Bertrand Delanoë en conférence à la BnF

2019. Bertrand Delanoë à la BnF (photo Godefroy Troude)

Le 12 novembre 2019, Bertrand Delanoë donnait une conférence exceptionnelle à la Bibliothèque Nationale de France, suivie de questions/réponses avec le public.

Ci-dessous :
1) enregistrement audio de la conférence,
2) retranscription intégrale de la conférence,
3) notes des échanges avec le public (cette partie n’a hélas pas été diffusée par la BnF).

 

1) Enregistrement audio de de la conférence

– Accès sur le site de la BnF.
– Accès sur YouTube.

2) Retranscription de de la conférence

00:14 : « Bonsoir à tous. Je voudrais d’abord saluer la présidente, chère Laurence Engel et toute l’équipe de la BnF, dont j’ai découvert à travers cette invitation qu’il y avait au-delà de la Mémoire, au-delà de l’Histoire, au-delà de l’étude, beaucoup de sens du présent et de la recherche, et notamment de toute ce qui fait l’intelligence collective. Et je crois que c’est la fonction d’une grande institution comme la Bibliothèque Nationale de France, nous sommes dans le site François Mitterrand, ce qui a une signification, notamment pour moi, et je pense que la Démocratie, le questionnement du vivre ensemble est évidemment une question tout à fait fondamentale. Surtout aujourd’hui. »

01:10« Comme vous l’avez remarqué, depuis 6 ans que je n’ai plus de mandat du Suffrage Universel, donc plus de qualité pour m’exprimer, je m’exprime très peu. C’est pourquoi j’ai beaucoup …hésité, il a fallu l’insistance de Laurence et toute l’équipe pour que je dise pourquoi pas, à condition que ce soit un témoignage modeste, une sorte de …retransmission de ce qu’a été notre interrogation sur la démocratie locale à un moment de l’Histoire qui nous sollicite quand même très fortement sur la question Démocratique. Elle nous sollicite dans le monde entier où des mouvements se développent, d’Irak au Venezuela, en passant par l’Algérie, le Liban, bref il n’y a pas un pays quasiment – sauf quand ils ne peuvent pas, je pense à la Russie – où il n’y pas une effervescence et une envie d’expression des citoyens. Et je n’ai pas cité Hong-Kong, je n’ai pas tout cité… Les historiens auront un boulot intéressant à faire dans quelques décennies sur cette période où les peuples on envie d’exprimer quelque chose, souvent un fond de colère sociale. Il y a parfois tout simplement la revendication de la Démocratie, de la Liberté. Et souvent, je l’ai vu notamment dans un pays qui m’est cher, la Tunisie, une exigence du respect de la dignité des citoyens. Cette revendication de la dignité est quelque chose qui est transversale et je ne sais pas quels seront les développements à venir – et je ne suis pas venu ici pour parler de cela – mais c’est vrai que le contexte est exigeant nous interpelle et surtout il porte beaucoup d’incertitudes sur les temps qui viennent. »

03:15 : « Vous avez inscrit ce moment dans cette année 2019-2020 où il va y avoir des élections locales. Et c’est vrai que dans les élections locales il y a encore une relation à la chose collective qui est peut-être plus perceptible. Sans doute que la proximité permet d’avoir une relation à l’actualité municipale qui est peut-être plus forte que sur des ensembles plus grands. Pour ce qui me concerne, je peux juste témoigner de ce que nous avons fait, je dis bien « nous » car c’était un travail d’équipe et qu’il y a d’ailleurs dans cette salle des femmes et des hommes qui y ont contribué. Et je veux le faire en précisant quelque chose qui est de l’ordre de l’état d’esprit démocratique. »

