Démission de Nicolas Hulot (texte intégral)


Nicolas Hulot, a annoncé ce matin sa démission du gouvernement (Photo France Inter)

Je recopie ci-dessous :
– des extraits de la déclaration de Nicolas Hulot faite ce matin sur le plateau de France Inter,
– suivi un peu plus bas du texte intégral,
– puis de la brève déclaration d’Emmanuel Macron.

 

1) Extraits de la déclaration de Nicolas Hulot.

[Le réchauffement climatique] c’est le pire défi que l’humanité n’a jamais rencontré.

[…] j’ai une profonde admiration pour Emmanuel Macron et Edouard Philippe et [je ne le dis] pas, croyez-moi, pour atténuer l’effet de [ma démission]. Mais, sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture.

[…] La remise en cause [du] modèle agricole dominant n’est pas là. On recherche une croissance à tout crin. Sans regarder ce qui appartient à la solution et ce qui appartient au problème. Quand on se réjouit de voir sortir de Saint-Nazaire un porte container qui va porter 50.000 containers, superbe performance technologique. Est-ce bon pour la planète ? La réponse est non.

[Concernant ma démission] je ne souhaite que personne, personne, ne récupère et ne fustige le gouvernement parce que, à l’observation, c’est l’ensemble de la société (et je peux m’y mettre également) qui portons nos contraditions.

[…] Nous poursuivons des objectifs qui sont totalement contradictoires et incompatibles… la vérité elle est celle-là : nous faisons des petits pas – et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays – mais :
• e
st-ce que les petits pas suffisent à endiguer, inverser et même à s’adapter parce que nous avons basculé dans la tragédie climatique ? La réponse, elle est « non ».
• la question fondamentale qu’il faut se poser : est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? La réponse est « non ».
• est-ce que ce nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est « non ».
• est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est « non ». Est-ce que nous avons commencé à se mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols la réponse est « non ».

[…] Est-ce [qu’une] société structurée descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Est-ce que j’ai une union nationale sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’humanité et de nos propres enfants ? Est-ce que les grandes formations politiques et d’opposition sont capables de se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel ?

[…] J’espère que mon départ provoquera une profonde introspection de notre société sur la réalité du monde.

Accès à la vidéo.

 

2) Intégralité de l’interview de Nicolas Hulot (source JDD complétée par mes soins en comparant avec la vidéo pour disposer d’un texte intégral) :

Nicolas Demorand : Incendies un peu partout dans le monde, Grèce, Suède, États-Unis. Inondations suivies de canicule au Japon. Records de températures en France. J’arrête la liste des événements majeurs de l’été. C’est la bande-annonce de ce qui nous attend disent les scientifiques. Sur le sujet, tout a été dit, tous les grands mots ont été employés mais le film catastrophe est là sous nos yeux. On est en train d’y assister. Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi, rationnellement, ce n’est pas la mobilisation générale contre ces phénomènes et pour le climat ?

Nicolas Hulot : J’ai une réponse qui est très brêve : Non, je ne comprends pas que nous assistions globalement les uns et les autres à la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence. La planète est en train de devenir une étuve, nos ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité fond comme la neige au soleil et ça n’est pas toujours appréhendé comme un enjeu prioritaire et, surtout, pour être très sincère, mais ce que je dis vaut pour la communauté internationale, on s’évertue à entretenir voire à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. Donc la réponse à votre question : Non, je ne comprends pas comment après la conférence de paris, après un diagnostic imparable qui ne cesse de se préciser et de s’aggraver de jour en jour, ce sujet est toujours relégué dans les dernières priorités.

Léa Salamé : Il y a l’apathie de la communauté internationale, Nicolas Hulot, et puis il y a le gouvernement auquel vous appartenez. Dimanche dernier, Edouard Philippe a donné dans une grande interview au Journal du dimanche les grandes lignes budgétaires à venir. Pas un mot sur l’écologie dans toute son interview. Est-ce que vous avez le sentiment après une année, disons ambivalente quant à l’urgence écologique, que la détermination est plus grande pour cet an II de la Macronie ou est-ce qu’on en restera encore aux belles paroles ?

Nicolas Hulot : Il n’y a pas que les belles paroles, il y a quand même eu de l’action dans l’année. Et contrairement à ce qu’on dit, la France en fait plus que beaucoup de pays. Ne me faites pas dire qu’elle n’en fait assez… Elle n’en fait pas assez. L’Europe n’en fait pas assez, le monde n’en fait pas assez.

Léa Salamé : Est-ce que vous avez sursauté en voyant que sur trois pages d’interview, il n’y a pas un mot sur l’écologie [de la part] d’Édouard Philippe ?

Nicolas Hulot : Je n’ai pas sursauté parce que c’est coutumier. Et que la pression du court terme sur les dirigeants sur le Premier ministre est si forte qu’elle préempte les enjeux de moyen et de long terme. C’est la vérité. Parce que sur le bureau d’un Premier ministre il y a des exigences sociales, des exigences humanitaires qui légitimement relèguent toujours sur le côté les enjeux de long terme qui prennent notre société de court. Parce que c’est une telle remise en cause, et on reste toujours avec cette illusion que l’enjeu écologique – et derrière ce mot il porte même sa contradiction tant il parait réducteur – c’est un enjeu culturel, sociétal, civilisationnel et on ne s’est pas du tout mis en ordre de marche pour l’aborder comme cela. Moi je demeure dans ce gouvernement à la manœuvre d’une transition sociétale et culturelle mais je suis tout seul à la manœuvre.

Nicolas Demorand : Vous êtes tout seul à ma manoeuvre ?

Nicolas Hulot : Oui je suis tout seul à la manœuvre.

Léa Salamé : Vous êtes tout seul dans ce gouvernement?

Nicolas Hulot : écoutez, il faut se dire les choses franchement. Le Premier ministre, le Président ont été pendant ces 14 mois à mon égard d’une affection …d’une affection, d’une loyauté, d’une fidélité absolues. Mais au quotidien, qui j’ai pour me défendre ? Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Est-ce que j’ai une formation politique ? Est-ce que j’ai une union nationale sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’humanité et de nos propres enfants ? Est-ce que les grandes formations politiques et d’opposition sont capables de se hisser au-dessus de la mêlée pour se rejoindre sur l’essentiel ? Est-ce que la responsabilité c’est simplement la responsabilité du gouvernement ? Est-ce que c’est simplement la mienne ? Parce que moi, mes choix, toutes les contradictions de notre société, mais simplement parce que nous poursuivons des objectifs qui sont totalement contradictoires et incompatibles… la vérité elle est celle-là. Nous faisons des petits pas – et la France en fait beaucoup plus que d’autres pays – mais est-ce que les petits pas suffisent à endiguer, inverser et même à s’adapter parce que nous avons basculé dans la tragédie climatique. La réponse, elle est « non ». La question fondamentale qu’il faut se poser : est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? La réponse est « non ». Est-ce que ce nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est « non ». Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est « non ». Est-ce que nous avons commencé à se mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols ? La réponse est « non ».

Nicolas Demorand : Est-ce que vous restez au gouvernement ? On entend ce matin…

Léa Salamé : …la tristesse presque !

Nicolas Demorand : …même plus la colère, Nicolas Hulot.

Nicolas Hulot : Je vais prendre pour la première fois la décision la plus difficile de ma vie. Je ne veux plus me mentir, je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux là et donc je prends la décision de quitter le gouvernement. Aujourd’hui.

Léa Salamé : Vous êtes sérieux, là ?

Nicolas Hulot : Oui je suis sérieux.

Léa Salamé : Je tiens à préciser que vous ne nous l’aviez absolument pas dit avant de rentrer dans ce studio. Bien au contraire.

