« La planète ne peut pas tenir si 7 milliards d’humains ont le niveau de vie d’un smicard français »


Pablo Servigne, Dominique Bourg, Yves Cochet et Jean-Marc Jancovici (Montage Godefroy Troude d’après photo Vanessa Chambard et DR)

LCI publie une série de 6 longues interviews sur l’environnement.

C’est la première fois que je vois un média audio-visuel grand public accorder une place aussi large et en profondeur à un sujet environnemental, même s’il ne s’agit pas d’une émission de télévision diffusée à l’antenne. Peut-être un jour au 20 heures de TF1* ?

Je recopie ci-dessous, quelques extraits des interviews de Jean-Marc Jancovici (membre du haut conseil pour le Climat, cofondateur de Carbone4 et président du Shift Project), Yves Cochet (ancien ministre de l’environnement et député européen) et Dominique Bourg (Philosophe, directeur du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, ex-Fondation Nicolas-Hulot) lues à travers ces 6 interviews de LCI.

CONSTAT ET FUTUR

Jean-Marc Jancovici : « La planète ne peut pas tenir si 7 milliards d’humains ont le niveau de vie d’un smicard français. […] Quand je dis [cela], ce n’est pas pour être méprisant. C’est parce que les chiffres montrent que le monde qui nous attend ne sera pas un monde d’abondance. C’est terriblement déstabilisant car ça va à l’encontre de l’idée d’une progression matérielle continue et sans problèmes. [Face à cela, et du fait de nos principes économiques de croissance, les gens réagissent par] le déni [qui selon moi] ne cessera pas avant de très gros ennuis car on a inventé un système de pensée qui n’est pas confrontable au réel […]. »

Yves Cochet : « Je partage effectivement ce constat. On peut dire malheureusement que jamais les Chinois, les Indiens, les Africains ou les Sud-américains ne vivront comme les Européens de 2018, à cause de la raréfaction de l’énergie et des matières premières. […] Je pense que ce déni perdurera jusqu’à la fin et qu’il n’y aura pas de transition facile […]. »

Jean-Marc Jancovici : « Ma grand mère était couturière à une époque où, quand on avait un trou à la manche de sa chemise, on cousait une pièce dessus car l’achat d’un vêtement demandait un prix réel beaucoup élevé qu’aujourd’hui. Dans un monde sobre, on reviendra à celà. Le T-shirt à 5 euros en soldes, ce sera terminé. Même chose pour le jouet en plastique qu’on offre au petit dernier et dont il se sert deux fois […]. »

Jean-Marc Jancovici : « Quand un pays se retrouve en situation de contrainte énergétique, c’est à la périphérie des villes, où se concentrent les premiers perdants de l’affaire, que la désagrégation s’exprime le plus fortement […]. »

Dominique Bourg : « Nous sortons d’un mode de pensée vieux de plusieurs siècles, qui commande à l’homme de s’arracher en permanence à la nature, considérée comme une masse inerte. […Mais le] désir d’abondance n’est pas universel, et il est récent. Il date de l’avènement de la pensée moderne […] Dans un superbe article, André Gorz rappelait la difficulté qu’ont eue les premiers capitaines d’industrie du XVIe siècle à faire travailler plus les paysans. Ces derniers n’allaient jamais dans une maison de riche, ils ne recevaient pas de publicité. Il y avait une norme sur le suffisant, nos besoins fondamentaux. Ce que voulaient ces gens, ce n’était pas gagner plus, c’était travailler moins. Le désir d’accumulation n’est donc pas une nécessité anthropologique. Pendant des millénaires, la sagesse consistait à se contenir matériellement afin de s’épanouir dans le domaine moral et spirituel. »

ACTIONS GOUVERNEMENTALES ET ÉLECTORAT

LCI : « Vous travaillez tous les deux [Yves Cochet et Jean-Marc Jancovici] comme conseillers auprès de publics différents – des militants ou des entreprises. Que conseilleriez-vous à ceux qui ont la main sur la politique énergétique française ? »

Yves Cochet : « Il faudrait présenter aux dirigeants un « crash program » de descente énergétique rapide. Mais quand on voit la contestation qu’a suscitée le passage aux 80 km/h, imaginez un décret qui passerait la vitesse maximale à 30 km/h en ville, 60 km/h sur route et 90 km/h sur autoroute ! Politiquement, c’est un suicide. Face à une grève des routiers et des agriculteurs, le gouvernement ne peut pas tenir. Je l’ai vu quand j’étais ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. Et ce n’est qu’une mesure parmi cent. »