04:20 : « Avant même de quitter mes fonctions de maire de Paris en 2014, j’avais pris un engagement vis-à-vis de moi-même : c’est que je ne commenterai pas l’action de celles et ceux qui me succédaient. Nous avions fait deux mandats. Je m’étais engagé fortement pour qu’une équipe de gauche, avec à sa tête une femme, puisse gagner lorsque je n’étais plus candidat. Mais je trouvais plus respectueux de la Démocratie, […] de ne plus commenter l’actualité municipale par respect du Suffrage Universel, par respect des acteurs. Car vous voyez bien que souvent des dirigeants commentent beaucoup l’action de leurs successeurs et que c’est peut-être un peu perturbant, en tout cas pour ce qui me concerne je ne me voyais pas dans ce rôle de vigie ou d’ancien combattant ou de vieux con. » (rires dans l’assistance) […]

05:50 : « C’est pourquoi je vais vous parler de notre esprit démocratique, de 2001 à 2014. D’abord je vais vous dire une chose : il n’y a pas de prix de vertu, il n’y a pas gens exemplaires en matière démocratique, mais il y a des principes et une quête pour se conformer à ces principes. Personnellement j’ai toujours été très impressionné et très admiratif de la figure de Pierre Mendès France. Et bien avant de devenir maire j’avais lu une déclaration de Pierre Mendès France en 2014 qui m’a inspiré. Je ne prétends pas l’avoir toujours bien honoré, mais je veux vous la lire telle qu’il l’exprimait en 1954. Pierre Mendès France disait « L’élément fondamental du système démocratique, c’est la Vérité. S’il n’y a pas d’honnêteté de la part de ceux qui jouent un rôle dans jeu des institutions, il ne peut y avoir de Démocratie ». Cette phrase, elle nous a inspiré et elle nous a servi de référence. Je n’ai pas dit qu’on a tout fait bien, mais il faut toujours avoir une quête, toutes les œuvres collectives sont des œuvres humaines. Elles sont donc imparfaites. Mais encore faut-il avoir des principes, des valeurs, des idées vers lesquelles on tend. Et après aux citoyens de juger ce qui est atteint et ce qui ne l’est pas. Alors, je vais dans ce propos liminaire, puis après on discutera, aborder quelques points qui – en réfléchissant à notre rendez-vous d’aujourd’hui – me sont apparus comme une évidence dans ce qu’a été notre effort pour honorer l’idée même de Démocratie. »

08:05 : « D’abord, l’exercice d’une responsabilité commence avant même que le Suffrage Universel vous la confie. C’est-à-dire que dans la manière dont vous élaborez un projet, dont vous tissez des liens avec les citoyens, il y a déjà les éléments de l’état d’esprit démocratique qui va vous animer lorsque vous serez en responsabilité si les citoyens vous confèrent cette charge. Et je pense à la méthode, je pense aux consultations des citoyens, je pense aux consultations des associations, à ceux à qui vous donnez la parole pour avoir une influence réelle sur le projet que vous proposez au suffrage de vos concitoyens. Et cela a beaucoup à voir avec la nature du projet. Je ne crois pas que les projets qui empilent les promesses parfois un peu démagogiques, sans recherche de vision, sans recherche d’une cohérence, sans recherche de la faisabilité, et même des questions budgétaires, je ne crois pas que ces projets-là honorent la Démocratie. Il faut faire l’effort d’élaborer des projets dont on peut dire en toute bonne foi qu’on arrivera à les mettre en cohérence, les différentes propositions, qu’on arrivera à les réaliser et les financer. De ce point de vue là, j’ai aussi un autre modèle qui est Lionel Jospin car — il a comme nous tous des qualités et des défauts — mais dans sa campagne présidentielle de 1995, dans la campagne législative de 1997, j’ai vu à quel point il s’efforçait de faire un projet qu’il pourrait réaliser. Et s’il y a eu beaucoup de critiques sur sa responsabilité de premier ministre, personne n’a pu lui reprocher de 1997 à 2002 d’avoir été un premier ministre qui trahissait les promesses de ce qu’il avait annoncé aux électeurs avant qu’ils votent pour cette majorité nationale.« 

10:20 : « Je reviens à nous et je l’ai vu dans l’exercice du mandat, par exemple dans le premier mandat de 2001 à 2008 : souvent les Parisiens m’ont engueulé parce que, par exemple, dès les premiers mois nous avions commencé la construction des couloirs d’autobus ou les travaux du tramway (on l’a fait un peu tard). Et quand les citoyens m’engueulaient ils me disaient « Monsieur le maire on est perturbés… etc. mais vous nous aviez prévenus ! ». Et j’ai un exemple pour la deuxième mandature qui est encore plus révélateur. Pendant la première mandature je n’ai pas voulu augmenter les impôts puisque je l’avais promis. Et c’est vrai que certains membres de la majorité municipale me demandaient d’augmenter les impôts. Et je disais « Non, on a dit aux citoyens que nous n’augmenterions pas les impôts ». En revanche j’ai fait toute la campagne de 2008 en disant aux citoyens « Nous allons augmenter les impôts, parce qu’il y a du service public à financer : il y a ce programme de crèches, de logements, il faut prolonger le tramway, etc. et maintenant qu’il y a eu 7 ans de stabilité fiscale nous augmenterons les impôts ». Et il n’y avait pas une réunion, pas un matériel, sans que je dise « Nous augmenterons les impôts ». […] J’avais dit « Ça sera moins de 10% » […] La première année ça a été 9% et l’année suivante 8% parce que j’avais un excellent adjoint aux finances pendant les deux mandats […] Mais ils sont restés les plus bas de France, après l’augmentation. Et quand les Parisiens m’engueulaient parce qu’ils disaient « Vous nous avez augmenté nos impôts », ils ajoutaient tout aussitôt « Mais vous nous aviez prévenus ». Je vous assure que pour créer un climat de confiance et pour essayer de faire en sorte qu’il y ait une Démocratie vivante où on se prend au sérieux les uns et les autres, c’est pas totalement négligeable. »

12:43 : « Deuxième remarque que je veux faire – et cela va peut-être vous surprendre – [la première chose] qui m’est venu à l’esprit en pensant à notre rendez-vous de ce soir […] c’est la parité. Parce que la parité, l’égalité femme-homme, c’est ce qui fait la racine de la Démocratie. À peine arrivé en 2001, nous avons décidé que l’exécutif serait paritaire, que le cabinet du maire serait paritaire, et que les directions d’administration seraient paritaires. Alors là j’ai eu un peu plus de mal, […] j’avais des adjointes femmes qui ne voulaient pas que je nomme une directrice-femme à la tête de leur administration, mais je n’ai pas cédé. Et je me souviens qu’il y avait 21 directeurs d’administrations à l’époque, 11 femmes et 10 hommes (c’est normal à Paris il y a plus de femmes que d’hommes). Et ce n’est pas anodin car dans ces réunions de directeurs, je me souviens que 10 mois à un an après je leur disais « Mais est-ce que ça a apporté quelque chose ? » ils me disaient tous « Oui ». Ce n’est pas pareil en terme de représentation de la société quand tout le monde est représenté. »

14:12 : « Le deuxième point – il y a un maire d’arrondissement dans la salle donc il sait de quoi je parle – c’est que tous les projets, que ce soit l’aménagement d’une petite place, que ce soit une crèche, le tramway, les grands trucs… tout – nous avons essayé de concerter. De donner la parole au citoyen – alors c’est parfois dérangeant, on s’est fait bousculer – mais nous avons fait évoluer les projets, nous les avons modifiés en fonction de ce que nous entendions. Et je veux rendre hommage au personnel de la ville de Paris, car pendant 13 ans le moins qu’on puisse dire c’est [qu’à] tous les niveaux de la hiérarchie ils se sont tapé des réunions de concertation avec les citoyens. Et je les en remercie parce que quand je voyais des directeurs, des hauts fonctionnaires, des énarques, se taper des heures et des heures de discussion pour savoir si on allait mettre l’arbre là ou là… Et bien oui, mais c’est ça la démocratie locale et c’est ça qui crée de la confiance. Dans certains cas d’ailleurs c’était un peu compliqué. Je vais en prendre d’ailleurs une illustration : nous avons voulu avoir un beau projet pour le Carreau du Temple. Et donc nous avons lancé un appel à projet, un concours. Et il s’est dégagé trois orientations, trois projets tout à fait intéressants mais très différents les uns des autres. Et avec le maire de l’arrondissement, Pierre Aidenbaum, nous avons décidé de faire plusieurs réunions de concertation, et de les conclure par un référendum. Mais là il faut assumer de dire la vérité. Et moi je me souviens qu’à la fin de la dernière réunion à la mairie du IIIème arrondissement, avant le vote, j’ai dit aux participants : « Je sens quel projet vous allez préférer. » C’était le plus compliqué, le plus cher, et celui qui allait prendre le plus de temps parce qu’il allait impliquer des fouilles archéologiques. Et moi je l’aimais bien aussi, ce projet. Mais je leur ai dit « Ne me demandez pas de le réaliser en deux ans. Si c’est celui-là que vous choisissez, moi je vous dis sur les trois projets voilà tel budget, voilà tel délai, voilà telle complication. Mais si jamais vous choisissez le numéro trois, ce sera le plus difficile à réaliser. » Ils ont voté, ils ont choisi celui-là, ça a été compliqué, ça vit maintenant depuis quelques années, je crois maintenant que c’est pas mal. Et c’est une manière de dire aux citoyennes et aux citoyens « Après tout c’est votre affaire, mais si ça devient plus difficile de le réaliser, prenons ensemble les responsabilités ». »

17:00 : « Il y a eu d’autres sujets sur lesquels nous avons tenté des concertations beaucoup plus compliquées. Le plan local d’urbanisme et le plan de déplacement de Paris. Alors là, pour demander aux citoyens ce qu’ils pensent du plan local d’urbanisme ou du plan de déplacement de Paris, il faut commencer par les informer. Et là j’ai été très admiratif, j’ai retrouvé les documents – merci Dominique – il y avait à peu près pour chaque sujet 30 pages d’explications, puis des questions ouvertes : c’est pas « Oui » ou « Non », c’est « un peu », « beaucoup », « passionnément »… C’est des trucs où les gens disent ce qu’ils veulent mais avant de répondre aux questions il faut quand même se taper 30 pages sur les règles d’urbanismes, les trucs, les machins, et quelle n’a pas été notre surprise dans ces deux consultations, l’une de 2004 et l’autre de 2006, sur des sujets ardus, d’avoir entre 110 et 120 000 réponses. Ce qui fait à peu près 10% du corps électoral parisien. Et moi j’ai été bluffé par les Parisiens, car je me suis dit qu’ils n’avaient pas répondu sans se renseigner, sans regarder ce qu’il y avait avant. Et je me suis dit que finalement, quand on faisait appel à l’intelligence des citoyens, ça crée parfois des conflits et des contradictions mais ça vaut la peine ! […] »

18:45 : « Troisièmement nous avons voulu, d’entrée, mettre en place un certain nombre de conseils de concertation, totalement libres, et paritaires. Alors ça a concerné plusieurs sujets, par exemple le conseil des étrangers qui n’ont pas le droit de vote. Moi je suis favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales. Eh oui, mais je suis maire ! Il faut que je leur donne la parole, que je leur permette d’exprimer ce que eux pensent des politiques de transport, de logement, puisqu’ils n’ont pas le droit de vote. Ce conseil des Parisiens non électeurs – mais parisiens qui payent leurs impôts ! – a été très intéressant. Il s’y est passé beaucoup de débats, il faisait des propositions, on ne les a pas toutes retenues, mais ça ça s’appelle une Démocratie participative loyale. Nous l’avons fait aussi avec un conseil économique, le CODEV, dans lequel il y avait à la fois des acteurs économiques, beaucoup de représentants syndicaux, et des représentants des associations de lutte contre l’exclusion. Nous lavons fait aussi me semble-t-il pour les étudiants. Eh oui, il y a 300 000 étudiants à Paris ! Si on veut mener une bonne politique dans leur direction il faut peut-être leur demander leur avis ! Et je me souviens que mes adjoints, c’était d’abord David Assouline puis Sandrine Mazetier ont fait un boulot formidable. On a fait pareil pour les jeunes. Et mes adjoints étaient d’abord Clémentine Autain puis Bruno Julliard qui ont été formidables aussi et nous avons donné la parole aux jeunes mais attention ce n’était pas « Dites ce que nous avons envie d’entendre », c’était « Dites ce que vous pensez de la vie de la Cité », quelles sont vos soucis, quels sont vos propositions, et à chaque fois ils nous faisaient des rapports que nous avons travaillés. On n’a pas tout mis en œuvre, je le dis franchement, parce que la Démocratie représentative c’est aussi que celui qui a le mandat du Suffrage Universel doit prendre ses responsabilités. Mais au moins nous avons été inspirés par les Parisiens.
Puis dans le deuxième mandat j’ai eu envie d’aller beaucoup plus loin, en créant une commission d’évaluation de nos politiques, totalement indépendante, et je me suis dit « Je vais la confier à Patrick Doutreligne » [qui était] le président de la Fondation Abbé Pierre, un type très bien, très honnête, amical et indépendant. Totalement indépendant ! Et je me souviens des rapports qu’il avait fait et que nous avons publié, sur le logement, sur l’exclusion notamment : là, c’est bien, vous avez fait des avancées, mais là ça ne va pas du tout ! Et nous, cela nous a servi à améliorer nos politiques. Et c’est dans le deuxième mandat qu’on a ajouté […] cette évaluation indépendante de nos propres politiques de manière à pouvoir avoir une vision et ensuite à pouvoir éventuellement nous remettre en cause nous-même et continuer à avancer.« 