Nicolas Hulot : C’est la décision la plus douloureuse – que personne n’en tire profit – parce que la responsabilité, elle est collégiale, elle est collective. Elle est sociétale. J’espère que cette décision qui est lourde, qui me bouleverse, qui est murie depuis de longs mois, ne profitera pas à des joutes ou à des récupérations politiciennes, mais à ce que notre société se retrouve sur l’essentiel. J’ai une immense amitié pour ce gouvernement auquel je m’excuse de faire une mauvaise manière, mais sur un enjeu aussi important je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m’accommoder des petits pas alors que la situation universelle – au moment où la planète devient une étuve – mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de scope, qu’on change de paradigme et c’est donc une décision qui était un véritable dilemme entre, soit m’accommoder des petits pas en sachant que, si je m’en vais, je crains que ce soit pire, soit rester mais donner ce sentiment que par ma seule présence nous nous mettons en France ou en Europe dans une situation d’être à la hauteur sur le pire défi que l’humanité n’a jamais rencontré. Et je décide de prendre cette décision qui est une décision d’honnêteté et de responsabilité. Et, j’insiste bien, je ne souhaite que personne, personne ! ne récupère et ne fustige le gouvernement parce que, à l’observation, c’est l’ensemble de la société (et je peux m’y mettre également) qui portons nos contraditions. Peut-être que je n’ai pas su convaincre, peut-être n’ai-je pas les codes, mais je sais que si je repars pour un an, oh nous aurons quelques avancées, mais ça ne changera pas l’issue.

Léa Salamé : Vous avez pris quand cette décision ?

Nicolas Hulot : Hier soir.

Léa Salamé : Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Au moment de la réunion avec les chasseurs ?

Nicolas Hulot : Disons qu’elle a mûri cet été, que j’espérais justement qu’à la rentrée, fort des longues discussions que j’ai eues avec le Premier ministre et avec le Président, il y aurait un affichage clair sur le fait que c’est l’ensemble du gouvernement, l’industrie, l’économie, le budget, le transport (c’est déjà le cas), l’agriculture et bien d’autres qui allaient être avec moi à mes côtés pour porter, incarner, proposer, inventer cette société économique. Je sais que, seul, je n’y arriverai pas. J’ai un peu d’influence, je n’ai pas de pouvoir, je n’ai pas les moyens.

Léa Salamé : Nicolas Hulot qu’est-ce qu’il s’est passé hier soir à l’Elysée en présence d’Emmanuel Macron et des représentants des chasseurs ?

Nicolas Hulot : Oh ça va paraître anecdotique mais pour moi c’était symptomatique et c’est probablement un élément qui a achevé de me convaincre que ça ne fonctionne pas comme cela devrait fonctionner. On avait une réunion sur la chasse, avec une réforme qui peut être une réforme importante pour les chasseurs mais surtout pour la biodiversité. Mais j’ai découvert la présence d’un lobbyiste qui n’était pas invité à cette réunion et c’est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Et il faut à un moment ou à un autre poser ce sujet sur la table car c’est un problème de démocratie : qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? C’est un petit détail…

Léa Salamé : Est-ce que vous parlez de Thierry Coste, pour être très clair ?

Nicolas Hulot : Oui… Je parle de Thierry Coste à qui j’ai dit très frontalement qu’il n’avait rien à faire là, qu’il n’était pas invité. Mais oublions ça parce que ne pensons pas que ma décision vient simplement d’une divergence sur la réforme de la chasse. C’est une accumulation de déceptions mais c’est surtout parce que …je n’y crois plus. Pas en l’état. Pas dans ce mode de fonctionnement. Pas tant que l’opposition ne sera pas capable de se hisser au-dessus des querelles habituelles pour se retrouver sur un sujet qui est un enjeu supérieur, qui détermine tout. Je pensais qu’à la sortie de l’été où la Californie brûle, où la Grèce brûle, où l’Inde subit des inondations, mais après nous-même une année terrible à Saint-Martin mais y compris en métropole… Quand je vais en Guadeloupe et que je vois une petite conséquence du changement climatique – « petite »… pardon pour les Guadeloupéens et les Martiniquais, mais l’invasion des sargasses qui leur pourrit la vie au quotidien -, petit à petit on s’accommode de la gravité, et on se fait complice de la tragédie qui est en cours de gestation. Je n’ai pas forcément de solution, je n’y suis pas parvenu, j’ai obtenu un certain nombre d’avancées mais si vous n’avez plus la foi… et pour avoir la foi… Ce n’est pas l’énergie qui me manque, c’est un travail collégial, c’est un travail collectif, et puis, petit à petit, je n’ai pas réussi par exemple à créer une complicité de vision avec le ministre de l’Agriculture alors que nous avons une opportunité absolument exceptionnelle de transformer le modèle agricole. On se fixe des objectifs mais on n’en a pas les moyens parce que, avec les contraintes budgétaires, on sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe, on ne pourra pas les réaliser. Voilà ma vérité.

Léa Salamé : Je précise pour les auditeurs qui nous écoutent que Thierry Coste oeuvre pour la Fédération nationale des chasseurs. Il est lobbyiste effectivement. Nicolas Hulot, est-ce que vous avez prévenu Edouard Philippe et Emmanuel Macron de votre décision ?

Nicolas Hulot : La réponse est non.

Léa Salamé : Donc là ils vont l’apprendre en direct…

Nicolas Hulot : Oui je sais que ça n’est pas forcément très protocolaire. Je sais que si je les avais prévenus avant, peut-être qu’ils m’en auraient une fois encore dissuadé. Mais c’est une décision entre moi et moi et je ne veux pas me mentir. Je ne veux pas donner encore une fois ce sentiment que, si je repars, c’est parce que j’y crois. Mais je me pose la question : suis-je à la hauteur ? Qui serait à la hauteur tout seul ? Où sont mes troupes ? Qui ai-je derrière moi ? J’ai l’ensemble…

Léa Salamé le coupe : Vous aviez le soutien du président de la République…

Nicolas Hulot : Oui ! Non mais, attendez, je le redis ici : j’ai une profonde admiration pour Emmanuel Macron et Edouard Philippe, et ce n’est pas, croyez-moi, pour atténuer l’effet de la décision ce matin. Mais, sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture. On n’a pas compris que c’est le modèle dominant qui est la cause. Est-ce qu’on le remet en cause ?

Léa Salamé : vous voulez dire le libéralisme, pour parler clair ?

Nicolas Hulot : Oui. Mais je l’avais dit dès le départ. Je me suis moi-même largement prononcé sur des traités comme le Ceta. Et on va en avoir une flopée d’autres.

Léa Salamé : Pourtant Emmanuel Macron a été clair pendant sa campagne que son programme serait plutôt d’inspiration libérale.

Nicolas Hulot : Oui mais on peut évoluer, les uns les autres, on peut se nourrir. C’était pour cette diversité. On peut encore une fois s’apporter. Moi je ne critique personne. J’espère que mon départ provoquera une profonde introspection de notre société sur la réalité du monde, sur le fait que l’Europe ne gagnera que si l’Afrique gagne. Est-ce que nous nous sommes mis en situation de passer un contrat d’avenir avec l’Afrique ? La réponse est non. Où est passée la taxe sur les transactions financières qui était le minimum pour tenter de donner les moyens à l’Afrique de s’adapter, d’évoluer ? Est-ce que nous ne nous voilons pas la face sur le fait qu’une partie des migrants qui viennent frapper aux portes de l’Europe, une partie c’est pour des raisons climatiques ? Je ne veux pas faire la liste ici. Je ne suis pas là pour faire un procès. Je dis simplement que la société, vous-mêmes les journalistes, remettons les priorités dans le bon ordre. Ce sujet conditionne tous les autres, je le dis en boucle. Le nucléaire, cette folie inutile, économiquement, techniquement, dans lequel on s’entête. C’est autant de sujets sur lesquels je n’ai pas réussi à convaincre, j’en prends ma part de responsabilité. Et je pense que, ce que les gens attendent d’un ministre, c’est que s’il n’est pas à la hauteur, s’il n’arrive pas à ses fins, il doit en tirer les leçons. Je l’ai toujours dit et je les tire ce matin.