Dominique Bourg : « Pour réduire de 45% en dix ans les émissions de gaz à effet de serre, comme le préconise le Giec pour rester en deçà d’un réchauffement de 1,5°C, on sait comment faire. Pour cela, Jean Jouzel et Pierre Larrouturou ont proposé le Plan finance-climat, qui entraînera en premier lieu de l’emploi et du PIB. Il faut ensuite mettre en place une stratégie d’économie circulaire. C’est ce que nous avions proposé au ministère de l’Écologie en janvier avec la Fondation Hulot et d’autres organisations. Cette stratégie incluait par exemple un système de TVA circulaire, dans lequel la TVA est abaissée pour les produits qui génèrent le moins d’externalités négatives. Ce plan ne détruit pas la machine économique. Il l’oriente vers un fonctionnement nouveau. Une fois que vous avez atteint cette première marche, les suivantes se dessinent. Mais il n’y a aucun doute sur la suite : ce qui nous attend au bout du compte, c’est une réduction des flux de matières et des flux d’énergie […]. »

Dominique Bourg : « Les gens comprennent déjà qu’on n’est plus dans les 30 Glorieuses. Le progrès technique et économique engendre plus d’angoisse que de bien-être, et tout le monde s’en aperçoit. [Mais le taux de croissance,] référentiel des 30 Glorieuses est toujours présent, et c’est effrayant. Les responsables politiques ont 40 ans de retard. […] Ceux qui se font élire aujourd’hui sont des gens haineux, qui veulent mettre en l’air tout le système : Trump, Salvini, Le Pen, Bolsonaro. En Bavière, la CSU alliée à Merkel risque de perdre 15 points aux prochaines élections, alors qu’il y a 3% de chômage (la CSU a finalement perdu 10 points). Le gouvernement social-démocrate de République Tchèque a perdu les élections à cause de la question migratoire, alors qu’il n’y a quasiment aucun migrant là-bas. Cette vague folle montre selon moi que les électorats n’ont plus la croissance comme imaginaire. Les gens votent parce qu’ils ont peur des immigrés. Il faudrait leur dire que s’ils perpétuent cette société consumériste, ils ne feront pas face à 1 million d’immigrés, mais à la guerre et des centaines de millions d’immigrés. Allons sur leur terrain et disons-leur que s’ils étaient cohérents avec eux-mêmes, ils commenceraient par rendre la société plus écologique avant de construire des barrières. »

S’INVESTIR EN TANT QUE CITOYEN

Yves Cochet : « [A ces citoyens, je] dirais d’aller militer dans une association écologiste, il y en a plein de bonnes. Ou de lire les livres de Jean-Marc ! »

Jean-Marc Jancovici : « Moi, je dirais plutôt Documentez-vous ! Je pense qu’on ne croit qu’en ce dont on s’est convaincu soi-même. Si l’on dit aux gens de passer tout de suite à l’action, sans en expliquer la justification, ils vont changer deux ampoules pour être en paix avec leur conscience et rien d’autre. Donc je dis aux lecteurs de LCI : documentez-vous sur ce défi. C’est désagréable, mais c’est passionnant. »

Yves Cochet : « Et ne restez pas seul ! Discutez-en avec vos proches et votre famille. Il ne faut pas perdre l’idée de la solidarité en route. »

Dominique Bourg : « Il y a quelques années, [je faisais] le constat que les gens s’en fichaient. Ce n’est plus le cas […] Regardez les manifestations du 8 septembre : 100.000 à 150.000 personnes ont manifesté pour la défense de l’environnement. C’est énorme. Avant on arrivait à peine à quelques milliers. Les sociologues nous disent par ailleurs que ce ne sont pas les écolos habituels, mais des gens lambda, qui n’ont pas l’habitude de manifester. »

Lire l’intégralité des interviews sur le site de LCI :

1) Nos sociétés sont-elles au bord de l’effondrement ?
2) Trop peu, trop tard : 3 ans après, le procès de l’accord de Paris
3) Effondrement, nucléaire et capitalisme : entretien avec Jean-Marc Jancovici et Yves Cochet
4) Pablo Servigne, apôtre de l’effondrement et père de la collapsologie
5) Entre écologie et confort de vie, le paradoxe scandinave
6) Les électorats n’ont plus la croissance comme imaginaire

* Une recherche Google du mot « climat » sur TF1 depuis la démission de Nicolas Hulot remonte 113 réponses (« climat site:tf1.fr ») dont une majorité abordant le sujet via des postures gouvernementales ou de rivalité de personnes, sinon dans des talk shows satiriques comme « Quotidien », mais absolument pas sur le fond.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *