasins. C’était ça la vie. J’ai pu une fois trouver du raisin en prenant deux autobus et un tramway, deux heures aller, deux heures retour, parce qu’on m’avait dit qu’au marché kolkhozien untel on trouvait quelques fruits… »
28mn : Le projet de « Guerre des étoiles » américain (lancé par Ronald Reagan pour mettre l’URSS à genoux) fait que l’URSS « craque sous les dépenses militaires. Le pays consacre 78% du budget passe dans les dépenses militaires. »
37mn : « Toutes ces hésitations (de Gorbatchev en politique intérieure) on ne les a pas tellement vues en France. Nous ce qu’on a vu c’est tout le reste (la liberté laissée aux autres pays du bloc soviétique). Mais les russes s’en foutent que Gorbatchev ait donné la liberté aux polonais, aux hongrois, qu’il ait libéré le mur de Berlin. Ils s’en foutent de tout ça, car les russes n’aiment pas les polonais, n’aiment pas les hongrois, n’aiment pas les allemands. Et ce que nous considérons comme un triomphe de la liberté, pour les russes c’était perçu comme des concessions. Nous ne sommes mêmes plus forts ! On était forts et sans doute une puissance pauvre, mais on avait la force, la gloire, on emmerdait le monde ! C’est quand même une sacré satisfaction, on a beau dire ! (rires dans la salle). Eh oui, il faut voir comment les gens voient les choses, c’est tout à fait vrai. »
(Gorbatchev s’attendait à tout sauf à la renaissance d’un nationalisme en Arménie, en Lettonie, en Lituanie, Estonie… dans des pays qui jusque là n’avaient rien manifesté. On ne pouvait pas s’y attendre. Tout lui pète de partout, et dans la foulée c’est Yeltsine qui en veut toujours plus et qui va réussir).
44mn : Pour éliminer la césure entre pays de l’Est et de l’Ouest, Gorbatchev dès 1985 décide d’avoir une politique pacifiste dans les pays de l’Est et leur laisser leur liberté. Mais ils sont méfiants à en profiter. Gorbatchev ne les aide pas non plus. Paradoxalement c’est avec la Pologne que ca marche le mieux. Reste l’Allemagne, coupée en deux, qui symbolise à elle seule la coupure. Il s’adresse directement à Kohl en passant par dessus Honecker.