22:25 : « Et puis il y a eu aussi comme instrument […] ces fameux compte-rendus de mandat, qui sont peut-être un peu ringard, peut-être que la formule est usée, mais moi je vais vous dire la vérité : pendant 13 ans je me suis tapé 20 réunions avec mes adjoints, une dans chaque arrondissement ou venait qui voulait et prenait la parole qui voulait. Je me suis fait vraiment bousculer. Et bien c’est peut-être un des endroits où j’ai le plus appris. D’abord parce qu’il y avait des moments où vous sortez des sommes d’intérêts contradictoires, et donc ça permet à ce moment-là de dire « Oui, mais alors comment on va faire pour trouver le chemin de l’intérêt général ? ». Et puis je vais vous dire : c’est très vertueux qu’il y ait à un moment dans une ville de 2 300 000 habitants où les citoyens qui le veulent puissent avoir sous la main leur maire et lui dire ce qu’ils veulent. C’était parfois injuste. C’était toujours nourrissant. Et même si c’était crevant – et les adjoints, les collaborateurs, les directeurs d’administration se sont tapé aussi tout ça – franchement, avec le recul cela nous a nourri et peut-être éviter de faire un certain nombre de conneries. Donc sans doute que la formule est usée, sans doute qu’il faut réinventer les moyens de la démocratie participative à l’heure des réseaux sociaux, etc. même si j’avais commencé à faire un compte rendu de mandat Internet par an. »

24:10 : « Il y a un autre truc dans le même ordre d’idées : chaque samedi et chaque dimanche où je n’avais pas d’autres engagements, je faisais les marchés. Et moi j’aimais ça, même si c’était encore une occasion de se faire engueuler. Mais c’est pas seulement se faire engueuler. D’abord c’est le contact direct avec les citoyens sans filtre, sans aucun intermédiaire. Et là, ils vous ont sous la main, vous êtes au marché, et je pense d’ailleurs que les maires d’arrondissement doivent continuer à faire ça parce que c’est une occasion… Des fois on vous encourage, des fois on vous informe tout simplement, et puis des fois on vous bouscule. Et dans tous les cas ça nourrissait ma réunion du lundi matin avec mon équipe, on prenait les notes. Là il y a une grille d’arbres qui va pas, là c’est un banc qui ne va pas. Et puis des fois c’étaient des sujets qui étaient plus graves : là il y a une crèche… Souvent les personnels des crèches venaient me parler à ce moment-là. C’était une manière aussi de savoir ce qui se passait parfois même au sein du service public. »