Nicolas Demorand : Et donc ça n’avancera que de l’extérieur à vous entendre ? En tout cas en France ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que politiquement c’est impossible d’agir à l’intérieur de cette équipe là ?

Nicolas Hulot : Pour ce qui concerne la responsabilité française – et j’insiste bien : j’invite parfois les observateurs qui critiquent et notamment les écologistes pantentés à comparer avec les autres pays, et la France est plutôt leader dans ce domaine – ce n’est pas suffisant. Nous n’y arriverons que si un gouvernement dans son ensemble a la même impulsion, la même ambition, la même feuille de route, la même vision. Moi je ne peux pas passer mon temps dans des querelles avec Stéphane Travert, ce n’est pas l’idée que je m’étais faite. Je suis rentré dans un esprit de coopération, pas de confrontation. Je ne dit pas encore une fois que rien n’a été fait, la loi sur les hydrocarbures, contrairement à ce que dit Yannick Jadot sur le glyphosate la France a été en pointe et a montré le chemin, on a fait énormément de choses…

Léa Salamé : Justement, est-ce que ce n’est pas le moment de dire puisque vous partez, rappelez-nous quels sont les acquis, quels sont les petits pas que vous avez faits en un an avec ce gouvernement, même si vous étiez seuls comme vous le dites.

Nicolas Hulot : On a changé de tropisme sur les pesticides, on est rentré dans une dynamique qui va nous permettre je pense de se séparer un par un d’un certain nombre de molécules. On a programmé la sortie des hydrocarbures, c’est quand même des choses qui sont essentielles et importantes. J’espérais qu’on allait mettre le climat et la biodiversité dans l’article 1 de la Constitution. Mais, même là, nos sénateurs et l’opposition sur un truc qui n’est pas quand même une révolution culturelle, simplement par posture politicienne, étaient prêts à s’y opposer. Tant que nous serons dans ces affrontements perpétuels alors que l’humanité a emprunté un chemin tragique, un homme une femme, je l’ai toujours dit, quel qu’il soit – au moins on peut m’accorder des convictions – quelles que soient ses convictions, s’il est isolé dans un gouvernement, s’il est isolé dans la société – parce que regardez tout l’été, les résistances anti-éoliennes… Alors ok on ne veut pas d’éolienne, on ne veut pas de centrales nucléaires, on ne veut pas de centrales thermiques : comment on fait si on additionne tous les refus ? Et puis ceux qui critiquent à tort ou à raison, qu’est-ce qu’ils proposent ? Qui vient enrichir le débat écologique, qui vient apporter ses pièces pour construire la société et le modèle de demain ? Voilà.

Nicolas Demorand : Ça a été une souffrance ces 12 derniers mois au gouvernement pour vous, Nicolas Hulot ?

Nicolas Hulot : Puisque je suis dans un moment de vérité, oui. Oui, sauf à basculer ce que peut être j’allais devenir : cynique. C’est-à-dire que pour finir à avoir une forme d’indifférence sur les échecs.

Léa Salamé : Vous aviez senti cette tentation du cynisme ?

Nicolas Hulot : Je me suis surpris parfois par lassitude à baisser les bras et à un moment ou un autre à baisser mon seuil d’exigence. Et là je me suis dit : c’est le moment d’arrêter.

Léa Salamé : Est-ce que vous aviez les épaules pour être ministre ?

Nicolas Hulot : Peut-être pas. La question vaut d’être posée. Peut-être pas.

Léa Salamé : Est-ce que vous regrettez d’avoir accepté la proposition d’Emmanuel Macron ?

