Abdel Merah : « J’ai beaucoup de peine »

Je viens de lire une interview édifiante d’Abdel Merah dans Télérama n°3394 daté du 28/01/2015. Je la recopie ci-dessous :

Meurtri mais combatif, le frère de Mohamed Merah rappelle le rôle fondamental de l’éducation, en classe et à la maison.

Abdel Merah est le frère ainé de Mohamed Merah : il y a trois ans il s’est trouvé plongé dans une tragédie nationale et un drame familial après que son frère de 23 ans (qu’il n’appelle plus que « Mohamed Merah »), terroriste fanatisé, eut semé la mort autour de Toulouse en abattant froidement sept personnes. Après les attentats de janvier, Abdel Merah a accepté de témoigner à titre exceptionnel de l’importance de l’éducation dans la lutte contre l’intégrisme islamique et ses idéologies meurtrières.

– Trois ans après les actes terroristes de votre frère, comment avez-vous vécu cette vague d’attentats ?

– Comme un cauchemar qui nous replonge dans l’horreur, même si je les ai vécu différemment de ceux de mars 2012, car cette fois ce n’est pas un de mes frères qui en est l’auteur. Mais j’ai eu très peur devant la violence inouïe de ces terroristes. Je ressens beaucoup de peine pour toutes les victimes, leurs familles et amis. Mais j’ai été heureux, quelques jours plus tard, de voir cette mobilisation dans toute la France, et de chanter La Marseillaise.

– Pour la première fois, depuis vos déclarations à la sortie de votre livre (1), en 2012, vous acceptez de témoigner. Pourquoi ?

– J’en ai assez qu’on fasse l’amalgame enre l’Islam et le terrorisme. J’ai aussi été choqué par les manifestations anti-Charlie Hebdo qui ont eu lieu au Niger, au Sénégal, ainsi que dans mon pays d’origine, l’Algérie. Ce sont ces fous qui se prétendent envoyés par Dieu qui salissent l’Islam à mes yeux, et pas Charlie Hebdo. J’ai grandi avec Cabu, et ces humoristes qui rient de tout ! Je n’étais pas d’accord avec tous leurs dessins, en particulier avec les caricatures danoises où le Prophète était représenté avec une bombe au dessus de la tête, car, encore une fois, on assimilait la religion musulmane aux terroristes, mais j’ai de la peine, beaucoup de peine.

– La situation a t’elle changé depuis 2012 ?

– Non, rien n’a changé : les prédicateurs sont toujours à l’oeuvre dans la plupart des quartiers. On les voit lancer leurs messages de haine et de mort. Ils ont fait main basse sur nos jeunes, nos petits frères, nos enfants. Ils cherchent à endoctriner les plus faibles, en leur servant un prêt-à-penser qui fait mouche. Pour contrer ces prédicateurs, il faudrait de vrais imams bien formés. J’aimerai que tous les Maghrébins et que tous les musulmans, comme moi, au lieu de se soulever contre les caricatures, se soulèvent contre ces fous de Dieu. Qu’on ne leur laisse aucun espace ni répit en France et ailleurs. Ils n’ont pas gagné, car on est encore là, debout.

– Quel rôle l’éducation familiale et scolaire doit-elle jouer dans ce combat ?

– Un rôle fondamental, dès la petite enfance. Il faut apprendre et réapprendre à tous les valeurs républicaines du partage et du vivre-ensemble. Quand on constate qu’un membre de sa famille adhère à une doctrine radicale, il ne faut pas avoir peur de le dire. Le fait d’avoir été élevé dans le terreau fertile de la haine et du rejet d’autrui – comme je l’ai été – n’excuse aucune dérive et certainement pas les actes terroristes. Avoir grandi sans parents comme les frères Kouachi, non plus. A ceux qui parfois idéalisent Mohamed Merah, je dis « Mais regardez comment il a fini ! Il s’est fait endoctriner dans une cause qui n’a ni queue ni tête, il a brisé des vies et il est mort ! » Je leur répète : « Restez maîtres de votre cerveau ». La minute de silence avait un sens : celui de manifester notre attachement au pays et à ses valeurs. Il faudrait que les professeurs, qui sont en première ligne, soient mieux formés pour répondre à certains enfants et surtout qu’ils ne lâchent pas l’affaire ! On doit aider le combat de Latifa Ibn Ziaten, la courageuse qui sensibilise les jeunes à la tolérance dans les écoles et les quartiers a tout mon respect. J’ai adoré son livre. Il faut aider cette maman qui a vécu le terrorisme, cette mère musulmane qui a éduqué ses enfants correctement avec des valeurs françaises. Pour moi, elle est un exemple.

(1) « Mon frère, ce terroriste », éditions Calmann-Lévy

L’article sur le site de Télérama.

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