25:30 : « Je suis peut-être un peu long. J’avais prévenu à la fois Laurence que je n’avais pas envie de parler mais que j’étais méditerranéen (rires dans l’assistance). Donc j’ai coutume de penser que mon amour de Paris et des Parisiens est intact. Je ne suis candidat à rien et ne serai candidat à rien, je vous le dis tout de suite. Mais quand je me ballade, que je suis dans le métro et que je discute avec des Parisiens, je m’aperçois que le goût de Paris, l’amour de Paris et du contact avec les Parisiens n’a pas changé. C’est peut-être pour ça que je suis un peu bavard parce que vous m’avez incité presque à mon corps défendant à venir parler de nos pratiques démocratiques […]. »

26:15 : « Je crois qu’un responsable en démocratie qui reconnait qu’il s’est trompé …a raison. Tout le monde se trompe. Quel est celui ou celle qui dans son activité professionnelle, associative, ne commet pas des erreurs ? Et moi je me suis fait parfois un peu engueuler, par mes adjoints, par mes élus, ou par des élus d’aujourd’hui, parce que – et là je vais peut-être me faire engueuler par le maire du XIIIème – il y a quand même des trucs qu’on a raté, que j’ai raté, et je l’ai dit : le boulevard Saint-Marcel, c’est pas terrible (rires dans l’assistance). Le boulevard Magenta c’est pas terrible. Le boulevard Port-Royal, et je peux même aller jusqu’à Montparnasse. Je ne regrette pas qu’on ait fait des équipements pour diminuer la place de la voiture, lutter contre la pollution, donner la priorité aux transports en commun et aux vélos. Ça on a eu raison. Mais la manière dont on l’a fait… J’avais dit à l’époque « Je pense que les ingénieurs ont fumé la moquette ». Mais les responsables c’est pas les ingénieurs, c’est moi. Même si de temps en temps des élus actuels me disent « Ne dit pas ça ». Ben oui, je le dis et je le répète encore aujourd’hui, puisque je le disais quand j’étais maire. »

27:35 : « Ensuite, il y a le problème de l’efficacité des politiques publiques. Dans les crises de la Démocratie en général – je ne parle pas que de l’échelon local – je pense que dans la perte de confiance des citoyens dans le vivre ensemble, dans ce qui est le service public en général, il y a la performance du service public. Est-ce qu’une crèche marche bien ? Est-ce que le chauffage y est bon ? Est-ce que le tramway arrive à l’heure ? Est-ce que ça s’avère efficace ? Je pense que le devoir des responsables publics c’est de s’attacher à ce qui existe comme service public soit performant, car ça a un impact sérieux, certain, sur le climat démocratique. »

28:35 : « Et de ce point de vue la je veux dire que je ne confonds pas Démocratie et Communication. J’ai eu parfois quelques discussions vives avec mon équipe communication, notamment avec la directrice de la communication – qui est une amie – dont je rabotais les budgets chaque année […] Je lui disais « Mais ça ne sert à rien. Faisons des campagnes sur la lutte contre le Sida, faisons des campagnes… Mais le reste ça ne sert à rien. Ou les gens seront contents du fonctionnement du tramway, ils se diront les couloirs de bus c’était bien, la crêche finalement elle existe, elle est belle, et là on en aura le résultat… Mais la Comm’ y compris parce que ça a été mon métier, pendant quelques années, j’ai dirigé […] une entreprise de communication. En politique je ne crois pas beaucoup à la Comm’. Je crois à l’information. Je crois à la vérité du langage, au naturel, à l’explication de la vision, à la recherche de la performance. Il faut évidemment de bien s’exprimer et de se faire comprendre, cela fait partie du climat démocratique, mais trop d’habileté nuis à mon avis au climat démocratique. Je disais souvent à mes communicants quand j’allais faire une émission « Je préfère dire une connerie que je pense, qu’essayer d’être habile alors que je ne le pense pas et me prendre les pieds dans le tapis ! » Et je pense que dans les politiques publiques il faut y être aussi attentif. »