Nicolas Hulot : Non, pas du tout, pas une seconde. Pas une seconde. Et je souhaite, et je le dis très sincèrement, à ce gouvernement, et indépendamment de ce sujet, et dont j’espère qu’il en tirera les leçons, le plus grand succès parce qu’il le mérite. Il y a des hommes et des femmes exceptionnels dans ce gouvernement. Cette diversité est essentielle. Cette diversité qui est tellement importante dans notre société. S’enrichir de nos différences plutôt que de les confronter en permanence. Mais ça n’a pas forcément totalement opéré.

Nicolas Demorand : Comment décririez-vous l’armature idéologique du gouvernement ? Celle contre laquelle vous avez échoué, vous l’avez dit très sincèrement. C’est quoi ? C’est du libéralisme a proposé Léa Salamé ? Du productivisme ? Du nucléarisme ? C’est quoi ?

Nicolas Hulot : C’est difficile. D’abord je ne voudrais pas, dans un moment dans lequel je mets le gouvernement en difficulté alors que ce n’est pas du tout mon souhait, au contraire.

Nicolas Demorand : C’est qu’on essaye de comprendre la nature de l’impasse…

Nicolas Hulot : Il y a une diversité, des parcours de vie différents, des personnalités passionnantes. Mais les grandes tendances demeurent.

Nicolas Demorand : C’est à dire ?

Nicolas Hulot : La remise en cause d’un modèle agricole dominant n’est pas là. On recherche une croissance à tout crin. Sans regarder ce qui appartient à la solution et ce qui appartient au problème. Quand on se réjouit de voir sortir de Saint-Nazaire un porte container qui va porter 50.000 containers, superbe performance technologique. Est-ce bon pour la planète? La réponse est non. C’est toutes ces incohérences, ces contradictions. Et puis, dans cette équation impossible, des critères maastrichtiens sur un plan budgétaire, est-ce qu’on essaie un peu d’être disruptif ? D’investir dans la transition écologique ? Les investissements qui permettent de réduire notre dépendance énergétique, qui ne sont pas des dépenses mais des investissements, est-ce qu’on s’est autorisé à essayer de sortir un petit peu de l’orthodoxie économique et financière ? Est-ce que la finance de spéculation qui spécule sur des biens communs, on l’a véritablement remise en cause ? On va me dire mais en un an on ne peut pas tout faire ! Certainement. Sauf qu’il y a une telle urgence…

Nicolas Demorand : …C’est un vice de forme que vous décrivez.

Nicolas Hulot : On me dit mais « prend ton temps, soit patient ». Mais ça fait 30 ans qu’on est patient ! Ca fait 30 ans qu’on laisse les phénomènes se dérouler. Ils sont en train de nous échapper. Donc je veux bien. On me dit : « fixe toi deux, trois priorités ». Mais tout est prioritaire : les sujets de santé d’environnement qui viennent nous exploser à la figure, dont on va se rendre compte qu’ils ont des conséquences probablement…

Léa Salamé : …mais l’économie, Nicolas Hulot, est aussi prioritaire. Le fait de faire baisser le chômage…

Nicolas Hulot : Oui, je ne dis pas le contraire, et je comprends que…

Léa Salamé : …si vous voulez, quand on accepte d’être ministre on sait bien qu’il y a des arbitrages à faire et que d’un côté, il y a une urgence économique, de l’autre une urgence écologique et que parfois, elle est contradictoire.

Nicolas Hulot : Oui, mais on peut essayer de choisir dans l’économie ce qui participe à la solution. Il y a aussi des grandes opportunités dans la transition écologique énergétique. Vous avez même dans le modèle agricole la possibilité de passer à un modèle agricole qui soit intensif en emplois et non pas intensif en pesticides. Un plan de souveraineté alimentaire en protéines végétales a-t-il été sérieusement envisagé ? Une agriculture qui se passe des pesticides c’est tout bon pour les agriculteurs, même sur le plan économique. Les externalités négatives du modèle agricole aujourd’hui, si on une vision macro, croyez-moi, l’argent il vaut mieux le mettre en amont qu’en aval. C’est cette vision d’ensemble… Je ne dis pas que j’ai toutes les solutions. Moi, j’espérais à un moment où un autre que dans ce gouvernement, chacun y apporte sa contribution. Et de donner le sentiment que je peux être sur tous les fronts, résister à toutes les oppositions, à la croisée de tous les lobbys – car les lobbys sont là – et bien je ne pas sûr… Est-ce que quelqu’un fera mieux que moi ? Peut-être. Je n’en sais rien. L’avenir le dira. J’espère qu’on m’accordera que ce moment douloureux, de tristesse, mais pris d’une manière excessivement sereine, je l’ai pris au sortir de 15 jours de repos, donc il n’est sous le coup d’aucune colère, c’est un acte de sincérité avec moi-même.

 

 


Emmanuel Macron, conférence de presse de Copenhague (photo extraite de la vidéo)

3) Intégralité de la déclaration d’Emmanuel Macron

Lors de la conférence de presse ce soir à Copenhague conjointe du premier ministre du Danemark et d’Emmanuel Macron sur des sujets de politique internationale, RTL a posé une question de politique intérieure relative à la démission de Nicolas Hulot :

Olivier Bost, RTL : « Monsieur le premier ministre, monsieur le président, Olivier Bost, RTL. Une question pour vous monsieur le président : avez-vous été surpris, êtes-vous déçu par le départ fracassant de Nicolas Hulot ce matin ? Nicolas Hulot estime que vous n’avez rien compris aux enjeux écologiques et que votre gouvernement est sous l’influence des lobbyes. Est-ce un désaveux de votre politique ? Et puis comment voulez-vous remplacer Nicolas Hulot ? »

Emmanuel Macron : « Comme vous le savez j’ai coutume de ne pas faire de commentaires politiques sur la situation française quand je suis à l’étranger. Néanmoins vous évoquez le choix d’un homme, et donc c’est là-dessus que je veux revenir. C’est une décision personnelle et je crois que l’honnêteté à son endroit m’oblige à corriger les propos que vous lui avez mis dans la bouche. Je ne crois pas qu’il les ait tenus, en tout cas en ces termes. C’est une décision personnelle qu’il a prise ce matin. Et si j’ai choisi Nicolas Hulot il y a 15 mois c’est parce qu’il est entre autres un homme libre et donc je respecte sa liberté. Je souhaite qu’elle n’enlève rien à son engagement, et donc je souhaite toujours compter sur celui-ci, sous une autre forme, et là ou il sera. Je pense qu’en 15 mois, ce gouvernement a fait plus qu’aucun autre dans la même période sur ce sujet. Plus qu’aucun autre. La décision de fermeture de centrales à charbon, l’engagement sur l’hydrocarbure, les engagements pris pour préparer une trajectoire énergétique qui sera bientôt traduite, des vraies décisions en matière de mobilité, un engagement européen et international constamment évoqué (demandez à quiconque si la France est absente du sujet international sur le climat…), et des engagements à venir. Et donc je souhaite pouvoir toujours compter sur son engagement d’homme libre et convaincu, là ou il décidera d’être. Je respecte sa décision. Pour ma part j’ai pris des engagements face aux français sur ces sujets essentiels. Ce que nous avons à bâtir c’est une société du XXIème siècle où chacun aura sa place, pourra vivre dignement, et pourra vivre avec une alimentation saine et dans un environnement sain. C’est un combat qui ne se fait pas du jour au lendemain. Il implique de se confronter au réel. Il vaut mieux que les petites phrases. Et donc il implique un travail qui va se poursuivre et un engagement sur la base de ce que j’ai promis aux français, qui sera constant et absolu de ma part. »

Accéder à la vidéo (en 19mn48)

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