30:27 : « Ensuite le respect de la parole donnée. Je l’évoquais tout à l’heure à propos du projet [du carreau du Temple] mais je voudrais vous en donner une illustration. Avant le premier mandat j’avais promis que nous rembourserions la carte transport des anciens combattants. Nous l’avons fait dans le premier mandat. Mais avant le deuxième mandat j’avais promis que nous rembourserions la carte transport des VEUVES d’anciens combattants. Lorsque j’ai voulu mettre en œuvre cette mesure, plusieurs de mes collaborateurs m’ont dit à juste titre « T’es quand même gonflé parce qu’il y a des gens qui ne sont pas veufs ou veuves d’anciens combattants et qui ont moins de besoins ». Et donc il y a eu un vrai débat et ceux qui me contredisaient dans mon équipe avaient de bons arguments. Je leur avais répondu que philosophiquement quand on était veuve d’ancien combattant c’est qu’on avait donné quelque chose à la Nation, quand même… Et puis que de toute façon la Démocratie c’était d’abord la confiance et le respect de la parole donnée ». Donc je me suis entêté, malgré les très bons arguments de ceux de mon équipe qui pensaient que j’avais tort, parce que j’ai pensé qu’entre deux inconvénients je devais choisir l’inconvénient du respect de la parole donnée. Voilà encore une illustration. »

32:00 : « Ensuite je veux dire un mot – bref celui-là – de Démocratie et clientélisme. Les tentations sont grandes quand on est à la tête d’une collectivité locale qui a 9 milliards d’euros de budget, qui a un peu plus de 50 000 fonctionnaires, qui distribue sur le contingent du maire entre 10 000 et 13 000 logements par an, la tentation est grande de s’en servir. D’autant qu’avant moi je le dis sans aucune agressivité, quand même… (rires dans l’assistance) Je ne parle pas des faux électeurs (rires dans l’assistance). Je parle tout simplement de l’utilisation du fichier qu’ils avaient appelé « Silex« , qui consistait à donner les appartements en fonction… et même de tenter de corrompre, en tout cas de compromettre, car il y a eu beaucoup d’élus de gauche qui ont eu des logements quand la droite était au pouvoir à Paris ! Et des journalistes, dont je ne dirai par les noms, qui ne sont pas des journalistes de droite ! Et donc cet échange de bons procédés… Je le dis au moment où nous parlons de climat démocratique parce que je sais des pays – ce n’est pas le cas de la France – où la révolte populaire aujourd’hui elle est d’abord sur la corruption ! D’ailleurs je vais donner un exemple. Le président Ben Ali, en Tunisie, a été viré parce que les Tunisiens disaient « Il nous prend pour des cons », parce que ils voyaient bien les atteintes à la Démocratie, etc, et puis ils disaient « Il pille le pays ». Et donc, là où il y a corruption, petite ou grande… Je sais que dans certaines villes on réélit les corrompus (rires dans l’assistance). Ce qui veut dire que par rapport à l’exigence démocratique, il n’y a pas que les dirigeants qui sont à interpeller ! Les citoyens aussi ! Bon, et donc je dis qu’il faut être très exigeant avec soi-même. Pendant ces périodes je n’ai pas attribué un seul logement social. La loi me permettait d’attribuer à la personne que je choisissais chacun des logements sociaux que la mairie de Paris attribuait chaque année, entre 10 000 et 13 000 par an. Je n’en ai pas attribué un seul. Et par rapport aux subventions aux associations, s’il existe une seule association qui peut dire que sa subvention a été conditionnée à un soutien politique, je l’attends. Pas une. Et toute l’équipe, et Dieu sait qu’on a été imparfaits mais on s’est donné du mal. Donc j’ai voulu dire ça parce qu’il y a le poison de la Démocratie : c’est quand le citoyen n’est plus un être majeur, vacciné, intelligent, mais que c’est un client. Et je n’ai jamais considéré les Parisiennes et les Parisiens comme des clients.« 

35:39 : « Voilà, écoutez, je crois que j’ai du parler un peu longtemps ? Vous m’aviez dit une demi-heure et j’ai du parler combien de temps ? Plus ? Oui plus, comme quoi je n’ai pas changé ! (rires dans l’assistance) Je terminerai par un dernier mot : je pense qu’il n’y a pas de climat démocratique sain sans volonté et sans courage. Un jour François Mitterrand – j’y pense parce que nous sommes dans le lieu qui porte son nom – m’a dit une chose : « Bertrand, la vertu la plus rare en politique, c’est le courage« . Lui n’en manquait pas, il avait d’autres caractéristiques. Mais il avait du courage. Et je pense qu’il faut aussi porter appréciation sur ce que font les femmes et les hommes politiques, et leurs manières de servir le climat démocratique à travers le courage. J’ai commencé par la Vérité, c’était Pierre Mendès France, je termine par le Courage. »

37:48 : « La démocratie – c’est Churchill qui le disait – c’est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres« . Vous savez, dans les contestations que j’évoquais tout à l’heure, Algérie, Irak, Venezuela, nous en Europe nous avons des contestations sur fond d’insatisfaction et de colère sociale. Mais nous sommes en Démocratie. Et autant on peut être sensible à la revendication sociale, à l’exigence de justice sociale, au besoin de changement, en revanche prenons garde à la haine. Prenons garde à la haine qui se répand, à l’individualisme, qui atteint parfois même la contestation et qui refuse de prendre en considération l’autre. Dans la Démocratie il faut de l’exigence, il faut de la volonté, il faut de la combativité, mais il faut aussi de l’honnêteté intellectuelle, et du goût de vivre ensemble. Car s’il n’y a pas du sens collectif, s’il n’y a pas une quête de l’intérêt général, il n’y a que la somme des intérêts individuels, et à ce moment-là les démocraties, même dans nos vieux pays, sont le terreau du populisme, et quand le populisme gagne, il n’y a plus de démocratie. Et moi j’aime la démocratie, et j’espère qu’au plan local comme au-delà nous arriverons à ne pas la mettre trop en danger. Merci. »

(applaudissements)

Transcriptions : Godefroy Troude (d’après mes notes prises sur place + fichier audio de la conférence).

3) Notes des échanges avec le public

Remarque : la BnF, que j’ai contacté, n’a pas souhaité diffuser l’enregistrement de cet échange, M. Delanoë n’ayant pas donné son accord (peut-être parce qu’il a accepté de répondre à des questions sur la politique actuelle). Je le regrette car certains points étaient très intéressants. Je recopie ci-dessous les notes que j’avais prises sur place, en direct, lors des échanges avec le public.

« Je ne suis pas anti-religieux, je respecte les religions, mais les religions ne doivent pas diriger ni organiser la société. Mourir dans la dignité, avortement, [des sujets qui font l’objet de frictions]. J’entends que les religions respectent les Lois de la République. Nous devons rester une communauté unie. Le communautarisme [c’est] non. »

« Je n’aime pas le manichéisme dans la politique actuelle et les mensonges des contestataires. Le gouvernement actuel a fait plus que la Gauche au cours des cinq années précédentes. […] J’étais contre le prélèvement à la source. Je croyais que ça ne marcherait pas. Bon, en pratique ça marche et on a même moins de fraude. Je reconnais que je me suis trompé ! »

« J’ai quitté le PS et je suis passé à la CFDT, un syndicat engagé sur l’écologie, l’Europe… »

[Les réseaux sociaux ne sont-ils pas un danger pour la démocratie ?] « Je suis paniqué des torrents de haine, de racisme, d’antisémitisme et violence incités par l’anonymat. Et les « Fake news » ? Je n’étais pas au courant que je m’étais marié… » (sourire)

« On a été une génération gâtée, la première génération à ne pas connaitre de guerre. Ça risque de péter… Crise sociale et crise dans le Politique, populisme… Hitler est arrivé au pouvoir par les urnes ! Les ingrédients sont là. […] En Syrie, ce qui se passe est explosif. La Turquie est dirigée par un dictateur qui veut dominer d’autres pays. Je ne suis pas pessimiste mais les dirigeants et les citoyens aussi sont bien imprudents. Il faut vivre avec des valeurs humanistes. »

Transcriptions : Godefroy Troude (notes prises sur place, durant la conférence-débat).

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